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Les journaux scolaires, pour quoi faire ?

jeudi 15 juillet 2010, par Greg

Il y a les grands ancêtres (Freinet, Korczak).
Et il y a nous, avec nos raisons d’aujourd’hui.

Pour Freinet, l’important était à la fois l’expression des intérêts du groupe d’enfants et l’apprentissage con­joint du code écrit et d’une technique ; mais l’imprimerie avec tous ses usages pédagogiques passe chez Freinet avant le journal : livre, journal de vie... les termes peuvent varier, c’est en tout cas de l’écrit de soi pour les autres, au plus proche des intérêts enfantins [1]. L’élément technique est très important, on retrouve ce parti pris dans l’intérêt de Freinet et de ses successeurs pour le cinéma et la radio [2].

Korczak avait réussi à placer dans un quotidien tirant à 150 000 exemplaires, sous forme d’encart hebdomadaire, La Petite Revue, entièrement rédigée « par des enfants pour les enfants ». Un seul adulte « un vieux chauve à lunettes, pour qu’il y ait de l’ordre » siégeait à son comité de rédaction : Janusz Korczak, qui se fit rapidement remplacer ; nourrie par un réseau de 2 000 correspondants, La Petite Revue s’est arrêtée avec l’invasion nazie en 1939. L’Association française Korczak, qui donne ces renseignements sur son site, explique que le célèbre éducateur « voyait là un outil de communication, d’incitation à la lecture, d’auto-éducation, de solidarité et de promotion des droits de l’enfant. En parvenant à rétribuer les meilleurs articles reçus (sur des fonds de participation aux bénéfices du journal qui voyait son tirage augmenter), il en avait fait aussi une forme d’aide sociale discrète et valorisante, inédite à cette échelle. »

Que pouvons-nous tirer aujourd’hui de ces expériences pionnières, menées auprès d’enfants très différents de nos élèves ?

La volonté de s’exprimer, d’abord. Cette volonté est considérée comme gênante, à la rigueur à canaliser, par les tenants de la pédagogie (de la non-pédagogie) traditionnelle et de nouveau pleinement officielle [3]. Or, cette expression est vitale, c’est à partir d’elle qu’on passe du désir au travail. Et si elle trouve sa traduction écrite, il va falloir tout à la fois travailler sur l’écrit et tous ses codes, et manier les langages graphiques. Non parce qu’il « faut le faire », mais parce qu’on veut dire quelque chose. Vérifier l’orthographe, du coup, ne sera pas une corvée absurde, mais une nécessité pour ne pas donner de soi une image imprécise.

Il faudra aussi se poser des questions concrètes, économiques (gratuit ou payant ? où trouver les moyens d’imprimer le journal ?) et techniques (le traitement de textes et la photocopieuse ont remplacé l’imprimerie, mais restent les questions de maniement et de disponibilité).

Cette volonté d’expression est nécessairement collective : elle implique de sortir du « moi-je », de faire des choix (celui du titre, par exemple), de passer des compromis. Débattre, relire les articles de chacun à l’ensemble du groupe, c’est réaffirmer une évidence : le journal est un travail d’équipe, qu’il s’agisse de toute une classe ou d’un groupe de volontaires. Seulement voilà : cette volonté d’expression d’un soi collectif n’a de sens que si elle s’adresse aux autres. Dès le départ, il faut se demander si c’est un bon sujet, si la mise en page n’est pas rébarbative. Concession au marketing ? Pas du tout, et ce serait donner la part belle aux marchands que de les croire seuls capables de capter l’intérêt.

Pour cela, il n’y a pas mille recettes. Seulement deux, pratiquées par les revues les plus spécialisées comme dans le plus court des tracts : il faut informer, il ne faut pas ennuyer.

Informer, pour un journal scolaire, cela signifie ne pas recopier les nouvelles de la presse adulte, qu’il s’agisse de la mode ou de la politique, mais chercher ce qui est « nouveau et intéressant », à commencer par le local ; cela peut entraîner des discussions voire des conflits avec les autorités scolaires [4] ; mais c’est indispensable.
Pas ennuyeux ? Ce sont toutes les variations du discours journalistique qui sont dès lors conviées :
le dessin, la BD, l’interview, le billet d’humeur,
le reportage, le vrai-faux reportage (article présentant le réel problème des bagarres avec des photos montées et présentées comme telles), l’enquête,
le micro-couloir, le poème, les mots croisés, le sudoku... À la liberté de chaque équipe.

Du collectif obligé qu’est l’école, faire un cadre d’expression où, parlant aux autres, on exerce ensemble sa plume : le journal scolaire est un lieu espace d’éducation réciproque [5].


[22. Les éditions Ibis Press viennent de faire paraître Pierre Guérin, sur les pas de Freinet, qui retrace le parcours de cet enseignant champenois pionnier de l’audiovisuel : toujours le souci d’utiliser l’outil technique dans une visée émancipatrice où les procédures pratiques et les contenus de savoirs ne sont pas séparés.

[33. C’est sans doute pour cela que le rapport de l’Inspection générale sur l’éducation aux médias (août 2007) laisse prudemment de côté le chapitre des journaux scolaires…

[44. Si, pour les lycéens, la circulaire du
1er février 2002 autorise la publication sans droit de regard préalable du chef d’établissement, tout en lui laissant le droit de suspendre une publication, il n’en est pas de même en collège où le journal doit être relu par celui-ci ; quant à la place de l’enseignant, de la maternelle au collège, c’est un autre débat : voir l’allusion à Korczak en début d’article.

[55. Ce n’est pas exhaustif des fonctions de la presse des enfants et des jeunes ; cf. par exemple le point de vue du psychanalyste Jacques Lévine sur la presse lycéenne sur le site de Jets d’Encre www.jetsdencre.asso.fr