Lettre d'information de la CNT en région parisienne
Abonnez-vous à la lettre d'information électronique mensuelle de la CNT en région parisienne pour être tenu au courant de nos activités.
Au-delà des mesures spécifiques qu’elle comporte, la loi dite « travail » comporte un choix de société bien établi. Celui d’une société capitaliste libérale accomplie, avec pour toile de fond « l’individu », son « capital » et sa soi-disant « liberté ».
Quelques exemples de cette logique :
- contre le droit protecteur du faible (le travailleur) face au puissant (le patron), du fait, par exemple, du lien de subordination qui oblige le salarié à obéir à son employeur et à être loyal vis-à-vis de son entreprise, elle privilégie la logique du contrat entre soi-disant égaux, à l’image d’un contrat commercial ou d’un contrat de mariage. C’est ce qu’on appelle l’inversion de la hiérarchie des normes ;
- dans la droite ligne du rapport Badinter, elle place le bon fonctionnement de l’entreprise au même niveau que les libertés et les droits fondamentaux des salariés et permet donc de justifier que des limitations y soient apportées ;
- contre la démocratie sociale, celle des organisations syndicales, elle veut imposer le référendum, c’est-à-dire l’individu-salarié seul face à son patron. Or si la pression et les chantages sont déjà forts sur les délégués syndicaux, qui ont pourtant un statut de protection contre le licenciement, imaginez la pression dont seront et sont déjà victimes des salariés sans protection, d’autant plus lorsqu’ils sont précaires (CDD, intérim, pigistes, intermittents, stagiaires, contractuels ou vacataires de la Fonction publique, etc.). La démocratie ne fonctionne qu’entre égaux, or, dans une entreprise, il n’y a pas d’égalité, donc pas de démocratie... ;
- contre le principe de socialisation des risques par les cotisations sociales (et non les « charges », termes de la novlangue libérale), notamment la sécurité sociale, le 1% logement, les allocations chômage, etc.) et la primauté des règles collectives, elle impose le CPA (compte personnel d’activité) après le CPF (compte personnel formation) ou le compte pénibilité, défini comme un « capital individuel » accumulé par chacun dans son parcours de vie : l’individu devient entreprise, le vieux rêve capitaliste libéral est affirmé ;
- contre le CDI, elle impose la flexibilité et la précarité, via les CDD et autres contrats précaires bien sûr, mais également via l’intérim, la sous-traitance, voire l’autoentrepreneuriat : elle remet en cause par la multiplication des statuts toute forme de collectivité de travail, et sépare les travailleurs en individus isolés.
Ces quelques illustrations constituent le fond idéologique de la loi travail, dans la droite ligne des lois précédentes (le prétendu « volontariat » des salariés pour le travail le dimanche, la rupture conventionnelle ou les départs dits « volontaires » en cas de licenciements économiques ; la culpabilisation des sans-emploi, à travers le RSA-activité ou la dégressivité des allocations chômage ; l’augmentation des annuités et le renforcement de la notion de contributivité en termes de retraite ; la rémunération au mérite plutôt que les augmentations collectives : les mutuelles et assurances privées contre la sécurité sociale ; la participation et l’intéressement contre le salaire, etc.).
Il s’agit bien d’imposer un modèle de société : celui d’un capitalisme libéral triomphant où l’individu isolé, juridiquement responsable de sa vie, capitalise dans son coin pour son intérêt propre. Et pour ceux qui resteraient sur le bord du chemin, l’État fera l’aumône : quelque 400 euros par mois de RSA ou de « garantie jeune », quelque 700 euros de minimum vieillesse... En imposant bien entendu un flicage de ses « assistés » : obligation d’accepter des petits boulots mal payés, cumul emploi-retraite, etc.
Mais cette logique de société est un mythe. Les individus ne sont pas libres et égaux. Le capitalisme est fondé justement sur une distinction claire : ceux qui détiennent les moyens de production (le capital) et le pouvoir social qui en découle directement (actionnaires) ou indirectement (DRH, cadres dirigeants, etc.), contre ceux qui n’ont que leur travail pour vivre. C’est ce qu’on appelle la lutte des classes. Ici, il n’y a pas de place pour l’égalité ou la liberté ou pour des « partenaires sociaux ». Que l’État et le gouvernement prétendent et assènent le contraire montre clairement leur place : assurer la continuité du capitalisme et de cette division en classes sociales.
Toutefois, les travailleurs, à travers l’histoire, ne sont jamais restés sans rien faire. Ils ont arrachés, au prix de l’exil, de la prison, voire de leur vie, des droits : de s’organiser en syndicats, de faire grève, d’avoir des congés payés, de limiter le temps de travail, d’obtenir réparation en cas de licenciement, d’avoir une sécurité sociale et des allocations chômage, d’interdire le travail des enfants, d’imposer des conventions collectives et des salaires minimum, etc. Non pas en se lamentant ni en demandant gentiment aux puissants, mais en exigeant, en s’organisant et en luttant. Sans la Commune de Paris en 1871, les bourses du travail, les grèves pour la journée de 8 heures au début du XXe siècle, les grèves générales de 1936 ou 1968, la Résistance et le CNR en 1945, et combien d’autres luttes encore, il n’y aurait pas besoin de loi El Khomri pour assurer le triomphe du capitalisme.
Obtenir le retrait de la loi travail, comme nous avons obtenu celui des plans Jospin en 1991 et Juppé en 1995, du CPE et CNE en 2006, voilà donc l’enjeu immédiat, certes. Mais, surtout, il nous faut opposer notre logique, notre modèle de société à celui du capitalisme dans sa version la plus libérale. Retrouver les voies de l’auto-organisation collective, de l’autonomie des travailleurs (avec ou sans emploi), renouer avec les origines du syndicalisme, sans permanents ou dirigeants autoproclamés négociant à Matignon la longueur de nos chaînes.
Acter que notre monde ne connaît pas l’égalité et la liberté, mais que c’est à nous de les construire dans nos propres institutions et non pas à travers celles que veulent nous imposer patrons et dirigeants politiques. Accepter sereinement que nous notre arme est la solidarité quand la leur est de nous individualiser :
- revendiquer qu’il est plus égalitaire et juste de socialiser les richesses (par la sécurité sociale ou en assurant un véritable salaire à toutes et tous, quel que soit le « parcours de vie ou professionnel », par exemple) que de les capitaliser chacun dans notre coin ;
- renforcer nos libertés réelles, par exemple en donnant accès aux allocations chômage aux gens qui démissionnent ;
- renforcer nos droits et protections collectives en étendant le droit syndical pour tous quelle que soit la taille de l’entreprise et le statut (vacataires ou contractuels notamment), en rétablissant la hiérarchie stricte des normes ou les autorisations administratives de licenciement, ou encore en supprimant la loi Macron et les décrets qui par exemple restreignent les pouvoirs des CHSCT ;
- défendre nos « libertés fondamentales », avec le retrait de l’État d’urgence, l’amnistie des militants de Goodyear, Air France, La Poste et autres ou encore la liberté d’affichage et de diffusion de tract dans l’espace public ;
- imposer la solidarité de classe et la liberté des peuples : accueil des migrants, arrêt des guerres impérialistes, liberté de circulation des hommes plutôt que celle bien réelle des capitaux.
Autant de pistes, de réflexes, d’idées et surtout de pratiques à mettre en œuvre dès aujourd’hui, ici et maintenant. Notre liberté, notre égalité, notre fraternité, ne seront pas le fruit de lois étatiques ou d’une soi-disant République qui a perdu ses fondements révolutionnaires et sociaux.
Derrière la loi travail se cache un choix de société : transformer les individus en petite entreprises concurrentielles, une société capitaliste accomplie. Face à cette logique, c’est un autre futur que nous devons construire. Par la grève générale et la révolution sociale. Ne nous cachons pas, assumons, notre avenir et notre modèle de société ne dépendent que de nous.
Ne nous lamentons pas, organisons-nous !