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B2i ou le formatage de singes savants

jeudi 15 juillet 2010, par Greg

Par Franck antoine, Professeur des écoles, CNT Éducation 34.

Beaucoup de discours syndicaux ont déjà été tenus sur l’informatique à l’école.
On a pointé le manque de moyens matériels (souvent), l’insuffisance de formation
des enseignants (de temps en temps), le monopole des multinationales de l’informatique
sur les logiciels (rarement). Si toutes ces questions ont leur importance, le cœur du problème n’est pas là.

Il est tout d’abord surprenant de constater que l’institution ait décidé que tous les élèves devaient sortir de l’école primaire avec un brevet. De quel brevet s’agit-il ? Un brevet de lecteur ? Un brevet d’écrivain ? Un brevet de calcul ? Un brevet de natation ? Non, c’est le brevet informatique et internet. Celui-ci ne compte pas moins de quatre champs et dix-huit compétences pour le primaire.

L’informatique à l’école ?

Si la familiarisation avec l’outil informatique peut présenter un intérêt pour les enfants du primaire, il y a une certaine confusion à créer un brevet qui, somme toute, ne concerne que l’utilisation d’un outil (à quand un brevet stylo bille, règle et gomme, voir téléphone portable ou appareil photo numérique ?). Le rôle de l’école est d’aider les élèves à acquérir des savoir-faire qui seront réinvestissables dans de nombreux domaines et avec des outils variés. Il peut être intéressant de savoir effectuer une recherche sur internet, mais à quoi cela peut-il servir si l’on n’est pas capable de trier, d’analyser et de traiter les informations que l’on récolte. Là est bien le véritable but de l’éducation. Pour cela, les enseignants peuvent sélectionner des sites ou des pages sur le Web. Mais est-ce bien différent d’un texte d’un ouvrage documentaire ou d’un manuel scolaire ? Une fois cette capacité acquise ( peut-elle l’être définitivement ?) grâce à l’étayage d’un adulte, l’enfant ou l’adolescent ne devrait pas avoir beaucoup de difficultés à utiliser les informations recueillies sur le Web. Nous sommes aujourd’hui dans une situation paradoxale où l’on voudrait utiliser les technologies de l’information et de la com­mu­nication avant même d’en maîtriser les pré-requis. Quel est le parent qui penserait à apprendre à son enfant à conduire une grosse cylindrée avant qu’il sache faire du vélo ? Les résultats sont parlant d’eux-mêmes lorsque des enfants fabriquent des exposés remplis d’informations qu’ils ne comprennent pas, voire qu’ils n’ont pas lues.

Pourquoi un tel brevet ?

La mise en place de ce brevet relève de plusieurs logiques concordantes.
Tout d’abord ce qui est neuf est bien, c’est donc la ruée vers l’innovation en particulier celles qui sont liées aux nouveaux outils de communication. On voit donc apparaître des tableaux numériques dans les classes de maternelles. Les médias s’extasient et multiplient les reportages sans que personne ne se pose la question de l’intérêt d’’un tel outil pour les enfants. Mais eux aussi sont contents, ils passent à la télé et ont un beau joujou. On pourrait initier une correspondance scolaire avec une classe éloignée, mais c’est tellement mieux d’ouvrir un blog (sur le plan des apprentissages ?) ou de tchater sur MSN.
Ensuite, il y a un enjeu économique à dresser les futurs consommateurs de produits numériques. Non seulement ils deviennent tout de suite consommateurs par le biais de l’école, mais en plus on leur inculque dès le plus jeune age le respect de la propriété privée intellectuelle. Dans le champ intitulé « Adopter une attitude responsable », on peut trouver la compétence « Si je souhaite récupérer un document, je vérifie que j’ai le droit de l’utiliser et à quelles conditions » pour le primaire, au collège elle devient : « Lorsque j’utilise ou transmets des documents, je vérifie que j’en ai le droit », au lycée on accède à la formulation la plus claire : « J’utilise les documents ou les logiciels dans le respect des droits d’auteurs et de propriété ». Bill Gates peut dormir tranquille, l’Éducation nationale veille sur ses intérêts.

L’intérêt pour les patrons ne s’arrête pas là. Dans le monde de l’entreprise, l’informatique est de plus en plus présente. Pas seulement pour les postes de techniciens et de cadres mais aussi au plus bas niveau (caisses informatiques, gestion des stocks dans le commerce, télé marketing...). Pour tous ces emplois, les entrepreneurs n’ont que faire des capacités d’analyse de leurs salariés, par contre une familiarisation avec l’ordinateur et son monde facilite grandement la formation aux tâches parcellaires. L’école peut ainsi s’occuper dès le plus jeune âge de l’employabilité des futures petites mains de l’économie. Pour ceux qui n’auront accès à aucun emploi rémunéré, il restera toujours les loisirs numériques.