(extrait du Combat Syndicaliste n°345 - décembre 2009) http://www.cnt-f.org/spip.php?article1187
On nous annonce que la crise fera moins de chômage qu’il n’était à craindre. Il faut dire que la dernière grande récession de cette ampleur, en 1993, avait vu le taux de chômage monter à 12 % contre environ 9 % aujourd’hui. Le phénomène n’est pas achevé mais, surtout, ce nombre cache le développement de la précarité : temps partiel subi, CDD, intérim…
Plus du quart des salariés dans une situation d’insécurité
Selon une enquête du ministère du Travail, en 2005, 27 % des salariés vivaient déjà une situation d’insécurité dans leur travail. On pense évidemment à ceux qui subissent un contrat précaire : CDD et intérim (12 % des salariés) ; mais on peut ajouter nombre de personnes en CDI qui, soit sont en sous-emploi, soit dans une entreprise menacée (15 % en 2005). La crise actuelle n’a pu que renforcer ce constat de 2005. On se doute des difficultés financières que cette situation entraîne. Mais le mérite de cette enquête est de pointer aussi les effets sur les conditions de travail.
La plupart des intérimaires se plaignent de ne pas connaître leur emploi du temps d’une semaine à l’autre. Les personnes en CDD soulignent qu’elles manquent de « soutien et d’échange avec leurs collègues » : elles n’ont pas vraiment l’impression d’être intégrées dans l’entreprise. Ceux qui subissent un CDI à temps partiel ont le sentiment de servir de volant de régulation ; ils voient leur emploi du temps varier et manquent de moyens pour faire correctement leur travail parfois improvisé. Enfin, dans une entreprise menacée, ils sont souvent contraints de travailler dans l’urgence et sont victimes de tensions au travail et d’accidents. Quand ce genre de situations se répand, c’est tout le collectif de travail qui est affecté.
La dualisation du marché du travail Cela fait longtemps que nombre d’économistes ou de sociologues dénoncent un marché du travail à deux vitesses : insiders et outsiders, marché primaire et marché secondaire… On assiste à la mise en place d’une société où certains seraient protégés par leur qualification et constitueraient le noyau dur des entreprises. Ce sont ces fameuses classes moyennes, voire bobo, cibles privilégiées des publicistes. Autour, pour amortir les aléas de la conjoncture, on aurait une masse de travailleurs peu qualifiés, utilisés au gré des carnets de commande. Les périodes de récession sont souvent mises à profit par les employeurs pour accentuer cette évolution. Ils tentent alors de mettre à mal certaines protections collectives gagnées dans des périodes plus favorables. L’essor de nouveaux secteurs dans les services est également propice car il n’existe bien souvent aucune présence syndicale et peu de traditions de lutte. Attention à ne pas laisser se mettre en place cette « société de serviteurs » dénoncée dès les années 80 par le philosophe André Gorz, où certains feraient les courses et le ménage des plus stables et qualifiés.
La nécessaire solidarité Il ne s’agit pas de faire culpabiliser ceux qui disposent de ce qui devrait être la norme : un emploi stable et correctement rémunéré. Néanmoins, il faut être conscient que la situation sera difficile à défendre si on laisse la précarité se développer comme un cancer. On connait déjà les discours de certains sur les « privilégiés » servant des réformes de nivellement par le bas. Il nous faut prendre conscience de l’urgence de maintenir l’unité de nos collectifs de travail. Nous devons tâcher de briser cet encerclement. C’est ceux et celles qui sont encore un peu en sécurité qui doivent aller au devant des plus fragilisés. La démarche va à l’encontre de nos réflexes, un peu corporatistes, qui nous rapprochent de ceux ayant un statut similaire au nôtre. Nous devons être plus vigilants sur la multiplication des formes de contrat sur nos lieux de travail. C’est également dans la lutte syndicale et revendicative que nous pouvons tisser des solidarités et des identités collectives fortes. À ce titre, la lutte menée par les travailleurs sans papiers depuis près d’un an mérite toute notre attention et le soutien le plus large.
C’est le même bâton qui nous frappe : tâchons de rendre les coups.
Rico@éduc69