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L’identité professionnelle au cœur des luttes de transformation sociale : le cas de l’IUFM

jeudi 20 janvier 2011, par Greg

Historiquement, l’identité professionnelle est un moteur important des luttes sociales et des transformations du monde du travail.
C’est en partie en elle que le syndicalisme et le syndicalisme révolutionnaire se sont nourris. L’IUFM représente actuellement ce lieu de formation professionnelle pour les enseignants. Son fonc
tionnement ne permet pas cependant de construire une réelle autonomie du travail et tend à opposer, au détriment de la justice sociale et d’une société vraiment démocratique, pédagogie et syndicalisme de transformation.

L ’Institut Universitaire de Formation des Maîtres (IUFM) a été crée dans les années 80 pour répondre au souci de formation initiale des personnels enseignants titulaires d’un concours de recrutement du privé ou du public de l’Education nationale de la primaire au secondaire. Il s’est construit sur l’idée que le métier d’enseignant nécessite un apprentissage professionnel : techniques de cours, de gestion de groupe mais également initiation à la compréhension du monde de l’enfant et de l’adolescent, construction d’une “éthique” d’enseignement, … Il s’est bâti contre l’idée que le métier d’enseignant ne s’apprenait pas mais relevait d’un art dans lequel on
excellait ou pas. Il est parvenu, peu à peu et partiellement, à imposer que “apprendre à apprendre”, cela s’apprend.

A ce titre, l’IUFM représente un lieu institutionnel de productions officielles de savoirs et de pratiques pédagogiques. Le U pour universitaire et le F pour formation de son sigle place l’IUFM au carrefour du savoir universitaire et de la formation professionnelle et fait de ce lieu de production institutionnelle, un lieu hétérogène, distinct et à la fonction précise. Il n’a pas pour vocation la recherche fondamentale à l’image de l’INRP ni la production de prérogatives pédagogiques étatiques à l’image de l’Inspection générale. L’IUFM semble un lieu institutionnel pluriel, multiforme et non-pyramidal. Sa vocation à toucher l’ensemble d’une génération d’enseignants en formation initiale l’oblige à un large recrutement de formateurs et à la multiplicité de ses acteurs qui représentent autant de courants pédagogiques et de façon d’envisager le métier et qui empêche a priori que se forme un esprit de corps du type de celui des inspecteurs dans lequel on pourrait lire directement la volonté étatique. En tant qu’institution de masse, l’IUFM tire également sa possibilité d’existence et ses marges de manœuvre d’un état historique des relations sociales actuellement fondé sur le primat de l’argent et de l’organisation du travail qui en découle.
L’intérêt de l’IUFM ne réside donc pas dans l’analyse de sa pédagogie officielle, il n’en a pas vraiment, mais plutôt dans la coexistence des différentes positions et pratiques pédagogiques acceptées en son sein et qui évoluent dans une organisation du travail imposée par des pratiques sociales dominantes. Bien entendu, des formateurs, à leur niveau d’intervention, peuvent essayer de donner d’autres inflexions aux conséquences engendrées par ce mode d’organisation Il n’en reste pas moins que l’IUFM tend à construire un espace de formation professionnelle qui couvre totalement le travail prescrit, sa réalisation effective et le travail proscrit sans laisser la moindre autonomie à son personnel en formation.

La professionnalisation

La volonté de professionnaliser le métier d’enseignant est au cœur des préoccupations de l’IUFM notamment par le biais de la Formation générale professionnelle (FGP) qui réunit en séminaire des stagiaires de toutes les disciplines tout au long de l’année de formation. La professionnalisation se détermine par un ensemble de compétences professionnelles qui permet à un professionnel de répondre, de faire face à une situation de travail inédite dans son domaine d’activité.
“Le professionnel est censé réunir les compétences du concepteur et celles de l’exécutant : il identifie le problème, le pose, imagine et met en œuvre une solution, assure le suivi. Il ne connaît pas d’avance la solution des problèmes qui se présenteront dans sa pratique, il doit construire sur le vif, parfois dans le stress et sans disposer de toutes les données d’une décision éclairée. Cela ne va pas sans savoirs étendus, savoirs savants, savoirs experts, savoir d’expérience.” Un professionnel fait appel à une pratique réflexive pour répondre aux situations de travail auxquelles il est confronté. La compétence professionnelle s’inscrit dans l’écart entre le travail prescrit et le travail réellement effectué pour mettre en œuvre les prescriptions. Dans le cas de l’Education nationale, le travail prescrit est représenté par les programmes, les séquences de travail, les situations problèmes, les injonctions hiérarchiques…A charge pour l’enseignant de le mettre en œuvre à partir des moyens qu’on lui offre.

De façon plus générale, la professionnalisation nécessite liberté d’action, absence de procédures et de règles normalisées strictement appliquées, de modèles rigides, de programmes et d’horaires prédéfinies, l’absence également de contrôles hiérarchiques en lieu et place d’échanges de pratiques, de réflexions communes…Ce sont les professions libérales (médecins, avocats…) ou bien les artisans indépendants organisant leur temps et leur processus de travail eux-mêmes en fonction de la situation à traiter et à partir des “caractéristiques collectives” de leur métier et de “l’état historique de leurs pratiques” qui se rapprochent le plus du professionnel. Cela rappelle également l’ouvrier hautement qualifié défendant son autonomie de travailleur face au processus de standardisation du travail industriel. Il est convenu que les métiers de l’humain comme celui de l’enseignant nécessitent une part de prescriptible beaucoup plus faible que dans les métiers techniques, les situations de travail étant censées être beaucoup plus variées et plus fréquemment inédites.
Cette faible part du prescriptible engendrant mécaniquement une large part de l’autonomie de travail.

Ces définitions sont l’état idéal du professionnel, il est évident que la réalité renvoie à des cas de figures beaucoup plus variés.
L’IUFM met en œuvre sa volonté de professionnaliser le métier par différents éléments. Le stagiaire doit suivre plusieurs modules d’enseignement disciplinaire mais également transdisciplinaires supposés le préparer au mieux à son futur métier. Il doit également produire un court mémoire traitant d’une problématique apparue en cours d’année. Le cœur de la formation est constitué d’un stage se déroulant sur l’année et au cours duquel le jeune enseignant a une classe en responsabilité seul sous la tutelle d’un maître de stage qui est censé l’épauler et lui rendre visite régulièrement.

Violence de la formation initiale

Ce rapide descriptif de la formation pourrait laisser croire qu’elle est suffisante. Cependant, la réalité vécue par les jeunes stagiaires est tout autre. On peut notamment la percevoir au fil des pages de leur mémoire professionnel. Le hiatus entre une véritable professionnalisation et sa mise en œuvre effective par l’IUFM engendre échecs, gâchis humain, souffrance, violence exacerbée.
Non négligeables, en effet, sont les démissions en cours d’année de jeunes enseignants dégoûtés par le métier.

Nombreuses sont les souffrances endurées par les stagiaires : stress, perte de l’estime de soi, désenchantement… mais aussi violence exercée par l’obligation de prendre une classe en responsabilité en passant du statut d’étudiant en juin à celui de professeur inexpérimenté en septembre sans aucune étape intermédiaire. La formation initiale d’un enseignant ressemble plutôt à un parcours psychologique qui ne doit sa réussite qu’à la force de caractère des stagiaires.

La mise en pratique de la professionnalisation par les IUFM est bien éloignée de sa réalisation idéale. La formation du stagiaire s’apparente plus à une formation standardisée voire taylorisée dans laquelle aucun des principes pédagogiques prônés n’est mise œuvre. Le jeune enseignant n’a que peu de possibilité de construire son parcours de formation. Le stage sur un an qu’on pourrait croire bénéfique se révèle trop court et trop brutal pour être réellement profitable. L’enseignant ne bénéficie que d’une année de formation initiale là où d’autres corps de métier profitent de deux, trois voire cinq ou sept ans. De plus, l’évaluation devient de plus en plus standardisée et serrée. L’idée que la quasi-totalité des stagiaires soit validée a fait son temps. Il apparaît que dans certains IUFM, on souhaite augmenter le nombre de recalés pour rendre la formation plus crédible. Il est évident que 90 % de titularisation après un concours qui a éjecté entre 70% et 90% de candidats, cela fait un peu désordre ! On imagine aisément qu’à l’issue de cette formation, la professionnalisation ne pourra qu’être très parcellaire.

Les enjeux de l’identité professionnelle

Cependant, l’opposition fondamentale entre les buts affichés et les moyens et procédés utilisés ne doit pas étonner. Les bénéfices engendrés par une formation indigente sont multiples pour un Etat-Patron futur employeur. Premièrement, la violence sociale et la violence au travail se perpétuent et s’abattent sur les personnels. Il est couramment admis au sein de l’IUFM que la formation d’un stagiaire passe par une phase de réévaluation de ses cadres et de son habitus estudiantin pour endosser ceux de l’enseignant lors de la prise en responsabilité de la classe. Cette partie du stage est la source de toutes les angoisses et les souffrances vécues par les stagiaires. Ce
stage est pourtant vu comme une nécessité permettant de passer d’un statut à un autre. Seule la bienveillance de quelques formateurs permet d’adoucir ce passage.

La professionnalisation est vécue sur le mode du rite de passage violent. Deux notions qui opposent monde professionnel et monde religieux. Procédé qui montre clairement que la professionnalisation n’est qu’un discours de façade qui cache l’indigence de la volonté et des moyens de l’Institution. En effet, si la volonté était réelle, il serait tout à fait possible d’envisager une formation plus souple étalée sur plusieurs années avec une prise en responsabilité progressive en concertation avec le stagiaire. Il serait également envisageable de multiplier les regards sur des pratiques différentes dans des lieux de travail différents sur plusieurs années. Les modèles ne manquent qui inventent le passage d’un statut de novice au statut du professionnel autrement que par la violence en plaçant celui-ci réellement au cœur de sa formation.

Cette violence acceptée perpétue également la violence symbolique de l’école déjà mise à jour par d’autres. En effet, l’enseignant débutant, une fois sa formation lacunaire achevée, devra se construire au plus vite une identité professionnelle bricolée qui ne trouvera pas de relais dans des lieux et des temps d’échanges de pratiques réflexives avec ses “paires”. Le processus de travail de l’enseignant ne prévoit pas ces moments. La palette des stratégies pour combler ces carences sont larges : violence retournée contre les élèves, dégoût, ironie, manque d’investissement qui permet parfois à la hiérarchie de fustiger l’apathie de son personnel, déresponsabilisation, ou au contraire abnégation, “stakhanovisme” pédagogique éprouvant et contre-productif… Il faudra de nombreuses années pour qu’un enseignant trouve un modus vivendi dans un milieu professionnel qui ne prend en compte aucun des acteurs qui le font vivre. De telles conditions ne permettront jamais de construire une réelle identité professionnelle fondée sur des pratiques réflexives.

Le dernier point, enfin, est le plus important car sans doute empêche-t-il les possibilités de changement de la formation initiale de l’enseignant mais également de son milieu professionnel. La prise de contact avec les pratiques du métier étant excessivement parcellaire, brutale et violente au lieu d’être progressive, variée et décidée en concertation, oblige la partie réflexive, la plus importante pour la professionnalisation, à tirer le maximum d’informations sur le minimum de situations en un minimum de temps. La formation initiale se transforme alors en un trop plein de discours plus ou moins théoriques, plus ou moins réflexifs sur des pratiques trop restreintes. La possession de l’identité professionnelle est au cœur de ce déséquilibre. En effet, si la naissance de la professionnalisation se situe dans le temps avec les pratiques et échanges réflexifs, elle se situe également dans l’espace sur les lieux de travail. A l’hôpital pour le corps médical, dans l’atelier ou le chantier pour l’artisan ou l’ouvrier, dans le cabinet pour l’architecte…L’histoire nous apprend par ailleurs que l’un des enjeux du mouvement ouvrier visait à son autonomie. Le mouvement ouvrier défendait sa maîtrise du processus de travail et par là sa liberté et ses liens sociaux contre les velléités d’une bourgeoisie industrielle souhaitant au contraire tayloriser le travail transformant l’être humain en un chaînon processus de fabrication.

Le lieu de travail permet de construire une véritable identité professionnelle à travers l’apprentissage du travail réel contre le travail prescrit. Identité professionnelle qui est modestement source de luttes syndicales et plus généreusement moteur de changements des rapports sociaux dans le travail. L’IUFM en offrant si peu d’espaces et de temps de formation tente de contrôler la professionnalisation au détriment des stagiaires. Cette tentative de domination est double. En faisant sortir la professionnalisation des lieux de pratiques, en négligeant la variétés de celles-ci, tout en tenant pour objectif la professionnalisation, l’IUFM tente de prendre possession de l’identité professionnelle non seulement en édictant des postures et des prescriptions de travail mais également en tentant de contrôler les pratiques réelles du travail de l’enseignant, en créant un travail prescrit, un travail réel mais également un travail proscrit. L’enseignant est éloigné de tout démarquage par rapport à la prescription, de toute réelle créativité, de toutes possibilités de changer le système de travail. En dépossédant le jeune enseignant de son identité professionnelle, on le dépossède de toutes possibilités d’action et de changement sur son outil de travail. On lui fait croire que seules les idées acceptées par l’institution sont viables et profitables. On l’habitue à un culture de la servilité, de l’obéissance, de l’employé modèle. On le transforme en courroie de transmission pédagogique.

Un personnel hétérogène pour un mode de fonctionnement très homogène

Dans cette configuration, le recrutement des personnels de l’IUFM prend tout son sens. Une large part est laissée à la diversité. Pratiquement tous les courants pédagogiques, toutes les postures d’enseignement sont représentés notamment les plus “innovants”. Cependant, la façon d’aborder la pratique, comme nous l’avons vu trop rapide et trop brutale, ne donne pas à ces discours tout le sens qu’ils méritent. Au contraire, elle les vide de leurs sens, ne leurs permet pas de se transformer en réelles pratiques car leur mise en œuvre nécessiterait trop de changements de
la part de l’Institution qui n’est pas prête à les accorder. Un jeune enseignant qui souhaiterait mettre en œuvre ce qu’il entend à l’IUFM n’en n’aurait ni le moyens ni le temps. Ces discours transforment alors la professionnalisation non plus en pratique mais en une idéologie culpabilisante pour le stagiaire, en injonction paradoxale lancée parfois par dessus la bonne foi de formateurs. C’est par ce biais que l’IUFM contrôle, après le travail prescrit, le travail réel. Le jeune enseignant, n’ayant jamais les moyens d’adapter les prescriptions de travail (comme l’élève au centre de l’action d’enseignement qui est une bonne chose en soi), tiendra son travail effectif dans la dévalorisation qui peut le pousser à terme à réclamer des mesures réactionnaires au détriment de sa relation à l’élève. Ainsi, l’IUFM pousse les jeunes enseignants à des revendications de confort personnel et concurrentiel, comme les premières mutations, ce qu’on comprend aisément mais c’est au détriment de revendications de “confort” collectif tant pour les enseignants que pour les élèves, les personnels IATOSS et les parents.
Une hiérarchie aussi ubuesque que subtile vient terminer la description.

L’IUFM n’échappe finalement pas au poids de petits et grands chefs, des inspecteurs qui gardent une place prédominante, de coordinateurs et directeurs en tout genre qui ne peuvent que renforcer ce faux-semblant de lieu de formation. Il prend malheureusement les traits d’un lieu du néo-taylorisme symbolisé par Mac Donald qui tout en affirmant haut et fort sa volonté d’animer des équipes de collaborateurs autonomes, actifs, investis et créatifs multiplie prescriptions et
échelons hiérarchiques pour méthodes de management douces.

Une formation impossible ?

Il ne faudrait pas cependant croire que cette situation est le fruit d’une volonté concertée et délibérée. Certes, elle profite aux tenants d’un système mais elle trouve également son origine dans un état daté des relations sociales et humaines à partir desquelles on doit composer. L’époque est à l’argent et à la domination. C’est donc une question de choix. Le fonctionnement d’Etat a perçu, plus ou moins consciemment, le potentiel révolutionnaire d’une formation professionnelle autonome et laissée à la responsabilité du corps social. Si l’IUFM est critiquable dans ses fonctionnements actuels, une véritable professionnalisation du métier d’enseignant est indispensable pour une école et une société réellement démocratiques. Celle-ci reste à inventer et les voies sont multiples pour engager les changements radicaux avec l’ensemble du corps social. Tout en sachant que le seul courant non-représenté au sein de l’IUFM est la pédagogie autogestionnaire. Peut-être ses potentialités d’autonomie et de démocratie véritable lui font-elles peur ?

Yoann DEBUYS - CNT éducation 59