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La recherche ou l’évaluation permanente

dimanche 7 février 2010, par Greg

« Il s’agit aussi de permettre aux meilleurs talents, en recherche, pour l’enseignement et les multiples tâches indispensables dans une université moderne d’être enfin reconnus et récompensés. La condition que l’on y met, c’est d’évaluer ces activités, et de les évaluer régulièrement pour chaque enseignant-chercheur. Franchement,
la recherche sans évaluation, cela pose un problème. D’ailleurs toute activité sans évaluation pose un problème. C’est le Conseil national des Universités, organe indépendant des universités, qui conduira cette évaluation. Écoutez, c’est consternant mais ce sera la première fois qu’une telle évaluation sera conduite dans nos universités, la première. En 2009. Franchement, on est un grand pays moderne, c’est la première fois.” »

(Extrait du discours prononcé par N. Sarkozy à l’Élysée le 22 janvier 2009.)

Par Cécile Quantin et Olivier Plantevin, Enseignants-chercheurs, section Orsay, CNT Éducation 91

C’est ainsi que Sarkozy souhaitait une bonne année 2009 à la communauté scientifique, montrant ainsi son mépris et son ignorance crasse concernant ce milieu.
Car, comment oser dire que les scientifiques (universitaires, chercheurs des organismes publics de recherche, mais également personnels techniques et administratifs) ne sont pas évalués, alors que, comme l’ont rappelé de nombreuses personnalités, nous le sommes en permanence, et cela depuis des années ?
Nous sommes évalués pour nos articles, soumis dans des revues internationales : pas moins de 2, 3, voire quatre personnalités, nos « pairs », reconnus dans le domaine, expertisent nos travaux, les décortiquent, les acceptent pour publication ou au contraire les rejettent… Ce fonctionnement est valable dans tous les pays, pour tous les chercheurs ! Et attention à celui qui n’a pas ses x publications par an au risque d’exclusion de son unité…, au projet refusé ou à la prime réservée systématiquement à des chercheurs plus « performants ».
Pour financer nos recherches, suite à la diminution drastique des crédits récurrents, il faut répondre en permanence à des appels d’offre, ciblés (i.e. sur des thématiques gouvernementales comme les nanotechnologies) ou « blancs », c’est-à-dire ouverts, sans fléchage particulier, qui s’ils sont acceptés seront l’objet de rapports semestriels pour l’Agence nationale pour la recherche par exemple, et d’une gestion bureaucratique, incroyablement lourde effectuée par le chercheur, qui se transforme alors par la magie d’un système en chef de projet ou « manager ».
Bientôt l’enseignant-chercheur sera évalué sur son enseignement, ce qui en soit ne ferait que rétablir la valeur de la double fonction de ce métier. Mais, comment évaluer cet enseignement ? Par un questionnaire étudiant, comme c’est le cas dans certaines universités ? Dans ce cas, nous avons intérêt à mettre de bonnes notes et à ne coller aucun étudiant, pour espérer sauver nos modules ! Surtout dans un contexte de diminution de l’offre de formation, où pour faire face aux explosions budgétaires liées au paiement des heures supplémentaires comme l’exige le nouveau statut des enseignants-chercheurs, les Universités doivent revoir leurs priorités. Une évaluation par le salaire d’embauche des étudiants à la sortie de l’université comme l’avaient proposé certains sénateurs ? Et puis, comment simplement évaluer l’apprentissage, la connaissance ? Y avons-nous intérêt, du moins un intérêt autre que marchand ?
Et enfin on retrouve, comme pour l’ensemble de la fonction publique, la mise en concurrence des scientifiques par un jeu de primes à attribution essentiellement locale au niveau de l’université devenue « autonome », dont le montant pourra être modulable en fonction de « l’excellence scientifique » du candidat, sur des critères non définis...
Tout cela, alors que les bénéficiaires du Crédit impôt recherche (déductions fiscales pour un montant de 1,6 milliard d’euros en 2008 passés à 3,5 milliards d’euros en 2009) ne sont soumis à aucune de ces tracasseries et que Gilles Carrez, rapporteur à la commission des finances de l’Assemblée nationale note les faibles retombées scientifiques du CIR. En effet, contrairement à son objectif officiel qui est de soutenir la recherche privée, il a bénéficié essentiellement aux services bancaires et assurances !
Voilà où en est l’évaluation de la communauté scientifique en France… L’évaluation dans la recherche comme dans les autres domaines publics est présentée comme un outil objectif d’efficacité et de gestion économe de l’argent public, mais c’est bien en réalité un outil au service de réformes idéologiques, pour un contrôle plus étroit de nos activités. ■