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Quelques réflexions sur un enseignement du multimédia

jeudi 15 juillet 2010, par Greg

Par Bernard Prieur-Smester,
CNT Communication-Culture. Concepteur-scénariste multimédia-chargé de cours en « écriture et design interactif »

Dans l’enseignement du Multimédia et d’Internet en milieu scolaire ou dans le cadre de la formation professionnelle, les aspects techniques, informatiques et graphiques monopolisent les attentes
des élèves et des institutions. En revanche, les aspects de communication
et de logique de l’écriture interactive sont perçus comme mineurs. Mais à qui la faute ?

Retour sur l’interactivité

Dans les formes classiques de la littérature, du conte et donc du cinéma, la structure portante du récit est linéaire. À l’introduction succèdent un développement plus ou moins riche puis un épilogue avec une « morale » ou le mot « fin ». Ce modèle est remis en cause avec le multimédia qui « met à disposition » un ensemble de contenus dans lequel l’internaute (entre néo-lecteur et néo-spectateur) puise. De clic en clic, il (s’)auto-construit des histoires au gré d’une apparente liberté de navigation jusqu’à décider de leur fin. En réalité, l’internaute ne suit que des cheminements possibles, pré-établis, hiérarchisés et construits au travers de scénarii rédigés par des auteurs. Tout, y compris les éventuels culs-de-sac, est préalablement imaginé et maquetté dans les moindres détails selon une logique proche de celles dites de « l’escalier » ou de « l’esprit d’à-propos » qui flirtent parfois avec les techniques de propagande, voire de manipulations.

Enseigner la logique interactive et le multimédia

Comme enseignant en écriture multimédia, l’apparente appropriation d’Internet par les 15-25 ans aurait pu me laisser supposer que la logique et l’écriture interactive leurs étaient acquise et que mes interventions en seraient alors facilitées.
Il n’en est rien.

Culture zapping

Dans une sorte de « rituel » j’entame généralement mon premier cours en les questionnant sur ce que « Le livre », « Le cinéma » et « L’Internet » représentent pour eux au quotidien. Les réponses sont en générale identiques : « Le livre et le cinéma sont des supports d’histoires », l’Internet est « un support un outil “technique” » et une formidable source pour de multiples téléchargements. La « zapette de la TV » en se changeant en « souris » servirait à la même consommation de courtes saynètes ou fragments d’émissions indépendants les uns des autres sans lien(s) apparents(s). Tout ce qui est directement consulté s’éloigne dans une digestion rapide.

Tu vois ce que je veux dire…

Pour une majorité d’élèves, imaginer un site équivaut à recopier des images et des contenus existant par ailleurs, mais avec force « relooking » et gadgets techniques de toutes sortes, le tout consigné dans une sorte de « journal intime » dont l’élève serait le lecteur. Si d’aventure quelqu’un venait à le consulter, il serait dans l’obligation
de suivre UN seul cheminement, celui imposé par l’auteur. Ce n’est que très rarement considéré comme un support de communication original intégrant les actions et les démarches relatives à l’interactivité, celle-la même dont ils usent « à tout bout de clic » pour télécharger des fichiers ou passer de site en site. Sur ce point, le multimédia met en lumière une sorte de difficulté à se projeter/découper en autant d’éléments banals ou spécifiques qui, reliés, formeront un tout original. Cela se vérifie surtout lorsqu’ils veulent réaliser un CV ou la présentation de leurs goûts ou personnalité. S’ils aiment par exemple le sport, la musique et MTV, alors le site sera construit en trois grandes parties ou sortes de catalogues, dans lesquels il n’est pas envisagé de proposer/découvrir d’éventuels liens logiques « intra blocs », alors qu’échangeant avec eux ils existent. Le linéaire semble avoir encore de beaux jours à vivre au pays du multimédia... à moins que cela ne renvoie à la logique sectorisée de nos sociétés dans lesquelles nous n’apparaissons que comme « fonction », « élé­ment », « client », « produit » au lieu d’une mosaïque originale d’éléments banals... mais tous les profs feront le même constat.

Copier/coller n’est pas jouer

Une fois le zapping dépassé et le contenu plus
ou moins écrit, il faut alors s’attaquer à la réalisation du site. Un nouveau mur est à dynamiter : ¡¡¡ le « comme-comme ». Dans le milieu du multimédia, ce jeu de mots péjoratif qualifie le « copier coller » synonyme d’anti-créatif. Dans le multimédia, le média est d’importance puisqu’il a pour fonctions d’illustrer, de participer à la « mise en écran » et donc à la lecture de l’ensemble des contenus. Comme dans l’édition, il compose avec certaines règles dont on joue pour mettre en valeur l’originalité ou la spécificité de la publication. À priori, chaque site est spécifique. Dans la réalité, certaines recettes sont réchauffées et servies à toutes les sauces. Sous le prétexte d’avoir vu un site dont l’apparence graphique lui plaît ou que sur de nombreux sites on trouve les mêmes constantes, de nombreux élèves/zappeurs souhaitent caser leurs contenus, quand ce ne sont pas d’autres contenus récupérés, dans une enveloppe existante, sans même prendre le recul de le décliner. Le « je ne veux voir qu’une tête » risque vite de se muer en « je ne veux voir qu’un site ».

« Bon, alors "je fais" un blog »

Parfois, à bout d’échanges et de pédagogie, je bais­se la garde. Erreur fatale. Certains élèves pleins de bonne volonté, mais rebutés par le travail, il est vrai conséquent mais nécessaire, se tournent alors vers le libre-service. Ils réaliseront un Blog. Il leur suffit de s’inscrire chez des fournisseurs et de remplir des zones textes qui seront mis en ligne selon une structure, une mise en écran et une interactivité type, c’est-à-dire rigide et pré-formatée pour l’usage par le plus grand nombre, comme n’importe quel pro­duit marketing.
Alors je revois mes cours et jure, mais un peu tard, qu’on ne m’y reprendra plus...