Rentrée des classes chaotique au collège Barbusse de Vaulx-en-Velin : les travaux de restructuration ne sont pas terminés alors que l’on emménage, nous passons à deux doigts de la grève pour des soucis de sureffectifs et l’assistante sociale nous alerte. Il y a visiblement des familles qui nous arrivent et qui ont dormi à la rue cet été. Il va lui falloir quelques jours pour faire le point. Notre établissement compte 600 élèves, dont 80% avec un dossier chez l’assistante sociale, voilà la réalité des quartiers dits sensibles.
Une semaine plus tard, tout s’accélère. En même temps que nous recueillons des éléments sur ces familles, le tableau se noircit, et le mardi 10 septembre 2013, jour de la grève contre la réforme des retraites, une première famille est à la rue, puis une seconde le mercredi. Toutes les deux sont pourtant en situation régulière : les enfants de la première sont français, la seconde se trouve sur le territoire avec une carte d’un an renouvelable. Toutes deux souffrent du même mal : la misère. Et l’hébergement d’urgence affiche complet dans le Rhône comme dans beaucoup de départements depuis des mois, faute de crédits. Les effectifs sont peu nombreux ces deux jours, les collègues présents gèrent comme ils le peuvent, un d’entre eux via une association paie des nuits d’hôtel jusqu’au jeudi où nous serons tous là.
Jeudi 12 septembre, les personnels du collège communiquent en direction de la Préfecture responsable du logement, du Conseil général propriétaire des locaux et responsable de l’enfance en danger, du Rectorat de Lyon et de la mairie de Vaulx-en-Velin : ce soir ces deux familles ne dormiront pas dehors, elles seront logées dans le collège occupé s’il le faut ! Les personnels n’accepteront pas de dispenser des cours à des élèves qui doivent dormir dans la rue. Nous demandons que le Conseil général mette à disposition les appartements de fonction du collège Jean Vilar situé à deux kilomètres comme cela a été fait par deux fois en février et juin ou que la Préfecture les loge temporairement, en réquisitionnant ces appartements vides ! Il faut du temps à l’assistante sociale du collège pour trouver des solutions pérennes comme cela avait été le cas pour les deux familles précédentes. Ultimatum est donc fixé pour une réponse à 15 heures aux autorités.
À 15 heures, silence radio, ce sera donc l’occupation pour loger les familles, avec battage médiatique maximum. Après tout, le 115 est en faillite depuis des mois, plus de 700 personnes sont à la rue dans le département. Cette mobilisation permettra peut-être de remettre en lumière ces problèmes de logement, alors que de nombreux appartements sont vides. Le premier communiqué de presse des personnels tombe, bientôt repris par l’AFP et le relais est immédiat sur les sites web de la presse écrite. Sur place, l’occupation se prépare : tapis des salles de sport pour dormir, courses pour le repas du soir et le petit déjeuner. À 19 heures, le chef d’établissement nous demande de quitter l’établissement, ce que nous refusons, l’occupation est donc effective. Une vingtaine de personnes dormiront ici pour accompagner les familles et faire des images le lendemain matin, sac de couchage sur le dos, devant les caméras de télévision.
Vendredi 13 septembre, la mairie est toujours injoignable, la Préfecture et le Conseil Général ne répondent à personne, pas même aux journalistes. Le Rectorat se défile, disant qu’ils ne sont pas responsables de ces questions. Alors que l’occupation se poursuit durant le week-end au fil des communiqués de presse pour maintenir la pression, seule la mairie de Vaulx-en-Velin finit par envoyer un communiqué de soutien et fixe un rendez-vous pour le lundi. Le week-end se passe au collège dans la bonne humeur, malgré la tension, en particulier celle des familles. Les personnels se sont relayés tout au long du wek-end pour assurer une présence auprès des familles, nous nous sommes organisés pour vivre ensemble, cela avec le soutien de camarades de lutte ou de personnes simplement solidaires de la nôtre. Ainsi les repas du week-end, dont un couscous, nous ont été apportés de l’extérieur.
Lundi 16 au matin, la nouvelle tombe par voie hiérarchique : les deux familles seront logées sur réquisition du Préfet dans les logements du collège Jean Vilar, comme nous le demandions depuis le jeudi. Ce dernier le confirme le matin-même lors d’une interview à Lyon Capitale. Les personnels communiquent également la nouvelle à la presse devant les caméras de France 3 ; c’est la joie au collège et pour les deux familles. Mais à 11 h 45, nouvelle info du Directeur académique via le principal : les familles ne sont plus dans les logements de Jean Vilar, mais dans un autre lieu. L’AFP confirme cela, en précisant que c’est au foyer de notre dame des sans abris, sans pouvoir préciser la localisation de celui-ci. La préfecture va-telle jouer l’éloignement des familles pour les couper de leurs soutiens ? La confusion est totale, et nous sentons que nous sommes en train de nous faire manipuler. Pendant ce temps la fausse nouvelle de la réquisition tourne de partout dans les médias et les SMS de félicitation pleuvent... nous vivons un moment surréaliste. Après avoir sommé en vain la Préfecture de préciser quelle solution est retenue, les personnels décident de débrayer l’après-midi même et de se déplacer pour que le préfet leur explique de vive voix ces revirements de position. C’est le sous-préfet Bruno André qui nous recevra « en urgence ». Il dira devant les deux mamans « ce n’est pas de notre faute si ces familles sont dans cette situation, c’est elles qui l’ont choisi », car il est évident que l’on choisit la misère ; ou encore « je ne suis pas là pour vous répondre ni pour négocier, je suis là pour écouter ». Malheureusement, nous étions venu-e-s chercher des réponses, en vain encore une fois. Il ne sait pas pourquoi la réquisition de ce matin n’est plus possible, il ne sait pas quel hôtel a été choisi, il ne sait pas pourquoi il est répété depuis ce matin dans les médias que les deux familles sont en situation irrégulière. Son discours n’est pas crédible, il quitte même la réunion après nous avoir dit qu’il avait 10 000 choses à faire. D’ailleurs en sortant de la réunion, nous apprenons que le chef d’établissement vient de recevoir presque conjointement les coordonnées d’un hôtel à Irigny où une des deux familles est attendue, ainsi que celle du centre du 115 pour l’autre. Ils avaient donc l’info. Langue de bois, manipulation médiatique, manipulation de la lutte, manipulation de l’opinion publique et cynisme, nous sommes atterrés, mais le pari est néanmoins gagné : alors que le 115 ne prend plus personne depuis des mois, nos familles sont rentrées dans le système, un peu loin certes, avec du transport certes, mais sous un toit, et avec du temps pour trouver des solutions pérennes. Quant à nous, nous avons vécu une formidable expérience humaine, les familles ont été portées par cet élan lors de moments particulièrement difficiles de leur situation et nous avons été étonnés des soutiens que nous avons reçus de toute part : messages de sympathie, solidarité financière, nourriture… Nous ne sommes donc pas les seul-e-s à être révolté-e-s par la situation.
La charité c’est bien, mais l’autonomie et la dignité c’est mieux. Combien d’élèves SDF dans les établissements scolaires du Rhône ? À nous de refuser la fatalité. Comment enseigner le vivre ensemble et parler de valeurs à des enfants qui dorment dehors ? La place d’un enfant, d’un ado, n’est pas sur le pavé, et les petits-déjeuners préparés le matin dans les écoles pour les élèves SDF ne remplacent pas un toit. À l’heure où le préfet vide les squats en prévision de la trêve hivernale, occupons nos locaux, nos établissements, nos écoles, médiatisons nos luttes, appelons à la solidarité les habitants du quartier, les collègues, les syndicats, interpellons les politiques, et exigeons simplement le droit, l’application de la loi, la protection de l’enfance, et ce d’autant que sur l’agglomération, comme partout, de nombreux logements sont vides. Retrouvons, réaffirmons, assumons notre éthique et n’ayons pas peur d’affirmer aux yeux de tous : non, ce n’est pas acceptable, la machine d’État ne peut pas être une machine à broyer l’humain.
Les sections syndicales SUD et CNT du collège Barbusse