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Accueillir des élèves autistes, oui, mais comment ?

mardi 12 juin 2012, par Greg

Formateur à l’Adaptation et au handicap scolaire à l’IUFM de Créteil, je suis particulièrement concerné par cette question.
Elle me taraude depuis quelques années passées à observer les effets de la loi de février 2005.

Mes interrogations sont apparues au fil des observations dans les différents établissements scolaires. Elles plongent leurs racines dans mon expérience de formateur d’une part, et de chercheur d’autre part puisque je suis actuellement en thèse de linguistique sous la direction de L. Danon-Boileau, linguiste, psychanalyste, spécialiste des troubles de la communication et du langage chez les enfants autistes.

L’institution scolaire peut-elle penser le trouble autistique ?

La situation actuelle suscite de nombreuses questions qui peuvent être synthétisées en une seule. Je me demande, aujourd’hui, si l’institution scolaire peut penser le trouble autistique. En effet, si l’école peut et doit scolariser les élèves atteints de cette pathologie, est-elle pour autant en capacité de concevoir et d’intégrer dans sa conception même de l’apprentissage, de l’évaluation, de l’accompagnement, les particularismes qui caractérisent l’autisme ? Autrement dit, penser la différence comme singularité qui ne fasse pas obstacle à la scolarisation ? Bien entendu, je parle de l’enseignement ordinaire et de sa capacité à accueillir, inclure l’élève autiste. Les dispositifs spécialisés (ASH) mériteraient un autre article.

Au fil des observations, et des conversations avec les enseignants, il semblerait que c’est un pari qui n’est pas aujourd’hui relevé par le système éducatif français.

Comprendre l’autisme pour mieux accueillir l’élève

Penser l’autisme c’est, dans un premier temps, permettre aux enseignants de comprendre cette pathologie en leur donnant les éléments fondamentaux qui la caractérise que sont les troubles de la communication, ce qui n’est pas rien lorsqu’on doit accueillir un élève dans un groupe classe, les troubles du langage dont on saisit toute l’importance lorsqu’il s’agit d’apprentissages scolaires, ainsi que les comportements stéréotypés, une pensée concrète qui peut être obsessionnelle et qui rend ces élèves si étranges pour qui ne sait rien de cette pathologie.

Certes, il y a eu des brochures explicatives éditées par le ministère offrant les informations élémentaires afin que l’enseignant concerné par l’accueil d’un élève autiste puisse mettre en place les conditions nécessaires à sa scolarisation. Pour autant, quels sont les établissements qui les ont reçues ? Quels sont les professeurs qui les ont en leur possession ? Quelle a été leur diffusion et leur impact ? Excepté les inspections du premier degré, et plus encore les inspections spécialisées, rares sont les établissements du secondaire qui en ont été destinataires. De fait, un nombre trop important d’enseignants sont restés privés de cette ressource.

Certes, les ouvertures d’Ulis1, anciennement, UPI2, ont fait l’objet d’accompagnement de la part des équipes de circonscription du primaire, réunissant les professeurs du secondaire volontaires et intéressés. Mais, ces journées de préparation durent trop peu de temps et n’abordent, de fait, que quelques aspects et de façon toujours superficielle sans jamais approfondir les éléments fondamentaux de l’autisme. Le suivi des équipes est quasi inexistant alors que des rencontres régulières ne manqueraient pas de construire un savoir-faire professionnel par la mutualisation des pratiques mais aussi par le partage des inquiétudes et des doutes.

Certes, on relève des initiatives locales donnant lieu à des réunions d’informations organisées par les Inspecteurs de l’Éducation nationale (IEN) du primaire, par les Inspecteurs pédagogiques régionaux (IPR). Mais si ces actions vont dans le sens de la sensibilisation des professeurs et des personnels administratifs, elles restent sporadiques, décrochées et ne s’inscrivent pas dans une politique d’information et de formation à l’échelon national qui donnerait toute sa cohérence à la loi de 2005 et créerait ainsi une véritable dynamique.

De fait, l’enseignant, volontaire, intéressé, qu’il soit du premier ou second degré, se trouve en situation de sauter le pas à l’aveugle et l’accueil de l’élève autiste s’apparente davantage à une expérience personnelle, inquiétante lorsqu’elle n’est pas effrayante, qu’à une réponse à l’obligation de scolarisation par des personnes compétentes ; ce que les parents comme l’élève seraient en droit d’attendre.

Un accueil redouté

Là se situe un écueil majeur représentant un danger réel pour les différentes personnes concernées. Pour le professeur, la peur de n’être pas à la hauteur, l’inquiétude que suscite une pathologie inconnue qui véhicule beaucoup de fantasmes, la crainte de ne pas pouvoir gérer un élève perçu comme étrange sur le plan comportemental, engendrent un sentiment d’impuissance qui s’exprimera presque systématiquement par un rejet implicite ou explicite de l’élève autiste. Cela s’observe souvent dans l’enseignement secondaire où l’inclusion dans une classe ordinaire n’est pas obligatoire et dépend de la volonté de l’enseignant.

Nombreux sont les professeurs qui, après l’accueil d’un de ces élèves particuliers avouent, malgré toute leur bonne volonté, ne pas disposer des compétences nécessaires pour pérenniser l’intégration en classe. L’élève se voit ainsi relégué en Ulis laquelle, de dispositif à l’origine, revêt trop souvent l’aspect d’une classe spécialisée. Pendant que l’administration de l’enseignement primaire rappelle aux coordonateurs de ces mêmes Ulis qu’il est absolument nécessaire d’inclure les élèves dans l’enseignement ordinaire grâce à une pédagogie adaptée, les professeurs du collège redoutent cet accueil par manque de formation à propos de l’autisme. C’est une situation paradoxale qui ne bénéficie ni aux élèves et à leur famille ni aux enseignants pris entre des injonctions paradoxales.

En maternelle

En maternelle, il m’est souvent arrivé de voir l’enseignante ignorer la présence de l’élève autiste, laissant l’Auxiliaire de vie scolaire individuelle (AVS-i), lorsqu’il y en avait une, le prendre en charge. Dans le cas où il n’y aurait pas d’AVS, l’Agent territoriale spécialisé d’école maternelle (Atsem) assure souvent ce rôle sans être formé.
Ainsi, des enfants autistes arrivent en maternelle, souvent avec pour seul objectif leur socialisation sans qu’aucune formation n’ait été offerte sur les difficultés relationnelles propres à l’autisme ; ce qui pourtant est une des caractéristiques nosographiques de cette pathologie. La question évidente saute aux yeux : comment peut-on espérer aider cet enfant à vivre avec ses pairs si l’on ne sait comment l’aider à gérer les angoisses sans limite que cette promiscuité ne manquera pas d’engendrer ?

D’autres équipes laissées sans formation ont pensé trouver une solution en incluant l’élève dans des classes toujours différentes, n’offrant aucun moyen de rassurance et de régularité à des enfants qui en ont grandement besoin.

À l’école élémentaire

À l’école élémentaire, bon nombre de professeurs des écoles apprennent qu’ils recevront un élève autiste d’une semaine à l’autre, sans qu’un travail préalable avec l’équipe pédagogique ait été élaboré. Il m’est souvent arrivé de voir une enseignante se débattre avec un élève scolarisé sans qu’aucune formation ni même information sur l’autisme ne lui ait été dispensée. J’ai entendu, à ce propos, par quelques responsables de l’Éducation nationale, qu’il ne servait à rien de prévenir plus avant ces personnels de peur que des représentations erronées ne viennent nourrir des mécanismes de rejet ou de peur. On préfèrerait faire le pari de l’intelligence humaine et de la nécessaire connaissance pour éclairer ces pédagogues !
Concevoir le sujet et non l’élève

L’école peut-elle penser l’autisme ? Peut-elle considérer l’enfant ou l’adolescent en tant que sujet complexe et pourtant saisissable dans son étrangeté ?

« Les élèves handicapés n’ont donc pas fini de nous surprendre. Ils nous interrogent sur nos manières de faire et d’agir, ils nous aident à élaborer une pédagogie faite de souplesse et de différenciation. Ils nous font comprendre que l’enseignement n’est pas d’abord une affaire de savoir et de connaissances, mais que c’est une question de relation et de rencontre ».

Voici ce qu’écrit Jean-Michel Wavelet dans un ouvrage consacré à la scolarisation des enfants porteurs de Troubles envahissants du développement (TED) dont fait partie l’autisme 3. C’est dire que la dimension affective n’est pas la dernière et que travailler avec ces élèves nécessite un investissement de soi. Il s’agit d’une rencontre qui ne peut se cacher derrière une vision techniciste de l’enseignement. C’est de l’humain dont il est question avant tout et non de techniques pédagogiques, lesquelles certes nécessaires, ne peuvent avoir de sens qu’au regard de ce que chaque être à d’unique : ses affects.
L’enseignant doit alors considérer le sujet avant même de penser au savoir à transmettre. Le relationnel prime sur le contenu disciplinaire. Rien ne peut se faire sans ce renversement des valeurs traditionnellement véhiculées par l’institution scolaire. On mesure que l’on touche ici à la dimension idéologique de l’école.

On comprend le chemin qui reste à faire dans un pays comme la France où le système éducatif sélectionne puis évalue les enseignants du secondaire particulièrement sur leurs connaissances disciplinaires avant tout.

Comprendre

Comprendre un sujet autiste est une longue affaire. Le professeur doit avoir du temps pour cela et doit pouvoir bénéficier d’une formation qui peut prendre plusieurs formes tels un accompagnement de terrain, des groupes de régulations, des groupes de réflexion pédagogique et didactique, des rencontres avec différents partenaires que sont les éducateurs, les psychiatres et psychologues.

Comprendre le sujet autiste revient, comme on l’aura compris, à lui donner les moyens de « supporter » la scolarisation. La loi a prévu les AVS qui, dans un premier temps, étaient formées. Puis, de six semaines de formation, on est passé à trois, voire quelques jours. Le recrutement qui n’offre aucune garantie d’un CDI, se fait parmi les chômeurs qui ont le plus de mal à trouver un emploi. De fait, les AVS se forment, elles aussi (car ce sont majoritairement des femmes), sur le tas et font ce qu’elles peuvent. Leur instabilité statutaire les oblige à quitter un enfant dont elles s’occupaient depuis un ou deux ans. Pour ce dernier, c’est une séparation traumatisante. Pour l’enseignante, c’est une nouvelle période d’incertitude qui s’ouvre car rien ne garantit qu’une autre AVS soit nommée et soit en capacité réelle de prendre en charge un enfant porteur d’un tel handicap car, au regard des entretiens de recrutement, ce sont essentiellement les handicaps sensori-moteur qui sont envisagés.

Donner le primat au contenant et non au contenu

Pour ces élèves différents, l’accès au savoir prend des chemins de traverse. Ils ne peuvent pas apprendre si le cadre, c’est-à-dire l’environnement, ne les libère pas, autant que faire se peut, de la nécessaire gestion de leurs angoisses. Cela signifie que les conditions d’apprentissage requièrent toute l’attention des professeurs afin qu’une stabilité et une rassurance nécessaires soient offertes au sujet apprenant. Le contenant devient plus important que le contenu. Cet aspect offre à l’enseignant une possibilité de réflexion sur ses pratiques qu’aucune autre situation ne pourra susciter avec autant d’acuité. Il s’agit, certes, de peaufiner ses démarches, de mesurer leur efficacité mais surtout de les resituer dans une situation de communication qui prend là tout son sens. En effet, l’école, et par conséquent les professeurs sont généralement à la recherche d’une situation de communication stabilisée, voire sclérosée dans laquelle l’élève devrait être un récepteur passif. Or, le fonctionnement cognitif parti­culier de l’élève autiste vient bousculer cette représentation académique. Il questionne la dimension relationnelle des apprentissages avant même de s’intéresser aux contenus. Établir une communication et poser le cadre des interactions cognitives s’avèrent être des conditions essentielles.

On notera que tous les enfants et adolescents actuellement scolarisés gagneraient beaucoup à ce genre de changement !

L’autisme fait désordre

L’élève autiste bouscule les représentations trop scolaires, trop traditionnelles de l’école. Et ce serait là une chance si l’on savait la saisir ! Il réclame qu’on en imagine une autre et, par là, invite, bien malgré lui mais pour l’intérêt de tous, à inventer des mises en œuvre, des didactiques des relations différentes, nouvelles. Dans un espace scolaire normé, il distille une remise en question parfois insupportable pour certains enseignants. Pour autant, ce désordre n’est pas révolution. Je prends pour exemple une conversation avec un professeur d’espagnol qui recevait un élève d’Ulis présentant des traits autistiques. Cet élève ne parlait pratiquement pas. Ce qui était gênant pour un cours de langue vivante. Pour autant, il ne manquait aucune séance, notait tout ce qu’il avait à noter et exprimait une joie manifeste à se rendre à ces cours.

Que cet élève puisse tirer un bénéfice qui ne correspondait pas aux objectifs annoncés d’un cours de langue a perturbé l’enseignante qui a fini par refusé son inclusion. Elle ne voyait pas ce qu’elle pouvait lui apporter évoquant ainsi ce sentiment d’impuissance abordé au début de cet article. Cet arrêt brutal qui s’est fait du jour au lendemain, a déclenché une dépression de l’élève que l’on privait ainsi de plaisirs qui étaient incompréhensibles mais bien réels. On aurait pu concevoir que la curiosité de cet adolescent se situait ailleurs que dans le lexique ou la syntaxe. Peut-être dans la prosodie ? Pourquoi pas dans la phonologie ?

Accepter qu’un autre fonctionnement cognitif et sensoriel prenne place à l’école, c’est aussi accepter l’idée que l’on puisse transformer l’institution.

Des réponses « clés en mains »

En conclusion, on peut se demander quelles pourraient être les conséquences d’une absence de réponse réelle de l’école au regard de la question de l’autisme.

Au vu de ce qui se passe depuis quelques années dans notre pays, il y a fort à craindre que des associations qui font la promotion des démarches comportementalistes, proposent leurs services aux enseignants. Ces approches n’auraient rien de désagréable si elles ne prétendaient pas avoir la solution unique aux problèmes complexes soulevés par la scolarisation des enfants et adolescents autistes.
L’Éducation nationale s’est déjà tournée vers elles pour organiser des journées d’information destinées aux enseignants. Le dernier rapport de la Haute autorité de la santé (HAS) les promeut sans restriction.
L’approche comportementaliste n’est pas à rejeter en bloc et il serait complètement stérile de vouloir refuser ce qu’elle peut apporter aux professeurs. Pour autant, ces solutions « clés en mains » que représentent ABA et TEACCH ne risquent-elles pas de dévitaliser la pensée pédagogique en s’imposant comme l’Alpha et l’Omega des démarches d’apprentissage ?

À une question complexe, certains proposent une réponse simple. Il se peut qu’elle soit fausse. C’est pour cela que nous devons rester vigilants en sollicitant, à propos de l’autisme à l’école, la réflexion des enseignants eux-mêmes.

L’école qui pense l’autisme, est certainement une école où les enseignants ont la liberté et la possibilité institutionnelle de réfléchir à leurs pratiques. ■

Patrick Binisti, Formateur à l’Adaptation et au handicap scolaire à l’IUFM de Créteil.

1. Unité locale d’intégration scolaire.

2. Unité pédagogique intégrée.

3. Scolariser des élèves avec autisme et TED, vers l’inclusion, sous la dir. de Christine Philip (INSHEA-ABA), Ghislain Magerotte (ABA), Jean-Louis Adrien, Paris, Dunod, 2012, Jean- Michel Wavelet, p. 300.