Mardi 13 avril, une délégation de la CNT 30 se rend au dépôt SNCF de Nîmes rencontrer les cheminots en grève depuis une semaine. Ambiance bon enfant, drapeaux rouges CGT au vent à l’entrée, les grévistes palabrent en attendant que la bouffe du midi soit prête. D’autres camarades s’en chargent. Les cheminots de Nîmes sortent d’une action où ils ont un peu bousculé le responsable local de la SNCF, qui refusait de dialoguer, au point de manquer de l’emplâtrer dans les murs de la gare. Comme ce sera le cas deux jours plus tard quand ils descendront sur Montpellier demander audience au responsable SNCF du Languedoc Roussillon, le même réponse leur sera faite : pas de négociation tant que la grève se poursuit. Pas le don de refroidir les ardeurs : demain, jeudi 15, c’est devant la préfecture du Gard que les cheminots en lutte et leurs fumigènes rappelleront qu’ils existent et en veulent.
Entre le cassoulet du midi et le fromage du dessert, petite pause dehors, verre de rouge en main, pour profiter du soleil radieux, et faire un premier bilan de la lutte. Au micro de Radio CNT, à ma droite Eddy, aiguilleur et délégué CGT, à ma gauche Jean Loup cheminot du fret et militant de la CNT 30.
Quand cet article sera publié, la lutte continuera ou aura été stoppée. Cet entretien a donc valeur de témoignage sur un état d’esprit. Celui du rail et de ses Hommes.
Pour commencer, à ce jour du mardi 13 avril, elle en est où la mobilisation au niveau local comme au niveau national ?
Eddy : Au niveau des roulants, c’est à dire de la conduite et des contrôleurs, elle tourne majoritairement autour de 60 à 70 % sur la région Languedoc - Roussillon. A l’exploitation (personnel de l’accueil en gare, vente des billets et des postes d’aiguillage) c’est plus modeste avec 15% de grévistes. Sur la France, je n’ai pas les chiffres mais il y a plus de 10 régions où tout est bloqué comme ici. Ce n’est pas évident d’évaluer le taux de réel de grévistes. La Direction ne communique pas ou diffuse des chiffres qui sont faux. On est obligé de pointer dans les services et de faire les totaux. Mais on se rend compte que la production est bloquée. Il n’y a quasiment aucun TER qui ne fonctionne depuis 7 jours. Il roule peut être 20 trains par jour ce qui est minime. C’est essentiellement l’encadrement qui fait le taf. La SNCF est obligée d’affréter des bus pour transporter les usagers d’une gare à l’autre. Le point faible de la grève mais ce n’est pas étonnant, c’est l’absence dans le mouvement de conducteurs de TGV. On peut le regretter mais c’est souvent comme ça.
Jean Loup : Des actions plus radicales commencent à se multiplier. Des cheminots ont été chargés par des CRS à Clermont Ferrand (quelques blessés des deux cotés). Des cheminots qui avaient investi un poste de régulation ont été éjectés par des CRS à Toulouse, le dépôt de Perpignan a été repeint ainsi qu’une rame TGV, des dépôts ont été vidés des cadres... La tension commence à monter. Aujourd’hui la Direction commence à sérieusement s’inquiéter car ce week-end est un week-end de vacances et ils se rendent compte qu’il y a peu de chance que les gens puissent circuler correctement. Je pense que cela devrait au moins aller jusqu’a la fin du week-end maintenant si cela prend bien sur Paris et dans le Nord cela n’est pas prêt de s’arrêter !! Espérance quand tu nous tiens.
Les revendications du mouvement ?
Eddy : Sur les revendications nationales, on veut aller chercher 2000 emplois. Alors que pour 2010, la SNCF prévoit la suppression de 3600 postes sur tout le territoire. En 7 ans il est prévu de supprimer 22 000 emplois. Il s’agit en fait de départ en retraites sur des postes non remplacés. Ces suppressions ne touchent pas tant la traction. Il y aura toujours besoin de conducteurs pour tirer des trains. C’est plus dans d’autres services comme la vente de billets ou encore au matériel qu’ils peuvent se permettre des laisser des postes vacants ou recourir à des stagiaires, de l’intérim ou à des CDD pour faire le taf. On rejette toutes les mesures qui visent à restructurer les différentes parties de l’entreprise pour en faire des produits. Produits qui quand ils seront rentables seront vendus à des entreprises privées. Au niveau régional on demande l’embauche des CDD. On demande des emplois pour tenir les cadres d’organisation afin que les services soient les meilleurs possibles. On demande aussi l’arrêt des pratiques managériales et les pressions que subissent les collègues dans certains services. Sur les retraites, on a été bien mobilisé le 23 mars dernier durant 24h. Nombre de non grévistes nous disent qu’ils se réservent pour se battre quand le dossier retraite sera à l’ordre du jour. Je veux bien l’entendre. Maintenant j’ai des doutes qu’ils fassent des miracles. Pour moi la mobilisation actuelle sur les salaires, les effectifs et les conditions de travail est intiment liée à la question des retraites. Si on a plus de statut on aura de toute façon des retraites différentes. D’où l’intérêt de se battre dès aujourd’hui et ne pas attendre un hypothétique mouvement sur les retraites.
Concrètement depuis le début de la grève, comment faites vous vivre cette mobilisation ?
Eddy : Tous les matins sur la gare de Nîmes, il y a des piquets chez les contrôleurs et les conducteurs à l’endroit où ils prennent le service. A partir de 4 h, les cheminots qui s’occupent du matériel se retrouvent aussi sur le piquet à l’entrée des ateliers pour accueillir les non grévistes et l’encadrement. Pour l’exploitation c’est plus difficile, on essaye de chopper les collègues quand ils arrivent.
Et la sauce prend ?
Eddy : Chez les roulants et les contrôleurs, ils sont au maximum de ce qu’ils peuvent faire en nombre de grévistes. Ils ont déjà convaincu le maximum de cheminots. Le mouvement ne peut plus s’améliorer en nombre. Le mouvement ne peut que se durcir. Dans mon service par contre, l’exploitation, vu que la mobilisation ne représente que 10% des personnels on ne peut qu’aller vers le haut en terme de grévistes. Mais c’est beaucoup plus difficile pour nous que pour les roulants. On se fatigue vraiment en cherchant en vain à faire grossir la mobilisation.
Jean Loup : Je me rends compte que les grèves étaient, il y a pas si longtemps, plus rapide à prendre forme. Les cheminots s’installaient plus rapidement dans un mouvement. C’est un détail mais la pétanque attaquait plus vite dès les 2 ou 3 premiers jours. Nous on est là cela fait 7 jours. La mobilisation tient en terme de pourcentage mais les gens ne viennent pas trop. Seuls les ultras, les plus motivés sont là sur le piquet, aux bouffes. La première pétanque au bout d’une semaine cela me fait bizarre. Les gens sont en grève mais restent chez eux. Ils ne montrent pas aux autres qu’ils sont là. Ce côté individualiste est aussi présent, hélas, chez nous. Et quelque part cela induit une démobilisation. Car plus on est nombreux, plus on se monte les uns les autres et on évoque collectivement nos problèmes.
Vu de l’extérieur on a l’impression que la corporation des cheminots demeure une corporation où la conscience de classe est toujours très forte. Est-ce encore aujourd’hui vraiment le cas ?
Jean Loup : L’esprit de lutte demeure chez certains jeunes, quand comme moi, qui suis rentré à la SNCF il y a un peu de plus de 10 ans, j’ai été pris en charge par les vieux. Cette vieille génération m’a transmis cette hargne. On m’a biberonné en me ressassant des histoires comme le fait, dans un passé pas si lointain, de se mettre en grève sans motif particulier. Si un gars déposait son sac à l’entrée de l’atelier et disait aujourd’hui on fait grève, les autres s’arrêtaient. Le motif importait peu, ce qui importait c’était de faire corps. Aujourd’hui, cela a beaucoup changé comme la société en général. Maintenant il faut les convaincre de se mettre en grève. Avant il fallait les convaincre de s’arrêter. On dit que la SNCF est un bastion de la contestation. Je relativiserais. Les cheminots ont leurs petits soucis, avalent de la télé. Il reste encore un petit truc de cet esprit mais il a tendance à s’éteindre avec les nouvelles générations. Alors quand on regarde en arrière et ce que nous racontent les vieux, on peut se dire qu’ils avaient la rage qui leur avait été transmis par leurs pairs. Mais qu’au fond bien souvent les motifs étaient des broutilles en comparaison à notre combat aujourd’hui. Les motifs de faire grève aujourd’hui sont beaucoup plus lourds puisqu’il s’agit d’enrayer une logique de privatisation et de filialisation des services de la SNCF.