Première phase de résistance sociale

La première offensive lancée par la Mairie de Paris l’encontre du 33 rue des Vignoles date de 1994. Le maire de Paris, alors Jean Tiberi - le père, décide d’expulser les locataires du 33, c’est-à-dire la CNT-F, la CNT-E qui regroupe les anciens de la révolution espagnole de 1936, mais également des artistes dont les ateliers sont là depuis plusieurs années, l’Association culturelle Flamenco en France (FEF) présente depuis 1984, ainsi qu’un artisan. La mairie vient tout juste d’acquérir le lieu qui appartenait à un propriétaire privé, et auquel un loyer était régulièrement payé. L’objectif de la municipalité est double : céder cet espace à cette race particulière, « les prédateurs du béton » [1] qui ont les dents longues et les poches profondes, et extirper du paysage syndical et social de la capitale cette verrue autogestionnaire implantée dans un quartier encore populaire, insérée dans les luttes sociales et porteuse d’un projet anticapitaliste.

Hommage à La Nueve

Mais l’ensemble des occupants organise alors une résistance collective, constituant une association, « Les Pas Sages des Vignoles ». Après deux années de guérilla sociale plus tard, d’initiatives sur le quartier, de réunions publiques, la mobilisation culmine avec l’organisation d’une manifestation en direction de l’Hôtel-de-Ville qui regroupera entre 1500 et 2000 personnes. Temps fort de ce combat qui se solde par un recul de la droite alors au pouvoir. Un article dans Le Monde rend alors hommage à certains des locataires du 33, ceux qui dans le prolongement de la lutte contre le franquisme, ont, en 1939, poursuivi la lutte en combattant contre le nazisme. Au sein de la division Leclerc qui libère Paris en août 1944, deux sections de la 9e compagnie, appelée « la Nueve », pénètrent dans la capitale le 24 août [2]. Cette compagnie comprend 146 républicains espagnols sur 160 hommes. Parmi eux, de nombreux anarcho-syndicalistes. En outre, dans les occupants du 33, Roque Llop [3], revenu vivant de Mauthausen et toujours investi dans l’activité de la CNT en exil.

Reprise en pointillés des négociations

Le maintien dans les lieux assuré, s’ouvre alors une période de négociations pour trouver un accord sur les modalités pour déterminer un nouveau loyer en intégrant les spécificités des locataires : des syndicats, une association culturelle, des artistes, un petit artisan. Pour la CNT, Yves Peyraut [4] présentera même un projet de Bourse du travail annexe, autogérée. Le processus de négociations est interrompu par la disparition accidentelle de notre interlocuteur à la mairie de Paris, et aucun relais ne sera mis en place. Et si des contacts épisodiques ont lieu avec la mairie de Paris au cours des années 2000, ce n’est qu’en 2011 que la nouvelle équipe municipale relance les échanges avec les occupants, un interlocuteur spécifique gérant les relations avec la CNT.

La perspective du bail emphythéotique

Plusieurs rencontres ont lieu, dont une avec le directeur de cabinet du maire, afin de fixer les conditions de maintien dans les lieux. En parallèle, sont lancées à l’encontre des artistes des actions judiciaires, qui avortent. Plusieurs hypothèses sont évoquées pour la CNT, dont celle de la mise en place d’un bail emphytéotique de 30 ans, en échange de lourds travaux, totalement à la charge de la CNT. Plusieurs pistes existent en ce qui concernent les travaux : augmentation des mètres carrés de la CNT (Un artiste est parti, un locataire a été relogé) ou projet sur l’existant actuel. Une étude est même réalisée par la CNT sur le plan architectural. Lors des entretiens, un directeur du cabinet évoque une troisième possibilité : l’expulsion de notre confédération.

L’expulsion, la droite en a rêvé, la gôche le réussira-t-elle ?

Ces échanges sont stoppés brutalement, de manière unilatérale, par un courrier du 14 octobre 2013 du nouveau dir cab du maire qui décrète que la CNT n’a pas les moyens de financer les travaux et qui sort de son chapeau la notion de dangerosité quant au maintien dans les locaux des occupants actuels. Une proposition de relogement est même faite. Cette proposition est rejetée par les syndicats de la CNT de la région parisienne. Indépendamment de la manière utilisée par le cabinet du maire, qui ne propose même pas un entretien pour débattre du sujet, ce qui est en jeu va bien au-delà d’un simple relogement.

Défendre un espace syndical et social autogéré, un lieu de la mémoire combattante, un carrefour internationaliste, une pratique culturelle et intellectuelle alternative, une ouverture sur le quartier, un présent porteur d’un avenir non soumis aux lois de la marchandise.

La suite

Également au sommaire :

  • Le ciment de l’entraide
  • Des sous pour la souscription

[1Les Prédateurs du béton, Nicolas de La Casinière, éditions Libertalia.

[2La Nueve, 24 août 1944, ces républicains espagnols qui ont libéré Paris, d’Evelyn Mesquida, traduit de l’espagnol par Serge Utgé-Royo, Cherche-Midi éditeur, disponible auprès du service-librairie de la CNT, 33 rue des Vignoles 75020 Paris. 18 euros + 4 euros de frais de port.

[3Llop Convalia Roque, 1908- 1997, libertaire, membre de la CNT-E, déporté au camp de concentration de Mauthausen de Janvier 1941 au 5 mai 1945, il fera partie des rares survivants. A assuré durant de nombreuses années une permanence au 33, une plaque a été apposée en hommage à ces itinéraires.

[4Yves Peyraut, 1934-2002, militant de la CNT et de la Fédération anarchiste, auteur de « Radio Libertaire, une voix sans maître », éditions du Monde libertaire.