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L’instruction, une affaire de famille ?

lundi 21 novembre 2011, par Greg

Ce sont environ 30 000 enfants en France qui ne sont pas scolarisés…
30 000, dont 20 000 prennent des cours par correspondance au CNED, et 7 000 des cours privés.
Les 3 000 restants sont tout simplement des enfants instruits en famille, par la famille…

Un choix légal

Un choix qui est motivé par des raisons variées. Un choix qui s’organise d’autant de manières différentes qu’il y a de familles instruisantes… Un choix qui s’étend (les chiffres grossissent chaque année), mais qui pose encore question en regard de notre société. Entre l’école de la République, les écoles à pédagogies alternatives et les cours par correspondance, comment l’instruction en famille trouve-t-elle sa légitimité et sa force ?

Le cadre légal : en France, l’instruction en famille est légale puisque l’école, même au-delà de 6 ans, n’est pas obligatoire ! Il n’y a pas d’autorisation à demander, il suffit juste de faire 2 déclarations : l’une à la mairie de sa ville, qui peut se charger de venir faire une visite, tous les deux ans, à la famille pour vérifier que les conditions de vie de l’enfant sont conformes à ses droits, et connaître les raisons du choix des parents. L’autre à l’inspection académique, qui se chargera de venir une fois par an contrôler l’instruction qui est donnée à l’enfant. Il faut savoir qu’un décret spécial fixe les contenus de l’instruction en famille et qu’ils sont différents de ceux du système scolaire.

Les parents instruisants ont une totale liberté pédagogique et ne sont pas tenus d’amener l’enfant au même niveau que les autres enfants de son âge scolarisés au même moment. La seule obligation est que l’enfant ait atteint un niveau comparable aux autres enfants scolarisés à 16 ans (le socle commun). Entre
6 et 16 ans, il n’y a donc pas de pression de résultats.
Ainsi, un enfant plus rapide pourra apprendre plus vite plus de choses ; et un enfant plus lent pourra apprendre à son rythme sans être « largué ».

Cette liberté est une des principales motivations à la non-scolarisation des enfants.

Les motivations :

Convictions personnelles : beaucoup de parents instruisants sont tout simplement convaincus (parfois même avant la naissance de leur premier enfant) que l’instruction en famille est ce qu’il y a de mieux en matière d’apprentissages.

En effet, l’enfant grandit au sein de sa famille, dans un environnement affectif, rassurant et serein (car ininterrompu par des contraintes extérieures exagérées), et donc propice à la curiosité et aux questionnements qui permettent d’apprendre

Ces parents croient en la curiosité naturelle de l’enfant qui n’a pas besoin de cadre pour les mener au savoir. Mais nous y reviendrons dans le paragraphe concernant le quotidien.

Philosophie de l’éducation différente de celle du système scolaire : la plupart des parents instruisants pensent que le système scolaire actuel ne favorise ni les apprentissages ni l’épanouissement de l’enfant.

En effet, dans une classe de 25 à 30 élèves, l’instituteur ne peut pas (même s’il le voulait) faire appel à l’individualité de chacun. De plus, il amène son savoir et l’emploi du temps qu’il a choisi de suivre, ainsi que les méthodes de travail qui lui conviennent. Or, chaque enfant a un rythme différent, une manière d’apprendre différente et des centres d’intérêt différents.

À l’école, il ne peut donc pas aller à son rythme, apprendre ce qu’il veut quand il veut et de la façon la mieux appropriée à sa propre compréhension.

Mais dans la vie, on ne fait pas toujours ce qu’on veut quand on veut, me direz-vous ! Bien sûr, et il n’est pas question ici de faire des enfants rois, mais de les laisser apprendre naturellement, afin que leurs apprentissages soient longs et utiles pour leur vie… À quoi sert de passer des heures assis à l’école, pour apprendre des choses si c’est pour n’en retenir que 5 % [1].

D’autre part, la compétition qui a lieu à l’école, entretenue par le système de notation, sous quelle que forme qu’il soit (car on se cache aujourd’hui derrière des petits bonhommes qui sourient à la place des notes, mais le principe est le même : évaluer et comparer) n’est pas fait pour encourager l’entraide, le respect de l’autre et la tolérance… Ce qui fait partie des raisons pour lesquelles des parents décident de ne pas scolariser leur enfant (ou de le déscolariser).

Enfin, tout le monde sait qu’à l’école on subit des brimades, des moqueries, de l’agressivité, voire de la violence, physique ou morale, de la part des enfants comme des adultes (hélas). Tout le monde a subi au moins une fois dans sa vie ce genre de situation et les parents instruisants refusent cela pour leurs enfants. Encore une fois, on ne peut pas les protéger de tout, ou les surprotéger, me direz-vous ! Bien sûr, et il n’est pas question de les mettre dans une bulle, seulement de pouvoir choisir quand et de quelle manière cette « dure-réalité-de-la-vie » va entrer dans leur vie… À un moment où ils sont prêts et où cela ne les stressera pas au point de freiner leurs apprentissages, leur curiosité et leur énergie ! Et ce moment, qui est le mieux placé que les parents pour le déterminer ? Bref, il s’agit pour ces parents de respecter l’enfant dans ses étapes de développement et dans sa nature afin de lui offrir le meilleur… du temps pour grandir.

Contre la collectivité

Parmi les motivations, il y a aussi celle qui répond au fait que des parents pensent que la collectivité n’est pas du tout propice au bon développement d’un enfant.

À l’heure où l’on parle de scolarité à 2 ans, de mettre son bébé le plus tôt possible à la garderie pour qu’il apprenne à vivre avec les autres et se prépare à l’école, ces parents, eux, ont un avis sur la question tout à fait différent. En effet, ils pensent que l’enfant trop vite « jeté dans l’arène » n’a pas les armes affectives et la confiance en soi suffisante pour évoluer parmi ses pairs de manière positive. L’enfant développe alors des mécanismes de défense (et d’attaque) qui relèvent plus de la violence que de la paix. Or, ces parents veulent amener leurs enfants à trouver des moyens positifs de vivre ensemble dans une société où ces valeurs solidaires et pacifiques se perdent.

Des raisons qui s’imposent : certains parents ­déscolarisent ou ne scolarisent pas leur enfant pour diverses raisons qui se sont imposées à eux :

– précocité,

– maladie, handicap,

– enfant musicien ou sportif de haut niveau,

– phobie scolaire,

– vécu de violence scolaire, etc.

Le quotidien sans école. Beaucoup se demanderont : mais comment font ces parents ? Sont-ils formés ? Comment sont leurs journées ?

Autant de réponses que de familles

Cependant, on retrouve des points communs et des façons de faire qu’on peut classer en 3 catégories :

Les homescoolers (ceux qui font l’école à la maison) : ce sont des familles qui suivent le programme scolaire et qui se fixent un emploi du temps afin d’organiser les matières et les activités quotidiennes. Les enfants font du travail de manière formelle, un peu comme à l’école, mais beaucoup moins longtemps (une à deux heures par jour en primaire et deux à quatre heures en collège/lycée). Les parents préparent du travail et utilisent des manuels scolaires. Les parents justifient cette méthode en disant que cela permet à l’enfant de ne pas être en décalage par rapport aux autres, s’il devait ou voulait intégrer le système scolaire.

Les unschoolers (ceux qui pratiquent la non-scolarité). Cette philosophie consiste à croire que l’enfant est curieux de nature et aura toujours envie d’apprendre avec plaisir et motivation, si on ne l’y force pas et si, au contraire, on le laisse venir avec ses questions et ses demandes. Alors, à ce moment on prend le temps, avec lui, de chercher les réponses (on ne lui apporte pas toutes faites « sur un plateau »), afin qu’il développe son autonomie et sa responsabilité. De plus, on ne fait aucun rapprochement avec la norme sociale et on laisse les enfants libres d’apprendre à leur rythme : ainsi, l’un saura lire à 4 ans, tandis que l’autre ne saura qu’à 10 ans… L’important est qu’il sache lire un jour et qu’il y prenne plaisir ! Cela est valable pour tous les apprentissages et dans toutes les « matières ». C’est « l’apprentissage autogéré », tel qu’il est décrit et analysé par Alan Thomas, chercheur à l’institut d’éducation de l’université de Londres, ou par John Holt dans son excellent livre Les Apprentissages autonomes ou comment les enfants s’instruisent sans enseignement.

Le « chacun son truc-schooling » (néologisme de ma part). C’est, ici, le mélange des deux autres, et de beaucoup d’autres. Les parents n’ont pas de philosophie particulièrement arrêtée et prennent dans les méthodes (ou les non-méthodes), tout ce qui est bon à prendre : Montessori, Steiner, Gategno, Lyons, Borel-maisonny, et tout ce qu’offre la vie quotidienne : les bibliothèques, les ludothèques, les clubs, les associations, les réseaux d’échanges de savoirs, etc. Le but restant toujours de permettre à l’enfant d’apprendre à son rythme, et dans le plaisir et la motivation, quelles que soient les raisons de sa non-scolarisation.

L’école n’est pas obligatoire ! ■

Marie Chardin, Relais Nord-Pas-de-Calais, association « Les enfants d’abord »

CONTREPOINT

La question du homeschooling a fait débat au sein du comité de rédaction, nous proposons ici une réaction, plus sur le concept lui-même que sur l’article ci-contre.

Les riches ont longtemps élevé leurs gosses à part, et parfois tout seuls – c’est le préceptorat.

Aujourd’hui, des sectes [2] (d’extrême droite et/ou religieuses, aux États-Unis surtout, où le homeschooling fait fureur) s’approprient aussi ce mode d’apprentissage.

Des enfants loin des autres, ou seulement avec des copains choisis, pour éviter l’ennui et la violence des cours de récréation (dès la maternelle, on se souvient du film de Claire Denis), ça fait envie ou ça fait peur ?

Des parents qui ne travaillent pas, ou chez eux, loin des collectifs de travail, de leurs obligations et autres mesquineries, des chefs et des embrouilles, ça laisse pensif ? Car les autres, marteaux piqueurs, ordinateurs ou bâton de craie à la main, gagnent leur vie à l’extérieur…
L’éducation à la maison est une réalité, plus ou moins caricaturale selon les cas, avec ses nuances et ses diverses motivations bien exposées par Marie Chardin dans cet article.

Reste la question du social et du collectif : sommes-nous là… à bonne école ? (J.-P. F.)


[11 Étude sur les apprentissages du National Training Laboratories, Bethel, Maine, États-Unis.

[2* * Précisions de Marie Chardin : c’est un amalgame contre lequel nous nous battons depuis depuis de longues années… amalgame qui a été fait très vite à cause d’une seule secte homeschooler. Depuis, chaque année, la Mivilude (mission sur les sectes) rend un rapport qui n’établit aucun lien entre homeschooling et dérives sectaires.