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Une correspondance scolaire avec la Palestine

jeudi 15 juillet 2010, par Greg

Par Jean-Pierre Fournier, Enseignant, Paris xx e

Une correspondance scolaire, ce n’est pas une pause, ni une simple ouverture culturelle, c’est un apprentissage. Correspondre avec des Palestiniens, c’est rompre aussi avec l’hypocrite sainte-nitoucherie scolaire (trop chaud, on n’en parle pas) et avec l’apolitisme des relations avec les adultes (collègues, parents, administration).

Départ facile…

Dans mon collège, première tentative en 2002 dans le cadre de « France-Israël-Palestine », un groupe d’enseignants aujourd’hui disparu dont deux avaient fait le voyage pour prendre des contacts « là-bas ». L’un de ses contacts était un enseignant de français dans une école pour filles de Gaza : impliqué pédagogiquement et politiquement (dans le camp de la non-violence), il est demandeur. Une classe de Troisième se déclare partante : c’est une bonne classe, et les élèves envoient pour Noël un poème de leur choix, qu’ils ont choisi ou écrit ; une militante de France-Palestine apporte les cadeaux, et reviendra en rendre compte à la classe, surprise qu’elle ait dû ruser (se faisant passer pour une bonne sœur) pour apporter un matériel aussi explosif... L’année scolaire se poursuit avec des lettres, rédigées par les élèves en groupes affinitaires, et qui n’évitent pas des questions gênantes, notamment sur le voile : il y est très sérieusement répondu. L’expérience est positive, mais n’a pas de suite car l’enseignant part en formation... en France. Elle a été aisée car les élèves français (françaises surtout) se sont tout de suite senties amies avec ces élèves gazaouies, qui n’ont pas choisi le français pour rien (dans tous les pays du monde, c’est la langue des jeunes-filles-d’un-certain-milieu). Pour cette pre­mière expérience, l’administration a été tenue au courant et les parents de l’élève qui a aidé à la préparation de l’intervention de la militante n’ont pas fait obstacle, les uns et les autres cathos de gauche.

De plus en plus dur ou de mieux en mieux ?

Deux ans plus tard, c’est une autre paire de manches. Une classe de Troisième « plus hétérogène », comme on dit, mais dont l’idée de correspondre (cette fois-ci avec des jeunes du camp de Deisheh du centre culturel Phénix) provoque un vrai enthousiasme chez une dizaine d’élèves (que des filles) : rédaction de lettres par groupes, réponses, re-lettres, réponses ensuite individuelles. Entre le quotidien des petites Françaises (« je ne pense pas que je vais partir à Noël ») et les réponses qui décrivent un quotidien d’occupation, le décalage est énorme... et instructif. Positif : ce ne sont pas que les « beurettes » qui écrivent, mais toutes les filles. Positif aussi : la collègue d’anglais, pourtant souvent en recul sur bien des points, qui accepte de revoir le texte des élèves, car la correspondance ne peut être que dans cette langue, et de leur faire corriger : ça prend du temps. Positif encore : la projection de L’Histoire de Promesses, de B. Z. Golberg, documentaire narrant une rencontre entre jeunes Israéliens et jeunes Palestiniens de 10-12 ans est un succès. Négatif, on l’a compris : ce ne sont que des filles qui se lancent dans la correspondance, car il y a deux obstacles pour les garçons : l’écriture (non obligatoire) et l’émotion (on est en train de se construire contre). Difficile : le rythme de la correspondance ; une année scolaire est vite passée, et les Palestiniens intègrent mal l’idée que le contact ne sera plus possible après l’année de Troisième. Difficile également la réaction des adultes : si le chef d’établissement est présent quand je reçois l’animateur du centre Phénix de passage à Paris, si une des familles de la classe accepte l’expérience tout en faisant part de son embarras ayant de la famille en Israël, des membres de la FCPE, à qui j’avais pourtant présenté l’expérience, vont demander au chef d’établissement de m’interdire la correspondance…
De plus en plus dur ou de mieux en mieux ? L’année suivante, c’est une classe difficile mais c’est aussi un grand nombre de jeunes Palestiniens. Quelques garçons volontaires cette fois, par solidarité « ethnique-religieuse », mais qui ne vont pas bien loin dans leur solidarité, et qui supplient finalement les filles de leur donner des idées-écrire-traduire leur lettre. L’événement de l’année, c’est la venue en classe de quatre correspondants arrivés avec l’animateur du centre expliquer leur vie et leur lutte : contraste hurlant entre des jeunes respirant la volonté de vivre, l’ouverture – et parlant bien anglais –, et des jeunes d’ici dont certains sont également enthousiastes mais dont le plus grand nombre a du mal à supporter cet échange (« ils pourraient quand même parler français », dur à entendre venant d’enfants de l’immigration). Pas d’opposition à cet échange cette fois-ci, et les Palestiniens ont été accueillis avec chaleur par l’ensemble des profs.
L’expérience avec Deisheh continuera encore un an, mais en mineur, avec deux élèves volontaires qui correspondront et feront un exposé construit sur le conflit au Moyen-Orient.

Apprentissage ?

De l’anglais, oui, qui avance bien « en situation ». Mais surtout de la réalité de notre monde : une réalité où la guerre prend l’épaisseur d’êtres humains nommés, au lieu d’être cette lointaine vitrine cathodique ; la réalité des différences aussi, où des ados réalisent qu’il y a un monde en dehors du sucre et du shit.
Apprentissage aussi pour cette élève antisémite à qui les Palestiniens expliquent qu’ils ne mènent pas un combat racial. De même pour cet élève « musulman », très perturbé et perturbant, dont je découvre les origines familiales juives, et son déchirement.
Apprentissage également pour l’enseignant : la correspondance, c’est difficile quand les élèves demandent tous les jours « alors ils ont répondu ? », c’est difficile aussi car le temps du nombril n’est pas celui de l’ouverture aux autres. Difficile, partiel, mais tellement nécessaire.