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La Villeneuve à Grenoble : Le lycée du quartier face aux questions de sécurité

dimanche 20 novembre 2011, par Greg

Grenoble. Certains viennent y faire des discours, d’autres y vivent, y travaillent, y enseignent.
C’est le cas dans le quartier de la Villeneuve, avec son lycée, menacé de fermeture.
La mobilisation qui s’en est suivi nous rappelle le rôle des familles ou, plus largement, des habitants
dans la vie d’un établissement, et, réciproquement, la place de celui-ci dans la vie du quartier.

Il y a un an, le président de la région Rhône-Alpes Jean-Jacques Queyranne annonce avec fracas que l’un des lycées de Grenoble devra fermer neuf mois plus tard « pour des raisons de sécurité » : les bâtiments risquaient de s’effondrer…

Sécurité à gauche, sécurité à droite…

Ce lycée, c’est Emmanuel-Mounier, construit en 1963 à la limite du centre-ville et des quartiers sud de Grenoble, le long de la ligne de tram la plus fréquentée. C’est surtout le lycée de secteur de la Villeneuve, le quartier dit « chaud » du sud de la ville. « À Marseille, on dit les quartiers nord… Ici, c’est les quartiers sud », balance un prof du lycée. C’est là qu’ont eu lieu en juillet 2010 de graves provocations policières après la mise à mort d’un jeune braqueur, pourchassé et abattu devant chez lui, dans la barre de l’Arlequin. S’en sont suivi des nuits d’émeutes violemment réprimées par les robocops du coin, le quartier bouclé et l’Arlequin survolé toute la nuit par une horde d’hélicos qui balançaient leurs faisceaux lumineux dans les appartements, façon Miami Vice… Ces révoltes serviront de prétexte à un nième discours sécuritaire de Sarkozy, éructé le 30 juillet à Grenoble.

Pour Jérôme Soldeville, prof de chinois et d’histoire-géo, depuis quinze ans à Mounier et membre du CA du lycée, « les événements de l’été 2010 à la Villeneuve ont quelque peu perturbé le bon déroulement de la fermeture du lycée telle que le prévoyait la région ». Dans la lignée du laboratoire pédagogique des écoles et du collège de la Villeneuve, sous l’impulsion du maire Dubedout, Mounier a été un lycée « expérimental » de 1973 à 1983 (seconde indifférenciée, travail en groupe, filières L-ES-S avant la lettre, etc.). L’établissement s’est forgé une bonne réputation de « mixité sociale » pour ses multiples options (musique, arts, sciences, etc.) qui attirent des élèves aisés du centre-ville alors qu’il compte le plus fort taux de boursiers de l’Académie. Il accueillait aussi des classes de BTS, des classes d’intégration pour élèves d’origine étrangère, et un choix unique de 3es langues (chinois, turc, arabe, etc.). Tout en étant classé 2e de l’agglomération en terme de réussite au Bac, devant les gros bahuts sélects du centre-ville, comme Champollion. Et enfin, depuis 2000 Mounier est le lycée de tutelle du « collège-lycée élitaire pour tous » (le CLEPT), un bahut pour élèves décrocheurs qui s’est justement installé en plein cœur de la Villeneuve, ses locaux étant intégrés à l’Arlequin.

C’est cet établissement que la région Rhône-Alpes voulait­ fermer. Le bâtiment menaçant de « s’effondrer  », Quey­­­ranne décrète il y a tout juste un an (27 septembre 2010) qu’il sera fermé en juin 2011, « le temps des travaux ». Mais parents, profs et élèves montent aussitôt un collectif pour contester le diktat de la région. Ils craignent que la fermeture ne soit définitive… Entre-temps, trois recours devant le tribunal administratif sont déposés, notamment un pour « abus de pouvoir ». Un élu Vert vient d’en déposer un quatrième fin août, pour « déni de démocratie » (le parlement n’ayant pas eu la possibilité de se prononcer sur le sort du lycée grenoblois).

« Rien ne justifiait la fermeture complète », affirme Patrice Voir (PC), adjoint au maire de Grenoble, bien plus déterminé que le premier édile (Michel Destot, PS) à maintenir une activité dans le lycée. Patrice Voir connaît bien le dossier : lui-même ancien élève, plus tard il a été administrateur du lycée, pendant douze ans, quand il était élu régional. « Pour moi, c’est clair : la question de la sécurité a servi de prétexte à une décision purement budgétaire… » [1] Car selon lui, « ça fait longtemps qu’on entend, au rectorat et ailleurs, qu’il y a un lycée de trop à Grenoble… ».

Question « sécurité », chou blanc pour Queyranne. Rien n’a vraiment confirmé les arguments alarmistes de la région. Un « rapport d’expertise structurelle » réalisé par un cabinet indépendant en juin 2010 indiquait qu’un des bâtiments « devra être déconstruit mais que les désordres observés ne présentent pas de caractère d’instabilité à cinq ans ». Traduction : le maintien sur site pendant les travaux est tout à fait envisageable.

Finalement, la lutte interne a payé et le lycée reste debout en cette rentrée 2011. Le projet initial était de tout fermer en juin 2011 (le temps des travaux, soi-disant) avec redéploiement des quelque 800 élèves dans les autres établissements de la ville. En novembre 2010, Queyranne avait déjà concédé l’essentiel (pas de fermeture pendant les travaux), mais exit les classes de secondes (seuls les élèves passés en 1re et terminale pouvaient terminer leur cycle à Mounier). Deuxième recul, en février 2011 : les options seraient maintenues, les secondes aussi, mais avec seulement 3 classes, comparées aux 7 de la rentrée 2010.

Bilan en ce mois de septembre 2011 : les effectifs passent donc de 850 à 540 élèves, 3 secondes générales (alors que la vice-présidente de la Région avait promis au collectif une quatrième classe…), mais exit les études post-Bac : les BTS sont dispatchés dans 3 lycées techniques de la ville et de sa banlieue. Malgré les travaux, 40 salles de classes restent ouvertes dans les bâtiments, et seulement 5 seront dans des préfabriqués. Concernant les options LV3, les cours de chinois ont été sacrifiés par le recteur, malgré des demandes de parents reçues avant la rentrée. Comme par hasard, le prof concerné est justement Jérôme Soldeville, l’un des enseignants les plus actifs pour la sauvegarde de Mounier… « Le recteur enrage dès qu’on lui parle de Mounier », ajoute-t-il. « Est-ce parce qu’il a vu s’éloigner l’énorme prime (plus de 20 000 euros) désormais promise aux recteurs qui "dégraissent" le mieux les postes de l’EN ?... »

À la Villeneuve, on n’est pas trop rassuré. Mounier reste le seul lycée « général » du secteur, alors que dans les quartiers Sud il n’y a que des lycées pros…

Une fleur pour le privé

À deux pas du lycée Mounier, situé sur la même ligne de tram, se trouve l’Externat Notre-Dame. Un établissement intégré (école-collège-lycée) qui a été récemment rénové avec l’aide de… la Région Rhône-Alpes ! Ce bahut privé n’a jamais eu de difficultés à remplir son collège : les ménages bobo des quartiers sud préfèrent ce cadre douillet au collège Lucie-Aubrac, situé en plein cœur de la Villeneuve, au pied de l’Arlequin, qui, lui, perd des élèves tous les ans… Mais en revanche, le lycée Notre-Dame accuse toujours un déficit, car les mêmes parents n’hésitent pas à les caser dans le public à Mounier, plus près du centre et plus loin du quartier « chaud ».

« Notre-Dame, c’est le grand gagnant de la rentrée 2011 », remarque Jérôme Soldeville. « Merci Queyranne ! » La cure d’amaigrissement infligée à Mounier (environ 500 élèves contre 850 il y a un an) permet en effet à ce lycée d’afficher désormais complet. Le système des « vases communicants » a bien fonctionné…

Après les événements de juillet 2010, la population du quartier s’est prise en main et un collectif inter-associatif a remis à la mairie, en juin dernier, un « Livre blanc », détaillant les pistes à suivre pour recoller les morceaux (voir encadré). Devant le silence municipal, un habitant qui a participé aux débats accuse dans la presse locale [2] : « Pour nous, il y a une différence fondamentale entre une police guerrière, dont la présence est perçue de manière extrêmement violente, et des forces de l’ordre un peu plus débonnaires, à l’image de la gendarmerie, qui va discuter, dire bonjour, éviter de contrôler les papiers de tous les jeunes qu’elle croise. […] Je vous rappelle qu’un animateur, c’est 35 000 ou 40 000 € par an. Soit à peu près le prix d’une heure d’hélicoptère. » ■

Jérôme Thorel, Journaliste et ancien élève du lycée Mounier.

Notre vie quotidienne...

« Il n’y a pas que les choix de la "grande économie" qui influent sur notre vie quotidienne. Il y a tous ces petits renoncements qui pourrissent au jour le jour notre vie quotidienne, et notre manière de vivre ensemble. Ce ne sont pas les habitants qui démissionnent, ce sont les réponses proposées, ou parfois l’absence de réponse, qui nous laissent ce goût amer d’abandon. Nous avons identifié plusieurs secteurs sur lesquels nous pouvons peser, et que nous voulons voir s’améliorer. La question de la sécurité est fondamentale. L’éducation est une priorité qui n’appartient pas seulement à l’école. La question de l’occupation du territoire et de la rencontre volontaire avec les jeunes est primordiale. Le maintien des services publics et des petits commerces de proximité en lien avec les véritables besoins des habitants l’est aussi. Là-dessus nous pouvons et nous voulons proposer, pour peu que nous soyons entendus, des réponses concrètes et sans doute, en toute modestie, des embryons de solutions seront trouvées. Voilà ce que nous nous sommes dits dans cette salle de réunion trop petite. Nous avons senti tant de convergences sur cette réflexion que nous ne pouvions en rester là. »
Extrait du Livre Blanc de la Villeneuve (juin 2011), à retrouver sur http://infovn.org/


[11 1. Note de la rédaction : le terme « sécurité » est toujours employé ici pour les bâtiments, pas dans son sens populiste...

[22 Citylocalnews Grenoble, 7 juillet 2011.