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5 mois et puis s’en va... l’expérience d’une école franco-danoise à Copenhague

mercredi 23 novembre 2011, par Greg

Et si... on créait son école ? C’est le projet un peu insensé qui est relaté ici. Un groupe de parents, un enseignant militant – on se souvient de ses démêlés avec l’administration –, un départ au Danemark, et l’aventure est lancée.

Retour sur une expérience avec ses espoirs, ses rêves, ses désillusions et ses enseignements...

L’école rêvée

Elle sera créée et administrée par des parents, avec l’aide d’un enseignant coordinateur francophone. Un deuxième enseignant assurera l’enseignement en danois. Les enfants évolueront dans un cadre d’entraides, d’échanges et d’émulation par le groupe, favorisant l’apprentissage et le développement personnel. Le rythme de chacun sera pris en compte en ne s’attachant pas à des progressions ou à un programme prédéfini. L’emploi du temps et les lieux seront organisés de manière à stimuler les communications favorisant les activités des enfants. Celles-ci leur permettront de construire leurs projets de création. Les connaissances seront le résultat des expériences, tâtonnements, discussions élaborant ainsi une pensée complexe, réfléchie et non systématique. Ce seront davantage les langages qui seront acquis que les codes langagiers. Par exemple, la perception de ce qu’est un nombre plus que sa codification décimale ou romaine. L’évaluation chiffrée sera laissée à la décision de l’enfant, l’ensemble des évaluations portant sur l’observation de l’évolution de l’enfant dans ses activités. Pour mettre en place ce projet éducatif, le cadre pédagogique sera organisé de la façon suivante :

– des ateliers permanents, tel le coin bricolage-peinture, le coin informatique-bibliothèque, le coin mathématiques-dessin-jeux, dans trois pièces.

– Une réunion quotidienne de présentation des créations et d’organisation

– Une communication intense avec l’environnement proche, avec le réseau Internet des classes Marelle  [1] et avec un réseau d’entraide d’adultes. C’est dans ce groupe que les parents et autres adultes souhaitant s’investir pourront contribuer, venir en aide, encourager les enfants ou proposer une intervention. Celles-ci seront coordonnées par chaque enseignant.

Afin de favoriser les communications nécessaires à l’émergence d’activités, l’école sera multi-âge, multiculturelle et bilingue. Le multi-âge favorisera les échanges réciproques entre plus jeunes et plus âgés. Le multiculturalisme dont fait partie le bilinguisme, se manifestera par l’hétérogénéité des origines culturelles des francophones. Il permettra en outre à chaque enfant de relativiser sa propre culture, et, dans la spécificité franco-danoise de celle-ci, de développer à la fois l’estime de soi ainsi que d’encourager chacun à atteindre le meilleur de lui-même dans l’entraide et en dehors de toute compétition. Les parents présents dans l’école s’engagent aussi à prendre en compte cet objectif éducatif porté par l’enseignant quotidiennement. Enfin, les parents contribueront également à échafauder la structure de l’école et pourront avoir une part active dans sa gestion financière et administrative, ou encore dans ses aspects pratiques comme la préparation des repas. La vie de tous les jours sera coordonnée par l’enseignant francophone.

L’enthousiasme joyeux de la part des participants au projet a donné lieu à la décision de passer à la phase de démarrage avec une petite équipe d’enfants, deux enseignants et 5 familles.

La main à la pâte, le projet se met en place

Les locaux. En attendant de trouver un espace plus approprié. Il s’agissait de 3 pièces en enfilade, sans communication entre elles, ouvrant chacune sur un couloir joignant une cuisine et un hall d’entrée. La cuisine, le couloir et le hall étaient partagés avec les membres de l’entreprise. Il n’y avait pas de cour extérieure, mais nous profitions d’un parc public à 5 minutes à pied.

Les participants. Un couple de parents était à la base du projet. Dirigeant d’une entreprise, il louait une partie des locaux de celle-ci à l’école et apportait des moyens financiers importants.

Ensuite, une association a été fondée afin de donner une structure organisationnelle et un cadre juridique à l’école. Elle était composée : d’un conseil d’administration (CA) comprenant un président, une trésorière, un secrétaire et deux autres membres, du groupe des parents, représentant 6 familles et des deux enseignants recrutés par les parents initiateurs.

De plus, un groupe de soutien (støttegruppe en danois) devait être à disposition pour des échanges d’idées, des questions et remarques. Une vingtaine de personnes en faisaient partie et se rencontraient essentiellement par Internet, vue l’impossibilité géographique de se rencontrer de certains membres actifs. Le groupe de soutien pouvait être sollicité aussi bien par les enfants de l’école que par les adultes.
Quant aux acteurs principaux du projet, l’objectif de départ étant de garder l’accueil des enfants le plus souple possible, l’école démarrait avec six enfants de trois à six ans à temps complet, dont un frère et une sœur et des jumeaux. Un enfant autiste participait trois après-midi par semaine en présence de sa mère. Une journée par semaine, un des employés de l’entreprise où logeait l’école amenait sa fille de 7 ans, danophone, qui était scolarisée le reste du temps à la maison. L’enseignant francophone était présent de 8 heures à 17 heures Cela couvrait ce qui est appelé temps d’école et temps de centre aéré au Danemark, car l’école finit généralement vers 13 heures Un deuxième enseignant, danophone, intervenait 5 heures par semaine. Deux parents se chargeaient des repas que l’enseignant et les enfants n’avaient plus qu’à finir de préparer rapidement.

Pratique éducative et communication

L’accent principal fut immédiatement mis sur la structuration des lieux, du temps et la construction d’un groupe avec ses règles communes. La proximité entre les familles et l’enseignant permit de rapidement pouvoir installer les différents ateliers, les zones d’affichages, d’obtenir les ordinateurs et connexions. Un apport conséquent de livres permit l’ouverture d’une bibliothèque. L’espace bricolage-peinture trouva rapidement son rythme de croisière. La coordination avec les deux cuisinières se mit aussi en place. Pour laisser aux enfants une part dans sa préparation, il s’avéra nécessaire d’annoncer le menu à l’avance.

La vie avec les enfants de 3 à 7 ans nécessita de nombreux temps de discussion pour amener à ce que chacunE prenne en compte le fonctionnement collectif, l’entraide et les contraintes liées à la situation particulière de proximité avec l’entreprise. Ces règles ne s’appliquant pas qu’aux enfants, l’enseignant coordinateur dut aussi les expliciter auprès des parents qui passaient un moment dans les locaux, en journée ou lors des séparations/retrouvailles.

Les communications furent lancées dès la rentrée d’août au Danemark avec le groupe d’entraide et, dès septembre, les échanges augmentèrent avec la rentrée des classes Marelle, en France pour l’essentiel.

Des parents comprirent rapidement aussi l’intérêt que l’enfant amène des objets de chez lui, débouchant fréquemment sur des projets, comme par exemple, cette mise en scène en 5 actes, écrite et photographiée d’une peluche serpent mangeant un bonhomme playmobile. Une règle était néanmoins établie : un objet amené est utilisable par touTEs.

L’affichage, l’exposition des réalisations, le blog, les deux listes de diffusion, la création de pagettes dictées à l’adulte et mises en ligne [2], le fait que les parents viennent dans l’école et s’y arrêtent, permirent aussi que les activités et la réflexion des enfants ne se cloisonnent pas entre l’intérieur et l’extérieur de l’école.

Le blog reflétait d’ailleurs avec ses récits de vie, l’esprit de cette expérience tâtonnante et joyeuse des débuts, « incluant ses forces comme ses vulnérabilités », « reflétant réellement les activités, l’ambiance, les méthodes etc. propres à l’école. » comme le rappelait l’un des parents initiateurs mi-septembre 2010 [3].

La sauce ne prend pas... quelques pistes pour comprendre

Après ces débuts enthousiastes et actifs, les ajustements prévus initialement et ceux découverts en pratiquant, peinèrent à voir le jour.
À propos des locaux, il fut communément admis qu’il fallait trouver un nouvel endroit pour l’école. Plusieurs parents proposèrent d’élargir le secteur de recherche mais les deux parents initiateurs prirent en main la quête. Deux lieux vivement investis échouèrent et la suite des recherches se dirigea plutôt vers le quartier aisé, préféré par la communauté française de Copenhague. Par ailleurs, des propositions de solliciter des ambassades francophones pour faire connaître l’école et donner envie à d’autres parents de joindre le projet furent mises de côté. Faute de projet social clairement établi collectivement, les initiateurs de l’école maintinrent vraisemblablement le leur sans le dire ouvertement. Résultat, en juin 2011, Il n’y avait pas eu de changement de locaux alors que ceux-ci étaient annoncés comme obligatoirement temporaires dans le projet initial.

Sur le plan de l’enseignement [4], le groupe d’enfants s’était bien construit après deux mois. La construction des langages, le foisonnement de projets et la socialisation étaient bien lancés et prometteurs. La structuration spatiale et temporelle ordonnée, permettait un foisonnement de déplacements et de communications propices à la création et à l’émergence de savoirs. L’ensemble se régulait par la réunion/présentation quotidienne.

En regardant de plus près au niveau du rôle des participants, on constatera aisément qu’il y a un nombre important de chevauchements des rôles des protagonistes du projet. Trois familles sur quatre qui ont leurs enfants à l’école à plein temps occupent en plus de leur fonction parentale d’autres rôles clefs auprès de l’association.

Tout d’abord, le couple fondateur est bailleur, employeur, administrateur, parent, président et trésorière du CA et il finance en plus le projet. Le secrétaire du CA et l’enseignant francophone venu de France avec sa famille pour prendre part à la réalisation du projet sont également parents. À noter que parmi les 2 membres du bureau restant, l’un d’entre eux est employé par l’entreprise. Enfin l’enseignant danophone, recruté parmi les amis de l’un des fondateurs, est aussi l’animateur sportif de deux enfants.
Tant qu’un projet roule bien et est harmonieux, il est facile de gérer plusieurs casquettes en même temps. Une fois que des conflits surgissent, il devient par contre vite difficile de savoir sur quel pied danser.

On trouve une certaine similitude avec les processus de prise de décision. Tant que toutes les personnes impliquées sont d’accord entre elles, il n’y a pas lieu de préciser un fonctionnement particulier pour trancher, mais en cas de discordance, une structure offrant un mécanisme de prise de décision claire et partagé facilite l’acceptation de la décision par le groupe.

Au départ du projet, dans la phase de prise de connaissance des uns avec les autres, l’échange des idées était très libre en raison d’une organisation de type collégial.

Pourtant, avec l’émergence progressive des conflits et de leur aggravation, une structure pyramidale a été de plus en plus imposée par le couple fondateur. Or le groupe des parents, qui devait soutenir activement le projet avec ses réflexions et son aide concrète, avait d’un côté une voix consultative, mais devait donner en même temps l’aval des décisions prises par le CA.

Communiquons !

Tout au long de la mise en place du projet, les participants cherchèrent à ajuster leur manière de communiquer. Au début, des réunions entre parents et enseignants avaient lieu mensuellement, servant de plate-forme où étaient discutés l’approche pédagogique et des aspects organisationnels. Concernant un projet aussi conséquent, il devint vite évident que le temps ne suffisait pas pour tout aborder. Face aux disponibilités réduites des participants, il ne fut pourtant pas possible de se voir plus souvent.

Cependant les échanges informels entre parents et enseignants donnèrent aussi lieu à des ajustements. Donc, plus un parent était présent et impliqué dans les locaux de l’école, plus il pouvait s’engager dans ce genre de mise au point. La transmission de ces ajustements n’était cependant pas systématique. Cela contribua à un déséquilibre entre les parents initiateurs travaillant sur place, et les autres parents. À nouveau, tant que l’expérience de la mise en place du projet se passait bien, cela ne posait pas problème. Pourtant, dès que les tensions se faisaient sentir à l’intérieur de la triade des parents initiateurs et l’enseignant le plus présent, il devint difficile pour les autres parents de décortiquer le nœud du problème, car il leur manquait des bouts de discussion et d’interaction.

Le blog de l’école, accessible à touTEs, représentait un outil de communication saisissant et faisait interface avec ce qui se passait à l’intérieur de l’école et les personnes intéressées à l’extérieur. Toutes communications des participants à l’école y figuraient de manière transparente. Au bout d’un moment, la question se posa de savoir si c’était l’image de l’école qu’on voulait donner à autrui. Suite à l’impossibilité de trouver un consensus et après quelques questionnements émoustillants quant au fonctionnement de l’école, le blog s’est trouvé soumis à un système de contrôle, établi par le parent initiateur de l’école.

Implosion

Finalement, le couple initiateur et le CA s’enlisèrent de plus en plus dans une hiérarchie autoritaire.

Le foisonnement de déplacements, le processus d’acquisition hors programme et la multiplication de communications laissaient davantage voir la vie apparemment désordonnée d’une ruche.
Or cela ne répondait pas aux soucis des parents initiateurs en terme d’image sociale. Ils décidèrent donc de changer le projet. Retour à l’ordre apparent, au programme, aux évaluations, nomination du président comme directeur pédagogique et affirmation de sa hiérarchie administrative et pédagogique.

L’enseignant français s’accrochant à la pratique éducative initialement prévue, mais de fait incompatible avec le projet social officieux, la solution qui sembla la plus pertinente, fut de le licencier fin décembre 2010 pour « perte de confiance de tous les parents ». Preuve s’il en est que le problème ne venait pas de là, dans le mois qui suivit, l’enseignant danois démissionna, la famille des jumeaux quitta le radeau ainsi que l’enfant de l’enseignant remercié.
Le reste de l’année se poursuivit en recrutant une enseignante française et une personne danophone pour l’épauler. Le projet initial fut réorienté vers une logique d’école d’entreprise complétée par des pratiques éducatives normalisées.

Et si on redémarrait

Dans l’absolu, il serait beau de recommencer à bâtir une autre école. Enrichis par l’expérience que nous venons de vivre, il est cependant indispensable de retenir quelques points garde-fous avant de se relancer.

Pour un nouveau projet, les familles participantes, indépendantes les unes des autres, se retrouveraient par affinités, avec des enseignants-coordinateurs qui travailleraient en équipe. Le financement du projet se ferait par des fonds, subventions ou dons extérieurs, mais aussi avec une contribution équitable par famille. Monter une école représente un investissement temporel très conséquent, à ne pas sous-estimer. Cela est dû à la réflexion approfondie au niveau du projet social, éducatif et pédagogique, et aussi à la charge administrative considérable. Moins il y a de familles impliquées au départ, plus grande est la part qui incombe à chacun.

Concernant la pratique d’enseignement choisie initialement, il faudra que les parents et les éducateurs aient conscience qu’ils s’inscrivent dans une démarche qui bouscule nos représentations habituelles de l’école. Il s’agit d’un changement complet de paradigme qui nous demande de l’entraînement. Inspirée d’une démarche proposée par les CREPSC, il est clair que les logiques classiques de programme et progression, d’évaluation, d’acquisition empilée de savoirs n’ont pas de sens dans un tel projet. Enfin, il faut se donner le temps d’explorer et requestionner ce type d’organisation et de pratique qui relève peut-être davantage d’un engagement de société que d’un intérêt particulier. ■

Erwan Redon (l’enseignant), Caroline Schlar (la maman des deux jumeaux).

Debout face à l’autoritarisme

Erwan Redon : professeur des écoles depuis 1999, il a enseigné à Marseille de 2004 à 2010. Hostile aux réformes Darcos en 2008, il a été convoqué devant une commission disciplinaire de l’Inspection d’académie en septembre 2009 et écope d’une mutation d’office dans une autre école de la ville. En décembre 2009, le Tribunal Administratif lui donnera raison en condamnant l’Inspection d’académie à le réintégrer dans son école. Militant aux CREPS (Centres de recherche sur les petites structures et la communication), syndicaliste de l’Udas (Union des une alternatives syndicales), Erwan Redon conçoit son métier d’enseignant « debout face à l’autoritarisme, l’acharnement et l’arbitraire ». Il lutte « contre les hiérarchies et la politique capitaliste à l’œuvre dans l’Éducation Nationale (marchandisation, compétition, lutte des uns contre les autres, taylorisme scolaire, etc.) » comme il le dit sur le site Éducation-Résistance qu’il a créé avec Alain Roche, conseiller pédagogique, et Vincent Delecroix, doctorant Universitaire.


[11 Réseau éducatif des CREPSC (Centres de recherche sur les petites structures et la communication – http://crepsc.org).

[22 5 mois de Pagettes - www.crepsc.org/spip.php ?article51

[33 Blog et Parts - p 24 - www.crepsc.org/spip.php ?article53

[44 Une école du 3ème type ou la pédagogie de la mouche, Bernard Collot, L’Harmattan