Accueil > Tous les numéros > N° 30 - "École & familles" > La pédagogie sociale...

La pédagogie sociale...

mercredi 23 novembre 2011, par Greg

Bouleverser les rapports parents/professionnels en s’engageant dans une alliance commune

Les relations parents/professionnels, dans le domaine médico socio-éducatif en France sont aujourd’hui bouleversées par des mesures politiques et économiques qui prennent les parents et leurs enfants comme cibles de nouvelles mesures et réglementations répressives. Il est sans doute urgent pour les acteurs sociaux de considérer autrement les relations familles/professionnels. Les pratiques éducatives ou de coéducation, issues du courant de la Pédagogie sociale proposent justement de nouvelles perspectives.

La perception de la famille, depuis la pédagogie sociale, est de même nature. Cette famille ne doit pas être appréhendée à partir de modèles idéaux (la bonne famille moyenne, le bon divorce à l’amiable, etc.), pas plus que de modèles naturels (le bon parent, la bonne mère, etc.), mais à partir d’une condition parentale, acceptée et observée comme elle est.

Être parent aujourd’hui, c’est se confronter à des attentes singulières de la part de la société, des institutions et des professionnels. La dimension de la réalité psychique de la parentalité n’est pas seule à devoir être prise en compte ; elle doit être appréhendée depuis une réalité sociale et politique, sans quoi nous risquons, nous professionnels, sans arrêt de basculer dans le jugement ou la normalisation.

Pratiques de coéducation en pédagogie sociale

En pédagogie sociale, les parents sont rencontrés dans leur environnement même et les professionnels ou les acteurs sociaux qui s’y engagent (ils ne sont pas tous professionnels) se mettent en situation d’aller vers leur terrain, et dans leur propre environnement. De même les parents, ne sont jamais abordés en tant que parents dans un premier abord, mais toujours en tant qu’adultes, voire en tant que citoyens.

Dans les bibliothèques de rue d’ATD [1], ou dans les ateliers de rue communautaires de l’association Intermèdes Robinson [2], les parents ont le droit de venir mais ne sont jamais convoqués ou sollicités directement pour le faire. S’ils viennent c’est en tant qu’eux-mêmes pour prendre place auprès des enfants et des volontaires dans des tâches communes.

Le travail avec les parents, en pédagogie sociale se caractérise ainsi par son absence de contrainte ou de cadre imposé. De même, ce travail, quand il se réalise, est généralement second par rapport au travail direct avec les enfants. Ce sont les enfants qui sont les premiers volontaires et les plus impliqués dans les projets éducatifs collectifs, en milieu ouvert. Selon notre expérience, lors des ateliers de rue, dans les quartiers, nous rencontrons très facilement et très rapidement l’ensemble des enfants y habitant, même quand ils sont très jeunes (ils sont alors souvent accompagnés d’enfants plus grands). À l’inverse, il faut parfois deux ans pour contacter réellement un ou des parents, et plus encore pour bâtir, avec eux, une relation de confiance. En pédagogie sociale, on ne part pas des parents pour aller vers les enfants, mais l’inverse. Parfois même, on en reste à travailler avec les enfants mais cela n’empêche pas le travail de coéducation de se conduire car l’enfant y est encouragé par le fait que ce travail se déroule dans son propre environnement.

Ces temps longs ne doivent pas étonner ; les pratiques éducatives et de coéducation qui en découlent, n’en sont que plus durables. Je pense que nous décrivons ici des pratiques qui relèvent d’une coéducation durable, comme on parle dans un autre contexte de « développement durable », c’est-à-dire, que cette éducation est également, vivable, viable et équitable (selon la représentation « des 3 cercles » du développement durable).

Pour autant, c’est bien avec les parents les plus en difficulté que ce type de pratique permet de nouer des liens et des relations. De notre expérience, nous constatons que les familles les moins abordables depuis les institutions peuvent être amenées par leurs enfants lors de ces ateliers éducatifs en milieu ouvert. On comprend que, dans de telles circonstances, les relations parents/volontaires/professionnels échappent aux surdéterminations qui affectent la plupart des relations éducatives depuis les institutions. C’est bien entendu un des facteurs qui rend ce travail plus pertinent encore.

Mais au-delà, le travail avec les parents, comme avec les enfants, en pédagogie sociale permet également d’apercevoir et de concevoir autrement les relations éducatives, les relations professionnelles, comme les relations parents/enfants.

Le cadre ouvert réinterroge les mots et les termes mêmes de l’éducation classique qu’elle soit liée à l’enseignement ou au secteur éducation spécialisée, ou de l’aide sociale à l’enfance. Créer une nouvelle alliance entre parents et professionnels
Ainsi les relations parents/professionnels (ou également parents/volontaires, en pédagogie sociale, les acteurs sont inégalement professionnalisés, mais nous verrons plus loin ce qu’il en est) sont, elles, abordées depuis ces pratiques d’une façon différente que depuis les institutions médico-socio-éducatives. En effet, à la base du travail de rue, en milieu ouvert, et, conformément à l’intuition même de Freinet, ce qui réunit ces partenaires, c’est l’idée d’alliance. En effet il s’agit d’être alliés pour surmonter des situations lourdement déterminées et un contexte social, politique, économique, contraire. Le terme alliance est tellement au cœur de ces pratiques qu’un mouvement comme ATD Quart-monde l’utilise pour nommer les participants aux ateliers de rue : tous sont des « alliés ».

Ne plus accueillir mais rejoindre

Dans le secteur de l’éducation, le verbe « accueillir » a complètement envahi tant les écrits que les discours. L’accueil est devenu une véritable activité, une fonction, au point que dans certaines structures on défend aux stagiaires d’accueillir car cet acte est réservé aux spécialistes.

Rien d’étonnant alors à ce que cela ne se passe pas tout à fait de la même façon dans les pratiques de pédagogie sociale. Comment voulez accueillir quelqu’un quand c’est vous qui allez vers lui et qu’en plus vous êtes le plus souvent dehors, dans l’espace public ? Ce qui amène à penser que dans ce cadre, on n’accueille pas tant quelqu’un qu’on le « rejoint ». Ce n’est pas qu’une simple question de mots : il s’agit de rendre compte de la démarche de celui qui prend sur lui de franchir les frontières et les distances. Il s’agit d’assigner au professionnel/volontaire la tâche dissymétrique d’avoir à aller vers l’autre et d’être responsable de cela.

Ne plus accompagner mais « être avec »

L’omniprésence du concept d’accompagnement est patente que ce soit dans les discours ou les écrits éducatifs. C’est incroyable comme « on accompagne » les gens pour tout et son contraire, dans toutes les démarches, tous les projets. Les éducateurs sont nombreux à se percevoir eux-mêmes comme des accompagnateurs, parfois même comme des chauffeurs allant de démarche en démarche, de rendez-vous en audiences.

Le concept d’accompagnement est particulièrement en phase avec la conception de l’Éducation nouvelle. Ainsi J.-J. Rousseau dépeignait-il dans l’Émile un précepteur qui accompagnait Émile de découvertes en connaissances. C’est le « côte à côte » qui évite le « face à face » stérile de la pédagogie traditionnelle, et ainsi, au passage, bon nombre de conflits.

Cette divergence quant à l’accompagnement dans l’espace, se retrouve également pour la représentation du temps.

En éducation spécialisée, on réalise souvent des accompagnements en termes d’échéances et de « temps de projets », qui ont d’ailleurs tendance à se dérouler dans des temps de plus en plus courts et bornés. En pédagogie sociale, le temps est davantage perçu comme une durée, une garantie, une stabilité, une répétition, une constance et non pas comme une échéance. On ne se focalise pas sur un programme sur un temps défini et linéaire, et de fait, nous privilégions surtout le plus indéfini temps « du vivre et travailler ensemble ». Il n’y a pas a priori de notion de terme ou d’obsolescence.

Ne plus raisonner en distance mais en proximité

Dans une période où chacun est incité à se retrancher chez soi, ou à se protéger des autres, les pratiques en pédagogie sociale, interpellent et frappent par le pari qu’elles font sur le désir de chacun de s’affranchir de la solitude et de l’isolement. La question de la distance, si importante dans le domaine de l’éducation et dans celui du soin, est aujourd’hui devenue synonyme d’éloignement, d’indifférence ou d’exclusion ; la distance est confondue avec le besoin d’autoprotection, et motivée par la peur et l’insécurité sociale. C’est pourquoi en pédagogie sociale, on ne parle pas distance, mais au contraire de proximité. Il s’agit d’établir ouvertement des relations « proches » avec le public, les enfants, les adolescents, les adultes.
Cette proximité, d’ailleurs, se décline et se démultiplie. Elle est bien sûr géographique puisqu’il s’agit d’aller là où sont les personnes, mais elle est aussi temporelle (en étant présent aux moments les plus importants et facilement le soir et le week-end, par exemple). Elle est bien entendu culturelle car il s’agit aussi de parler un langage commun et de pouvoir échanger ensemble. Elle est également relationnelle car un lien fort se constitue, qui sera, bien entendu, travaillé. Cette proximité est au final politique car on ne peut travailler si près des gens sans faire nôtre une partie au moins de leurs combats quotidiens (papiers, logement, droit à l’éducation, survie, etc.).

En pédagogie sociale, les relations établies entre les différents types d’acteurs ne se réduisent pas au diptyque parents/professionnels ou public/professionnels. Mais pour autant, les bénévoles, les volontaires, les salariés qui travaillent au cœur de ces actions forment bel et bien une équipe qui accomplit un véritable « travail professionnel ». ■

Laurent Ott,
Éducateur, docteur en philosophie, formateur, chercheur en travail social, président de l’association Intermèdes Robinson.

Références

 Célestin Freinet, Œuvres pédagogiques, le Seuil, 1992 (deux tomes).

 Janusz Korczak, Les Règles de la vie, pédagogie pour les jeunes et les adultes, Fabert, 2010.

 Paulo Freire, Pédagogie de l’autonomie, Eres 2006.

Ouvrages de Laurent Ott :

 Le Travail éducatif en milieu ouvert, Eres 2007.

 Travailler avec les familles, Eres 2004.

 Être parent, c’est pas un métier, Fabert 2008.

 Rendre l’école aux enfants, Fabert 2009.


[22 Association Intermèdes Robinson : http://assoc.intermedes.free.fr