À l’occasion du débat parlementaire sur les retraites, un petit cavalier parlementaire pointe le bout de son nez : la réforme de la médecine du travail. Cette « réforme dans la réforme » presque personne n’en parle et pourtant il s’agit ni plus ni moins que la mise sous tutelle de la médecine du travail. Tutelle de qui ? Du patronat bien sûr.
Un amendement à la réforme des retraites a en effet été proposé par le gouvernement le 8 septembre. Celui-ci remet en cause le principe d’indépendance de la médecine du travail posé en 1946 du fait des missions confiées au médecin du travail.
I. L’indépendance de la médecine du travail en question
Les articles L. 4622-2 et L. 4622-4 du code du travail actuel sont abrogés par le projet de loi.
L’article L. 4622-2 prévoyait que « les services de santé au travail sont assurés par un ou plusieurs médecins qui prennent le nom de médecins du travail ». L’article L. 4622-4 du code du travail indiquait que « les services de santé au travail font appel soit aux compétences des CRAM […] soit à des personnes ou organismes […]. Cet appel aux compétences est réalisé dans des conditions garantissant les règles d’indépendance des professions médicales et l’indépendance des personnes ou organismes associés ».
Selon le nouvel article L. 4622-1-2 du code du travail, un transfert des missions du médecin du travail s’opérera au directeur du service de santé au travail, au sein duquel les médecins du travail travaillent « en lien avec les employeurs et les salariés désignés pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels ou les intervenants en risques professionnels ».
Le mot « indépendance » a disparu ! Mince alors… Certes, pour qui a déjà eu affaire aux médecins, il est clair que la plupart sont loin d’être des gauchistes « couteau-entre-les-dents ». Certains donnent même parfois la désagréable impression d’être les avocats du patron pour les questions de santé. Il n’empêche que d’autres continuent tant bien que mal à essayer de faire honnêtement leur boulot malgré les pressions patronales.
On peut donc légitimement s’inquiéter de la disparition de la notion « d’indépendance » et s’interroger sur la véritable place de l’employeur dans les services de santé au travail.
II. La pluridisciplinarité dans les services de santé au travail
L’article L. 4622-7-2 du code du travail, introduit par le projet de loi prévoit que « les missions des services de santé au travail sont assurées par une équipe pluridisciplinaire de santé au travail composée au moins de médecins du travail, d’intervenants en prévention des risques professionnels, d’infirmiers et, le cas échéant, d’assistants des services de santé au travail ».
Cet article implique le transfert d’une partie des tâches actuellement dévolues aux médecins du travail vers les infirmières. Ce qui est pour le moins inquiétant tant du point de vue du diagnostic que du point de vue de l’indépendance.
III. La désignation des salariés pour s’occuper de la prévention
Afin de toujours répondre à cette volonté de pluridisciplinarité, un article L. 4644-1 est créé, dans le code du travail, par le projet de loi qui prévoit notamment que « l’employeur désigne un ou plusieurs salariés compétents pour s’occuper des activités de protection et de prévention des risques professionnels de l’entreprise ».
Vous avez bien lu : « L’employeur désigne… ». On croit rêver. Et pourtant les rêves du patronat risquent de devenir notre cauchemar bien réel.
IV. Le suivi de certaines catégories de métiers par un généraliste
L’article L. 4622-9 du code du travail, issu du projet de loi, dispose qu’un accord collectif de branche étendu peut prévoir que le suivi de certaines catégories de travailleurs soit effectué par des médecins non spécialisés en médecine du travail. Sans commentaire…
V. La pénibilité du parcours professionnel
Le titre IV du projet de loi, relatif à la pénibilité du parcours professionnel, insère également deux articles au code du travail concernant le carnet de santé et les conditions de pénibilité.
A. Le carnet de santé
L’article L. 4624-2 du code du travail prévoit notamment qu’« un carnet de santé au travail, constitué par le médecin du travail, retrace dans le respect du secret médical les informations relatives à l’état de santé du travailleur, aux expositions auxquelles il a été soumis, ainsi que les avis et propositions du médecin du travail ».
B. La fiche sur les conditions de pénibilité
Dans la logique du document unique d’évaluation des risques un nouvel article L. 4121-3-1 est ajouté au code du travail. « Pour chaque travailleur exposé à un ou plusieurs facteurs de risques professionnels déterminés par décret et liés à des contraintes physiques marquées, à un environnement physique agressif ou à certains rythmes de travail susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur sa santé, l’employeur consigne dans une fiche, les conditions de pénibilité auxquelles le travailleur est exposé et la période au cours de laquelle cette exposition est survenue ».
Conclusion :
Derrière l’alibi de la prise en compte de la pénibilité, on organise la mise sous tutelle définitive de la médecine du travail. Les médecins du travail devraient ainsi désormais être sous la coupe d’un d’organisme paritaire divisé entre employeurs et salariés désignés… par les employeurs. Alors bien sûr le projet ne dit pas explicitement « sous la coupe de » mais « en lien avec ». Au passage, le mot indépendance ayant disparu par miracle, on a compris le message.