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L’école, sa critique et les intellectuels anti néolibéraux

dimanche 23 septembre 2012, par Greg

Infatiguable pourfendeur de l’idéologie néolibérale, C.Laval ne se ménage pas pour multiplier ses interventions auprès du public enseignant. Il n’y a plus un débat, un séminaire, un stage, une rencontre sur l’école sans qu’il soit invité comme expert qui vient expliquer ce qu’on aurait besoin de savoir.

Si il met le doigt avec justesse sur là où il faut chercher l’origine des réformes sur l’évaluation et le paradigme des compétences, il reste que son discours ne manque pas de s’en prendre à ce qui succomberait selon lui à la vision utilitariste qui anime la logique néolibérale, ainsi les pédagogies actives et la pédagogie freinet où se retrouvent des enseignants qui luttent pour des alternatives.(1)

Pourquoi ?

Avec cette construction théorique de "l’utilitarisme", qui est devenu le mot de passe de sa pensée, le GROS critère ("comme une dent creuse", dirait Deleuze) qui lui permet de faire le tri dans tout ce qui se présente, on a je pense la raison de sa méprise. En fait, c’est toute cette théorisation qui tient pas la route, et qui le conduit à commettre de graves erreurs d’analyse. En bref, "l’expert" se trompe sur les raisons pour lesquelles il faudrait lutter sur la question de l’évaluation et des compétences, de ce qu’il faudrait défendre à l’école, ou pas, et sur ce que signifie "émancipation" !

Dans ces quelques lignes, je voudrai exposer les arguments suivants :

1. Laval a tort sur l’analyse de ce que signifie, de ce que fait, de ce qu’implique la notion d’idéologie, et de penser qu’en fait nous serions contraints par une idéologie ( l’utilitarisme, en l’occurence !) Ce qu’il développe dans ses différents ouvrages, les interprétations produites pour tenter de justifier sa thèse sur l’idée d’une conception utilitariste qui se trouverait au poste de commande de la machine sociale, c’est une pure fiction, une reconstruction a posteriori qui privilégie un plan épistémique et produit des contre-sens. En amalgamant des significations, des théories, des points de vue qui n’ont rien en commun, en coupant des idées de leur milieu, en confondant les idées avec les régimes ontologiques qu’elles signifient, en attribuant une toute puissance aux représentations quand il conviendrait au contraire de faire la critique de la Représentation, il ne peut qu’aboutir à un critère absolument non pertinent pour analyser quoi que ce soit.

2. Sa construction de "l’Utilitarisme" dérive d’une méprise sur la définition de la connaissance, qu’il comprend comme le champ unifié, homogène, général de la poursuite désintéressée du vrai, et qui serait simplement dévoyée de son but par un usage capitaliste. Laval ne problématise pas la question de la connaissance, du savoir, de la science (qu’il nomme significativement au singulier, ce qui n’a aucun sens bien sûr, à part celui de faire croire à une unité qui fait passer un mode de présentation majoritaire pour le seul possible !) et du coup ne fait que reprendre des définitions dominantes, communes, sur l’unité, la généralité, l’autonomie, la validité de la connaissance, et cette idée qu’elle ne se définirait que par "la recherche de la vérité". Alors que les connaissances ne se définissent pas juste en elles-mêmes, mais d’abord par leur mode de production, par l’agencement qui les produit, par le type de relation qu’elles ont avec certaines conditions d’existence et le genre de sujet qui les crèe.

3. Son idée d’utilitarisme occulte complètement ce qu’il nous faudrait au contraire définir comme diversité de régimes d’usages hétérogènes et divergents, au sens où l’on peut parler d’une politique de l’usage, c’est-à-dire comment on partage qque chose dont on n’a pas la propriété, et qu’on cherche à construire comme innapropriable - ce dont rend compte la création de "collectifs d’usagers", comme Act Up. (2)

4. Son analyse du capitalisme comme système économique lui fait oublier qu’il s’agit avant tout d’une "formation de pouvoir", pour reprendre le terme de Félix Guattari.

"Quelles que soient les apparences qu’il se donne le Capital n’est pas rationnel. Il est hégémoniste. Il n’harmonise pas les formations sociales ; il ajuste par la force des disparités socio-économiques. C’est une opération de pouvoir avant d’être une opération de profit." (3)
Deleuze et Guattari ont cherché à développer plus explicitement toutes les conséquences de cette analyse que l’on trouve chez Marx dans la descrition de l’accumulation primitive du capital, l’histoire d’une violence originaire qui va créer « la séparation radicale du producteur d’avec les moyens de production ». Celle-ci n’est pas seulement le moment historique de création par la force, la violence, la destruction, le démantèlement, des éléments sur lesquels le capital pourra exercer ensuite son mécanisme d’exploitation des ressources et des hommes, mais c’est quelque chose qui a lieu en continu, qui se produit en permanence, qui doit être renouvelé sans cesse. Parce que le capital ne peut exercer son oeuvre de prédation que par des opérations préalables de séparation, dépossession, expropriation qui vont rendre possible l’appropriation privative. Contre les fictions du "marché libre" où se rencontreraient acheteurs, vendeurs de force de travail, ressources disponibles, Marx montre que le capital a besoin d’un nombre infini de contraintes, de violences, d’interventions continues et permanentes d’un pouvoir coercitif pour créér les conditions de son fonctionnement. L’enclosure est une guerre contre le commun qui se déroule sous nos yeux.(Comme le disait T.Friedman du NYT, "La main invisible du marché ne fonctionnera jamais sans un poing caché."28/03/99) Dans la description du phénomène des enclosures, il ressort qu’il y a d’abord une soustraction au commun. La propriété privée c’est le vol. Non seulement du temps de travail d’autrui, mais le vol du commun. Vol des terres, des forêts, des ressources naturelles et aujourd’hui des savoirs et de la biodiversité, soustraits à d’autres régimes d’usages possibles.

La notion "d’appareil de capture" développée dans "Mille plateaux" cherche à saisir le mécanisme à l’oeuvre dans cette "accumulation primitive", comme opération violente de constitution qui rend possible le mode de production lui-même. "il y a accumulation originelle chaque fois qu’il y a montage d’un appareil de capture, avec cette violence très particulière qui crée ou contribue à créer ce sur quoi elle s’exerce, et par-là se présuppose elle-même." (Mille plateaux, p.559)
Et contrairement à ce que croit Laval, ce sont de tels mécanismes de capture qui nous contraignent à agir, en nous rendant impuissants sur ce dont nous avons été privés, et pas parce que nous serions soumis à une "idéologie". (Thématique qui forme le sujet central du livre d’I.Stengers : La sorcellerie capitaliste.)

5. Du coup, il fait aussi l’impasse sur l’analyse de cet appareil disciplinaire spécifique que constitue l’école en ne la considérant que d’après la finalité de "transmission du savoir" ; Laval prend pour argent comptant le discours de l’institution sur elle-même : qu’elle serait un appareil de transmission de connaissances. Mais rien d’autre de ce qui fait l’essentiel de l’institution n’apparait dans l’argumentation. Pas un mot sur la hiérarchie, la domination, la discipline (pas les règles de conduite mais tout ce qui fait l’assujetissement des esprits et des corps), l’apprentissage réduit à des règles de transmission, le jugement, l’assignation à des identifications. Pas un mot sur le fait que la "transmission de connaissances" est peut-être un alibi, celui d’une finalité qui concerne la production de certaines subjectivités et comme si sa finalité n’était pas plutôt d’échouer en ce domaine, "d’empêcher d’apprendre" comme le disent Illich, Gentis ou Stengers. Rien de ce qui fait la multiplicité des rapports de pouvoir et dispositifs d’assujettissement pour produire des subjectivités soumises à des identifications, des normes, des hiérarchies, des classements, n’apparait dans l’analyse de Laval. Son occultation de la fonction disciplinaire de l’école depuis sa fondation par Jules Ferry lui fait reprendre à son compte les poncifs du discours autoritaire sur la pédagogie qui estime qu’éduquer, c’est aller contre l’intérêt, le désir de l’enfant. Du coup il se retrouve sur les mêmes idées que des associations réactionnaires comme "Sauver les lettres", crispées sur la défense identitaire d’un statut disciplinaire, d’un modèle hiérarchique du savoir et d’une conception néfaste du désir comme manque que fustigeaient il y a 40 ans Deleuze et Guattari dans le tome 1 de "Capitalisme et schizophrénie".

6. Sur la question des contenus de la" transmission" dont serait chargée l’école, Laval se lamente sur la tradition humaniste qui serait "en train de sauter" ! Et si cet "humanisme" n’était qu’une imposture. Qu’est-ce qu’un humanisme qui "oublie" les 3/4 de l’humanité, qui se pense détaché de son milieu, qui croit en un Grand Partage, qui cautionne l’exploitation de l’homme par l’homme, qui impose une définition de l’humain. Foucault ne disait-il pas qu’il s’agissait d’une idéologie née au 19è et morte au 20è :"J’entends par humanisme l’ensemble des discours par lesquels on a dit à l’homme occidental : « Quand bien même tu n’exerces pas le pouvoir, tu peux tout de même être souverain. Bien mieux : plus tu renonceras à exercer le pouvoir et mieux tu seras soumis à celui qui t’est imposé, plus tu seras souverain. »(4)

Laval reprend une plainte répandue dans les milieux enseignants et intellectuels sur "le déclin des humanités", la "baisse du niveau", la "déculturation en cours", "l’affaissement de la culture générale", autant de jugements à l’emporte-pièce fondés sur l’absence d’enquête sur ce que les gens savent réellement et sur une confusion entre savoir et connaissances, entre intelligence et répertoire d’une culture générale, entre Culture et cultures, entre culture et normes scolaires.

Dans la récension qu’elle fait du livre "La Nouvelle École capitaliste" (5), Charlotte Nordmann a mis le doigt sur quelques uns des problèmes soulevés par les thèses de C. Laval tant sur la nature des transformations du capitalisme que de ce qui se passe pour l’école. Elle note en effet que si les auteurs montrent assez bien d’où viennent les exigences pour adapter l’école aux nouvelles normes du management capitaliste des travailleurs et comment elles se mettent en place, il reste qu’une zone d’ombre subsiste sur la manière de problématiser ce qu’il en est de l’école avant l’application des réformes dites "néo-libérales". Et l’enjeu est important puisqu’il s’agit de définir ce qu’il faudrait défendre contre des réformes qui opèrent "la casse des services publics".

Or sur ce point, l’analyse de C.Laval est assez succinte, proche des thèses républicanistes de la FSU,
et largement insensible sur la question de ce que fabrique l’institution scolaire comme appareil de normalisation, d’assujettissement et d’expropriation, et cela depuis sa fondation par Jules Ferry.
Ce que ne manque pas de souligner justement Charlotte Nordmann ; C.Laval pose comme problématique qui devrait être celle de la lutte politique aujourd’hui l’idée ou plutôt le mot d’ordre "le néolibéralisme contre l’école", tablant sur une dichotomie entre une institution et une politique qui lui serait étrangère. Laval et ses co-auteurs du livre "La NEC" s’attachent à l’analyse des réformes, des projets, de la "philosophie" de la politique gouvernementale, qui seraient l’imposition d’une "perspective strictement utilitariste" à une école dont l’univers de normes serait plutôt hétérogène à cette emprise économique. Ce que résume G.Dreux dans sa réponse :" L’intention de La NEC est précisément de comprendre par quels mécanismes, par quels processus et par quelles transformations les normes propres au champ économique se diffusent dans le champ de l’éducation."

Dans sa note de lecture, Charlotte Nordmann évoque une insuffisance dans la construction de l’argumentation de Laval : l’articulation entre le cadre général de la perspective théorique, exposée par exemple dans le livre "La nouvelle Raison du monde", et l’examen détaillé des conditions et modalités d’effectuation des transformations dans l’institution scolaire serait "approximatif" et "insuffisament étayé".
Cette remarque sera le point de départ de mon argumentation, à condition de la formuler tout autrement. Il ne s’agit pas d’un problème d’articulation, mais bien plutôt d’inadéquation. Ce qui pose problème, c’est ce cadre théorique général que Laval développe dans ses différents ouvrages. Il s’agit de la thématique choisie par lui de l’Utilitarisme comme "formation symbolique" qui expliquerait tout, comme "rationalité instrumentale", "formelle" qui serait au coeur de "l’esprit du capitalisme", comme une idéologie dont il nous précise ainsi le sens : "On pourrait ainsi considérer l’idéologie autrement, de façon plus proche des conceptions de Durkheim qui n’utilise guère le terme d’ailleurs, mais lui préfère celui de « représentation collective ».(6)
Pour résumer, on peut dire que Laval commet deux erreurs : pour analyser les nouveaux modèles centrés sur l’évaluation des compétences qui sont imposés à l’école, il reconstruit une genèse qui serait celle d’une "conception utilitariste" qu’il fait remonter bien en deça de l’agencement socio-historique où se fabriquent les nouveaux dispositifs de pouvoir qui transforment la gestion de l’école. Il cherche dans une origine extérieure à un milieu ce qui en expliquerait le fonctionnement. Et de plus, il situe cette logique explicative sur le plan des idées, en nous renvoyant à une "conception utilitariste de la connaissance" qui débuterait à la Renaissance.

C’est la perspective adoptée par Laval qui est erronnée. Pourquoi chercher dans l’histoire de la constitution d’un discours qui aurait cohérence et justification internes, posé comme préalable et antérieur, ce qui est l’évènement de la création d’un équilibre renouvellé des relations état, capital et équipements collectifs.

En opérant une décontextualisation, une réduction aux représentations et en attribuant tout pouvoir à sa reconstruction d’un récit extrapolant les idées de Bentham, Laval ne peut aboutir qu’à des contre sens importants, comme par exemple de laisser entendre que Freinet et Illich, c’est la même chose que Milton Friedmann et Attali, pour en venir à des conséquences concrètes de ses postulats.
Sa manière d’aborder les choses, de faire d’une idéologie le moteur de l’histoire, est assez étrange, d’autant plus qu’il ne semble pas ignorer tout le travail fait par Foucault ( dont il utilise les recherches sur la gouvernementalité néolibérale), Deleuze, et leurs héritiers sur la vraie question qui importe : "qu’est-ce qui fait que les gens font ce qu’ils font ?"

Or ici, la représentation, l’idéologie n’expliquent rien. Pour paraphraser Deleuze, elles supposent toujours un agencement ou un dispositif dans lequel elles opèrent et non l’inverse ; "elles ne constituent pas le combat des forces, elles sont seulement la poussière soulevée par le combat"(7) . Autrement dit, Laval va exactement à l’encontre de l’invitation deleuzienne à "penser par le milieu". Dans les deux sens du terme. Sans supposer une mythique origine ni une finalité transcendante, et au sens de prendre les choses par la multiplicité des connexions hétérogènes, par les relations d’associations, de synthèse, d’alliances, qui font de toute chose un rizhome.

L’interprétation de la mutation scolaire que nous propose Laval fait penser à une réaction assez répandue dans le milieu intellectuel, une réaction de défense face à ce qui est présenté comme une marchandisation du savoir, une soumission à des intérêts économiques de rentabilité qui va à l’encontre d’une autonomie proclamée du savoir.

Isabelle Stengers a montré à plusieurs reprises les limites de cette posture qui déplore la perte d’un statut protégé, d’un compromis avec l’état qui garantissait une forme d’autonomie vis-à-vis des pressions du marché ; mais sans voir que c’est justement cette autonomie disciplinaire, institutionnelle, académique qui pose problème, ou plus exactement, qui constitue un régime de clôture qui remplit une fonction politique de séparation, de division, de neutralisation, et bien évidemment de relation avec un extérieur tout autant utile que le prétendu "utilitarisme". Comme le disait I.Stengers dans son texte polémique "Les chercheurs font l’autruche" : "La manière dont les scientifiques ont défendu l’intégrité de leur territoire par le passé a créé leur vulnérabilité d’aujourd’hui. En défendant ce territoire sur un mode apolitique, ils se sont fiés aux alliés entreprenants dont l’intérêt était précisément que ne soit pas posée la question politique de leur rôle . "(8)

Ce qui disparait dans cette identité d’une posture défensive de l’autonomie du champ intellectuel, c’est la capacité à problématiser le savoir, du moins à l’envisager autrement que comme une réalité indépendante, homogène, unifiée. On en reste à cette idée de "sauver la recherche", "sauver l’école",
"sauver l’autonomie du champ intellectuel et scientifique contre son asservissement à des forces qui lui sont extérieures" , comme l’aurait dit Bourdieu à l’époque où il a signé "l’Appel d’Heidelberg". Cet appel rédigé pour le Sommet de la Terre de Rio en 92 par des scientifiques du monde entier annonce ainsi :"nous nous inquiétons d’assister, à l’aube du XXIème siècle, à l’émergence d’une idéologie irrationnelle qui s’oppose au progrès scientifique et industriel et nuit au développement économique et social. " et aussi "Les plus grands maux qui menacent notre planète sont l’ignorance et l’oppression, et non pas la science, la technologie et l’industrie, dont les instruments, dans la mesure où ils sont gérés de façon adéquate, sont des outils indispensables qui permettront à l’humanité de venir à bout par elle-même et pour elle-même, de fléaux tels que la surpopulation, la faim et les pandémies.” (9)

Alors que justement la conférence de Rio commençait timidement à envisager le fait que le mode de développement des pays industrialisés, associé à la technoscience s’était effectué au détriment de l’environnement humain et non-humain, l’appel demande de faire confiance aux responsables de la catastrophe. Cet appel est symptomatique de l’attitude d’une bonne partie du milieu scientifique qui considère comme "normale" la croyance à "la rationalité scientifique universelle et objective" au dessus de la diversité des intérêts humains, et comme si l’urgence était de dénoncer l’irrationalité du public. Comme si la vraie urgence, celle qu’ils ne voient pas, n’était pas ce qui est en train de leur arriver, la disparition de l’autonomie du scientifique et sa soumission aux intérêts privés, le réglage de la recherche sur des intérêts capitalistes à court terme donnant des résultats rentables et des programmes conditionnés par la logique du brevet. L’aveuglement et l’illusion n’appartiennent pas au public "obscurantiste" mais aux scientifiques corresponsables des désastres écologiques et sociaux. Ce sont eux qui sont aveugles à ce que Bertrand Russel revendiquait comme "responsabilité sociale du scientifique".

Le problème aujourd’hui est que tout ça ( La Recherche, l’École, l’Université ) n’a pas besoin d’être sauvé mais radicalement transformé !

Laval est prisonnier de cette vue un peu courte qui consiste à poser en horizon indépassable un certain nombre de choses à préserver : l’idée qu’il faudrait s’en tenir à la tradition humaniste qui est en train de disparaitre, préserver la connaissance de son instrumentalisation utilitariste, mais surtout nous engage dans une voie qui n’est pas la bonne pour penser ce que fait l’école comme appareil disciplinaire et quelles luttes on doit y mener. Parce que son idée de "conception utilitariste" qui s’imposerait à l’école entraine un contre sens sur la manière de définir la connaissance, et déplace l’enjeu qui est autour des rapports de pouvoir pour produire des subjectivités assujetties.
Mais le plus étrange, c’est ce qu’il en vient à revendiquer comme argument clé de voute de sa critique de l’utilitarisme, un argument qui nous entraine sur un terrain de la défense de la loi, des "valeurs", institutions, catégories juridiques qui assurent "l’ordre social", je veux dire le discours sur la "désymbolisation" !

Dans un article de 2002, Laval nous présente ainsi les choses : "Il arrive qu’en tentant de désigner certaines mutations sociales, culturelles, institutionnelles qui affectent nos sociétés nous soyons amenés à les qualifier d’utilitaristes, avec toute la connotation péjorative que renferme le terme en France. Cet usage mérite examen. Il n’est pas ici question de faire ni la police ni le procès des mots, mais plutôt d’interroger les sens qu’on attache à l’expression et de se demander s’il ne serait pas possible d’augmenter la connaissance des phénomènes par l’analyse des usages d’une telle désignation et des références plus ou moins savantes qu’elle implique. Il s’agit ici de s’interroger plus spécialement sur ce que l’on peut entendre par école utilitariste. " (10)

Cette idée lui fait reconstruire une catégorisation où l’école utilitariste succède à quelque chose dont on sent qu’il est un peu gêné de qualifier d’école humaniste de la citoyenneté, d’école guidée par le principe de l’émancipation, qu’elle aurait dû être avant sa mutation. Cette notion d’utilitarisme le conduit à penser que la connaissance est désormais instrumentalisée, que le savoir ne vaut pas pour lui-même mais seulement en tant qu’il permet un profit.
Alors que Foucault nous invitait à interroger les relations savoir/pouvoir, Laval se limite à envisager la question annexe du rapport savoir/économie qu’il fait passer pour le tout de la problématique.

Dans son article "Le modèle néolibéral de la connaissance ", il expose ainsi sa conception :

"En un mot, la connaissance est traitée pour l’essentiel comme une « marchandise ». Dans « l’économie de la connaissance », la connaissance doit être produite et diffusée pour des fins économiques, elle doit être au service de la compétitivité des économies et des entreprises Ce sont toutes les dimensions de la connaissance qui sont affectées par ce traitement économique, qui conduit logiquement à une réorganisation d’ensemble de la production et de la diffusion de la connaissance selon la norme du marché et la logique de l’entreprise."...
"Le paradigme économique de la connaissance a donc trois composantes : la connaissance comme facteur de production, la connaissance comme information, la connaissance comme actif financier.

Elle comprend trois aspects distincts :

un sédiment utilitariste qui subordonne au point de les confondre parfois connaissance et facteur de production. La connaissance est ici instrument de production

la définition néolibérale de la connaissance comme information ou signal.

La connaissance est une information quantitative, une quasi monnaie.

la définition financière de la connaissance comme actif financier. La connaissance est un capital.

1-Un aspect classiquement utilitariste de la connaissance : une connaissance n’a d’existence réelle que par la portée pratique qu’elle a pour celui qui la possède et sait l’utiliser."

" Je crois que pour aller vite on avait affaire jusque-là à deux conceptions dominantes, plus ou moins rivales, plus ou moins alliées de la connaissance : la connaissance des œuvres culturelles et la connaissance des théories. L’une avait son modèle dans l’art, l’autre dans la science. La conception néolibérale de la science est en rupture avec ces deux modèles. Elle leur est même profondément hostile. Elle ne trouve son modèle ni dans l’art ni dans la science mais dans l’économie. Nous avons affaire, si l’on peut dire, à un paradigme économique de la connaissance." (11)

Dans un tel cadre, la seule perspective envisageable est celle de défendre la connaissance contre sa réduction économique, mais du point de vue de cette "connaissance désintéressée", pour elle-même, contre sa marchandisation.

Quelle conception de la connaissance ?

On peut dire que cette massive construction de l’utilitarisme que nous propose Laval n’est que l’image inversée, négative d’une conception du savoir basé sur les universaux de la connaissance, la Raison, la Vérité, la Science, l’Objectivité, l’Homme,... une fiction symétrique qui permet d’englober dans le même sac des réalités bien disparates.
Son idée d’instrumentalisation utilitariste de la connaissance vient de ce qu’il raisonne à l’intérieur de ce que Deleuze appelait "l’image dogmatique de la pensée", désignant par là le fait que pour la pensée dite "critique", il ne s’agit pas tant de remettre en cause des contenus de pensée, le fait que la pensée ait tel ou tel objet, mais la manière même dont est pensée la pensée. Le conformisme ne porte ainsi pas tant sur le fait d’acquiescer à un état de chose détestable que dans le fonctionnement qui est accordé à la pensée, la séparant de ce qu’elle peut. Ce conformisme, Deleuze le situe dans la forme même de la représentation, dans ce moment du basculement dans un régime de pensée majoritaire, celui qui fixe la norme, qui fait de la pensée une activité autonome, réflexive, représentative, l’exercice d’une faculté indépendante, fondée sur des conditions intrinsèques.

Laval nous livre le noyau de sa conception dans cette petite phrase :"Le savoir connaît une transformation majeure quand il n’est plus regardé comme un accès privilégié à la vérité mais quand il est un outil pour « résoudre des problèmes ». (12)

En ne s’interrogeant pas sur ce que signifie penser, connaitre, savoir, Laval ne fait que reprendre des lieux communs hélas répandus, notament par la culture scolaire, des définitions majoritaires dont le seul but est de créer un consensus autour d’une norme.

Première erreur, la supposition d’une unité du savoir est une fiction qui recouvre la diversité des modes de connaissances qui ne sauraient être ramenés à une définition commune. Il n’y a pas Le Savoir mais des modes différenciés, divergents, situés de savoirs ayant leurs moyens propres.

Deuxième erreur, ce qui caractérise un savoir c’est pas la recherche désintéressée du vrai, c’est son mode de production. Et ça on le sait au moins depuis Nietzsche (Zarathoustra et "l’immaculée connaissance") et son travail d’exploration, de généalogie de ce que signifie cette "volonté de vérité" qui n’occupe qu’une petite partie de l’histoire humaine, assez récente, et dont il a montré les véritables motivations inavouées. Ce que prolongera Deleuze qui insistera particulièrement sur ce fait que le vrai n’est pas l’élément de la pensée. L’élément de la pensée est le sens et la valeur.
Dans son dernier livre écrit avec Guattari, figure l’exposition de cette question qui nous présente en gros la thèse inverse de l’opinion de Laval dans la citation ci-dessus. En résumé, toute idée, tout concept renvoie à un problème. Penser, c’est pas chercher la vérité, c’est poser le bon problème, et c’est ce qu’il expose avec l’histoire de la philosophie.

"La philosophie ne consiste pas à savoir, et ce n’est pas la vérité qui inspire la philosophie, mais des catégories comme celle d’Intéressant, de Remarquable ou d’Important qui décident de la réussite ou de l’échec." (13)

Dans son Abécédaire, à la lettre H, Deleuze raconte de manière limpide ce qu’il faut entendre par là.

Connaitre c’est créér des concepts, et créér des concepts, c’est pas chercher la vérité, c’est une affaire de sens. C’est pas chercher un rapport d’adéquation avec quelque chose dont on suppose l’existence préalable, une réalité en attente de reconnaissance, c’est une création.
C’est poser un problème qui a un sens et créér les concepts qui font avancer dans la compréhension et la solution du problème. (je cite !)
Quand Foucault trace le programme de son travail à venir dans sa leçon inaugurale au Collège de France, comment pose-t’il ce problème, crucial dans la tradition occidentale, de la vérité ?

"...si on se place au niveau d’une proposition, à l’intérieur d’un discours, le partage entre le vrai et le faux n’est ni arbitraire, ni modifiable, ni institutionnel, ni violent. Mais si on se place à une autre échelle, si on pose la question de savoir quelle a été, quelle est constamment, à travers nos discours, cette volonté de vérité qui a traversé tant de siècles de notre histoire, ou quel est, dans sa forme très générale, le type de partage qui régit notre volonté de savoir, alors c’est peut-être quelque chose comme un système d’exclusion ( système historique, modifiable, institutionnellement contraignant) qu’on voit se dessiner." (14)

C’est pourquoi il va étudier en quoi on ne peut pas parler de vérité en général, mais de régimes de véridiction, qui renvoient à des pratiques, des activités, des modes d’existence, et sûrement pas à un principe d’unification des savoirs.

Ce que dira Deleuze d’une autre manière. Il faut se débarrasser de La vérité en introduisant la différence dans la vérité elle-même, en en faisant une multiplicité régie par la détermination du sens.
Alors seul le problème peut être dit vrai ou faux.

La fixation sur la vérité constitue un écran qui arrête la pensée, qui bloque l’interrogation sur la valeur de la vérité, qui absolutise un constat local propositionnel, qui généralise une procédure singulière en droit général, bref, qui neutralise ce qui a de l’importance, de l’intérêt, de la pertinence, de la valeur, par rapport à certaines conditions d’existence.

C’est ce qui produit une conception très "intéressée" de la connaissance qui se sépare de la vie en cherchant en elle-même les moyens et les buts (la raison, le vrai, ) qui vont lui permettre de juger la vie, de la prendre comme un objet de connaissance, et non comme ce qui donne son sens à la connaissance. C’est l’institution d’une pratique de connaissance qui fonctionne sur des rabattements, des exclusions, des cloisonnements ; le vrai n’est plus un principe de "vectorisation de l’existence" (Foucault) mais le résultat d’une pure activité de connaissance. C’est la connaissance seule qui permet d’accéder au vrai, et cela quel que soit l’état du sujet. Il ne faut plus que soit posée la question du sujet, de sa transformation, de sa condition d’existence. La vérité n’est plus qu’une pratique de connaissance et non une pratique de vie. L’idéalisme épistémologique de la vérité supplante la pratique de la vérité éthique. Faire et dire divorcent.

C’est ce qu’expose Foucault dans son dernier cours (15). Du savoir, où se transforme le mode d’être de celui qui connait, on passe à la connaissance, simple accumulation de contenus qui ne change rien au statut du sujet, application de règles quel que soit l’état du sujet, plus, qui ne doit pas l’affecter.

C’est exactement en ceci que consiste la "disciplinarisation" des savoirs, l’institution des disciplines académiques, universitaires, scientifiques, l’instauration de domaines de connaissances clos, séparés, normalisés, qui n’engagent à rien. Un mode de confinement, de détachement, de repli sur un champ épistémique, d’autojustification, qui va donner naissance aux idées de "desintéressement", "pureté"...

Cette construction contingente typique de la modernité capitaliste se met en place contre ce qui, auparavent et dans d’autres lieux que ceux du pouvoir, faisait de la pensée un moyen pour mieux vivre, changer la vie, avoir des effets sur les conditions d’existence.
Au repli sur la connaissance à préserver de telle ou telle instrumentalisation que réclame Laval, il faut opposer ce que F.Guattari pensait sous le terme "écosophie"(16), ce que tentent de défendre bien des pratiques alternatives, d’autres liens entre savoir, éthique et politique.

S’il fallait résumer les thèses de Foucault sur les relations entre savoir et pouvoir, il faudrait retenir cette idée que la connaissance ne peut justement pas être définie en elle-même, pour elle-même, par une pure logique épistémique, mais par les différents agencements qui vont définir des régimes de savoir.

Et dans ses travaux à partir de 75, Foucault enquête précisément sur la manière dont vont se constituer différents régimes de savoirs, les sciences humaines avant tout, mais pas que, dont il trace ainsi la configuration au fil des pages de "Surveiller et punir" :
"...pouvoir et savoir s’impliquent directement l’un l’autre ; [qu’] il n’y a pas de relation de pouvoir sans constitution corrélative d’un champ de savoir, ni de savoir qui ne suppose et ne constitue en même temps des relations de pouvoir. Ces rapports de "pouvoir-savoir" ne sont donc pas à analyser à partir d’un sujet de connaissance qui serait libre ou non par rapport au système du pouvoir ; mais il faut considérer au contraire que le sujet qui connait, les objets à connaitre et les modalités de connaissance sont autant d’effets de ces implications fondamentales du pouvoir-savoir et de leur transformations historiques." (17)

Ce sont des modes spécifiques d’assujettissement qui vont donner naissance à l’homme comme objet de savoirs, aux sciences humaines. L’instauration de savoirs disciplinaires séparés et autonomes s’effectue au moment où des technologies de pouvoir fonctionnent conjointement comme procédures d’objectivation et techniques d’assujettissement. La discipline est autant un mode de production des individus que d’organisation des discours.

Cette idée qu’on aurait affaire à La Connaissance en général, pure et désintéressée, est un préjugé moral, comme le disait Nietszsche, qui vise à conforter un rôle de l’intellectuel. C’est un moyen de faire comme si il n’y avait qu’une seule théorie de la connaissance vraie, tout le reste étant croyance, perception subjective, opinion, de faire comme si il n’y avait qu’un seul mode vrai de connaissance, celui qui prend modèle sur "la science" comme matrice du discours légitime.
Et il ne faudrait pas croire que ce que nous dit Deleuze ne concerne après tout que la philosophie.

Au contraire, ce qu’il dit s’applique justement aux sciences, dans la mesure où il existe une diversité de pratiques scientifiques différentes qui ne sauraient être ramenées à une méthode, un critère, une rationalité communs. Chaque science est dotée d’un "style" propre, d’une manière de faire propre, et sur ce point on peut se reporter à ce qu’en dit Ian Hacking qui a tenté de les caractériser. Et ce qu’il a souligné, c’est que plutôt que de vérité, c’est de modes différents de véracité qu’il convient de parler pour les différentes sciences. (18)
"Un style de raisonnement n’est pas responsable devant quelque autre instance.

Un style n’est pas bon parce que il nous aide à découvrir la vérité : Ce n’est pas le fait qu’il permette de découvrir la vérité qui établit sa validité, c’est lui- même, en effet, qui définit les critères de la vérité dans son domaine. A propos de la thèse (1), nous avons dit que chaque style introduisait de nouvelles sortes de propositions. Ces propositions ne peuvent prétendre être vraies ou fausses que dans le contexte du style en question. Nous déterminons si elles sont vraies ou fausses en raisonnant en fonction de ce style. En ce sens, les styles de raisonnement s’auto-justifient. Dans un autre sens, ces styles sont toujours faillibles : en raisonnant selon un style, il est toujours possible de faire des erreurs. Mais c’est dans le cadre du même style qu’on doit découvrir et corriger ces erreurs. "(19)

L’image de la science comme recherche de la vérité appartient à un mode de justification a postériori, une manière de légitimer des modes de production du savoir très intéréssés. Pour Jean-Marc Lévy-Leblond (20), c’est un mythe, qui voudrait propager auprès du public un certain nombre d’illusions.

La science découvre les lois de la nature, elle transcende les conditions culturelles, économiques, politiques pour produire des vérités universelles indépendantes des conséquences et des usages qui en seront tirés. Ce récit, cette "fable des origines" ( Stengers) a pour seul but de colporter un certain nombre de propositions très intéréssées. Faire croire à l’autonomie des sciences, postuler l’unité du savoir, naturaliser la construction des faits, assurer une autorité aux énoncés scientifiques, confondre le type de "réalité" convoqué par l’expérimentation, le laboratoire, avec la réalité en général telle qu’elle nous concerne, transformer une pratique singulière en modèle général pour une théorie de la connaissance, désubjectiver le savoir en imposant un modèle de relation sujet/objet qui fait du sujet le "témoin modeste" - ce "ventriloque légitime et autorisé du monde objectif", terme que reprend Haraway des travaux de Steven Shapin et Simon Schaffer pour rendre compte de la construction du sujet dans la pratique expérimentale, (21) - d’une réalité donnée, disqualifier les savoirs qui ne répondent pas à ce modèle, imposer l’idée que le savoir repose sur la dichotomie réel/représentation, construire une séparation cloisonnée entre le domaine de ce qui va relever de la vérité et ce qui va relever de la politique, de la morale, de l’usage.
Les illusions du discours sur "la science" (que l’on trouve exposé par exemple dans "Science de la science et réflexivité", cours du Collège de France 200-2001 de P.Bourdieu) se fondent sur un statut conféré à la pratique expérimentale qui répond à des questions politiques. C’est ce qu’expose B. Latour dans son livre "Politiques de la nature".
L’arnaque fondatrice est celle qui fait passer la production de faits expérimentaux pour une découverte de réalités et vérités indépendantes du protocole et devant s’imposer à tous comme accès enfin rationnel à la réalité en général. La démonstration d’une relation entre des variables et un état de chose (Deleuze) est transformée en énoncé général qui permettrait de faire le partage entre vrai et arbitraire, convention, entre le donné et le construit, l’objectif et le subjectif, entre les faits indiscutables et les propositions discutées.
Construite sur ces dichotomies, les sciences modernes instaurent ce que le philosophe mathématicien A.N. Whitehead a nommé "la bifurcation de la nature"(22), la division entre une nature objective écrite en termes mathématiques, et celle dont nous avons l’expérience, division entre le monde des faits et celui vécu subjectivement ( les qualités premières opposées aux qualités secondes, pour reprendre le vocabulaire des philosophes). Cette division est "absurde", incohérente selon Whitehead, mais politiquement intéréssée dirions nous aujourd’hui, car elle veut faire croire qu’il y a d’un côté le monde réel unique des faits insensibles aux valeurs, et de l’autre, le monde des valeurs sans réalité, purement symbolique. Cette division que P.Descola nomme "ontologie naturaliste" est politique car elle définit a priori ce qu’est le monde, son unité, de quoi il se compose.

Dans ses deux livres "L’invention des sciences modernes" et "La vierge et le neutrino" I.Stengers nous raconte la mise en place de ce montage particulier qui dès Galilée va faire jouer à la pratique expérimentale un rôle qu’elle n’a pas, pour lui attribuer un pouvoir général, une fonction d’autorité et de disqualification des autres modes de savoir. Et ceci par extrapolation de "tel dispositif prouve telle articulation entre telle et telle variables", à un énoncé général "les faits ont parlé", "la nature a parlé", passant sans distinctions d’un protocole d’expérimentation physique au registre plus large de "la science" et au domaine de la connaissance en général. Séparé des conditions de sa production, des technologies intellectuelles et matérielles, des protocoles, des programmes, l’énoncé scientifique est rapporté à la réalité naturelle commune.

De Galilée à Bricmont (celui qui a lancé la polémique contre constructivistes et relativistes) "la réussite expérimentale est transformée en fondement anhistorique d’une théorie de la connaissance renvoyant au scepticisme tout ce qui n’est pas scientifiquement décidable." (23)

Reprenons les arguments de Laval dans son texte assez synthétique "l’école saisie par l’utilitarisme"(24)
"À cette conception utilitariste, s’opposeront nombre d’auteurs pour qui la science et l’école qui l’enseigne, supposent au contraire une séparation d’avec les expériences premières, les intérêts immédiats, les formes spontanées de la conscience, les objectifs professionnels." (op.cit.p.67 )

Il conviendrait de s’en tenir à ce que "la science" se définit " à partir de la fonction épistémologique d’une connaissance objective, à caractère universaliste et à fondement rationnel critique," (p.67)
" La question de la culture et, en son foyer, celle de la symbolisation, sont, comme on le voit, à l’horizon de toute controverse pédagogique. Parmi les facteurs qui rendent l’éducation si problématique, il convient sans doute de ne pas oublier l’antinomie durable entre un monde centré sur l’action efficace de l’individu et une éducation qui, jusqu’à nouvel ordre, confronte l’enfant aux mots et aux pensées des autres. "(p.72)

Dès lors qu’il s’agit d’annoncer le point de vue à partir duquel s’énonce la critique de l’utilitarisme, Laval se réfère à une certaine doxa académique pour le moins rétrograde et dépassée. Comme l’écrivait avec un certain humour Donna Haraway, " Les seuls qui finissent par croire réellement, et Dieu nous en garde, appliquer les doctrines idéologiques d’objectivité scientifique désincarnée contenues dans les manuels scolaires et la littérature de promotion de la technoscience sont les non-scientifiques, auxquels s’ajoutent quelques philosophes sans méfiance."(25)

Tout cet article révèle assez bien les présupposés de Laval quand à une façon de penser la connaissance qui croit la défendre en fantasmant sur sa pureté. Il reprend ici une épistémologie assez naïvement bachelardienne, basée sur la notion centrale de rupture, entre science et intérêt, entre science et opinion. D’ailleurs, c’est bien là un discours assez massivement diffusé par l’école.

Or cette épistémologie constitue une option très "française" parmi les multiples théories cherchant à définir les critères de "scientificité", une option très mineure, partiale, prise dans des rivalités, des controverses dans le champ scientifique, et réfutée par les scientifiques eux-mêmes. Ainsi on ne retrouve pas cette théorisation dans le monde anglo-saxon !

La notion de "rupture" introduite par Bachelard ne fonctionne pas à l’intérieur de la démarche scientifique, mais vis-à-vis de son extérieur, comme opérateur stratégique, pour asseoir une certaine définition de "la science", basée sur cette idée qu’il lui faut rompre avec des "obstacles" : l’opinion et les intérêts de la vie. Le but de la manoeuvre est de créér une asymétrie dans le savoir, sa légitimation ; et supposer une rationalité là où en fait elle n’existe pas.

Quand Stephen Hawking écrit que "l’univers est isotrope parce que nous sommes là"(l’Univers aurait été programmé pour l’apparition de notre vie ) , est-ce une option métaphysique intéressée ou une erreur de raisonnement ?

L’affirmation "d’univers parallèles" est-elle de la fiction, de la science-fiction, ou "une conséquence pratiquement inéluctable de nos théories physiques les plus élaborées et les plus ambitieuses"(26) ?
Quand tout un symposium de biologistes du comportement animal s’accorde pour définir les orientations homosexuelles comme "erreur sur le partenaire", s’agit-il d’une connaissance objective guidée par la vérité ou d’un tenace préjugé moral ?

Quand la biologie moléculaire soutient le paradigme du "programme génétique", s’agit-il d’une "option idéologique" (27) ou plutôt d’un programme de recherche très intéressé par la mise en place d’un paradigme qui appréhende le vivant comme matière d’un contrôle (28).
Et si la "loi de la sélection sexuelle naturelle" de Darwin n’était qu’un affreux préjugé sexiste ? ce qu’exposent les travaux passionnants des biologistes américains Bruce Bagemihl (29) et Joan Roughgarden (30) sur la diversité des genres et des sexes dans les mondes animaux et humains.

Bref, on pourrait ainsi multiplier à l’infini les exemples pour montrer que les distinctions de Bachelard n’ont pas de sens dans l’histoire des sciences.

Cette épistémologie de la "rupture" s’explique par un contexte très positiviste marqué par une relative obsession pour faire jouer un certain rôle aux pratiques scientifiques, un rôle de justification de l’autonomie du savoir et de l’institution productrice de savoir. L’idée, c’est d’enrôler les sciences, en tant que pratiques singulières, au service d’un nouvel objet, d’un idéal régulateur, d’un modèle, d’un projet en fin de compte politique puisqu’il s’agit d’attribuer au scientifique le rôle de dire le vrai, et au public simple récipiendaire d’opiner en fonction de ses valeurs subjectives. Ce nouvel objet, c’est "La Science", qui n’a rien à voir avec ce que sont, ce que font, ce que disent, comment s’articulent les différentes pratiques scientifiques. "La Science", ce n’est pas ce que font les scientifiques, c’est un mode de justification, une image publique édifiante, un mode de "mobilisation" (au sens militaire), c’est un instrument de disqualification par création d’une division, d’une dualité, d’une opposition science/non-science. C’est un moyen d’attribuer à un esprit universel, la Raison, ce qui appartient à des pratiques sociales singulières, situées, contingentes. L’appel à "la Science" sert généralement à occulter ce qui revient en avant aujourd’hui sur les questions environnementales, le débat, la controverse, le conflit, l’antagonisme, la divergence irréductible sur ce qui doit compter comme savoir.

L’appel à La Science sert plutôt à clore les débats pour renvoyer les objecteurs à l’ignorance ou à l’irrationalité, en revendiquant la vérité contre l’erreur, la connaissance contre les passions. Ou plutôt à le restreindre sur une fonction annexe et dépendante, comme les "comités d’éthique", qui portent bien mal leur nom, puisque dédiés à l’acceptation morale : le scientifique nous présente les faits, à la société de choisir en fonction de ses valeurs.
L’épistémologie, en tant que recherche du critère de la rationalité scientifique, ne tient que sur l’exclusion de la singularité des pratiques, sur la réduction de la construction des réseaux scientifiques à la production d’énoncés et l’extrapolation des critères locaux spécifiques propres aux dispositifs expérimentaux qui déterminent des conditions de réussite en un droit général qui concernerait la connaissance, la raison, la théorie.

Comme l’a explicité I.Stengers dans ses nombreux ouvrages de philosophie politique des sciences, une telle épistémologie de la "rupture" est une interprétation positiviste des sciences, qui ne tient que par une série d’occultations, d’amalgames, de réductions, d’extrapolations qui remontent assez loin dans l’histoire de la politique du savoir.

L’épistémologie ( de Bachelard, Popper ou même Bourdieu) confond un discours général normatif en recherche de critères de scientificité et les modes de régulation des pratiques scientifiques.
Elle réduit une science à ses énoncés, alors que ceux-ci ne représentent que 10% de sa pratique. Mieux, elle fait de l’exclusion de la pratique une condition de sa validité comme discours sur les résultats de cette pratique. Elle fait comme si seuls les résultats séparés de leurs processus risqués, controversés de stabilisation devaient être pris en compte. Elle doit détacher les énoncés de leurs conditions de production, le contexte de la "découverte" doit être exclu de la logique de la preuve. Le milieu institutionnel, technique, économique, l’agencement relationnel où se produit l’évènement de la construction d’un fait doit être occulté pour ne plus laisser apparaitre que le raisonnement logique, la démonstration, la déduction. C’est ainsi qu’elle transforme la construction en révélation d’une vérité qu’il n’y avait qu’à découvrir, et qu’elle peut mettre en oeuvre son opérateur de division entre le fait et l’énoncé, entre le monde et le concept, les mots et les choses, la réalité et la vérité.

Alors que les sciences fonctionnent par la multiplication incessante des attachements, des mises en rapport... l’épistémologie fonctionne au contraire sur le principe du détachement : le résultat de sa construction, la théorie de la pratique, l’objet du sujet, la nature de la culture, les faits de la politique et des valeurs...

C’est seulement par cette série d’abstractions que l’on peut poser l’idée d’une définition générale de la Science, complètement décontextualisée, qui ne serait plus dès lors que recherche désintéressée du vrai. Cette illusion de la connaissance qui "ne vaudrait que pour elle-même" (Laval) ne tient que sur cette supposition d’une rationalité abstraite de ses conditions historiques et sociales.

C’est pourquoi il n’y a pas de "méthode scientifique", contrairement à ce qu’on apprend à l’école, mais à la rigueur autant de méthodes que de styles. Et si l’épistémologie a pu longtemps présenter la pratique expérimentale comme paradigme de la "méthode scientifique", c’est par nécéssité extra scientifique, pour des raisons, des valeurs, des intérêts qui ont à voir avec la mise en disponibilité du monde, pour valider une manière de faire déterminée par un projet qui a tout intérêt à imposer l’idée d’une continuité directe entre le laboratoire et le monde.

Les travaux d’histoire des sciences de D. Pestre nous racontent tout autre chose que cette idée de science désintéréssée et neutre guidée par la vérité, (31), et nous révèlent le sens d’une préoccupation stratégique paradoxale. C’est qu’en effet l’émergence et l’affirmation de la science autonome, désintérressée et neutre apparait au moment le plus fort de l’intégration des sciences aux institutions, projets, contraintes, exigences étatico-capitalistes. Le mythe de la science pure se met en place au moment de sa "nationalisation". Refusant de se limiter à une histoire des idées
détachées de leur contexte, il annonce ainsi sa recherche : " la plupart des grandes fresques historiques concernant les sciences ayant d’abord été des histoires d’idées et de concepts. Je pense donc qu’il nous faut penser l’histoire des quatre ou cinq derniers siècles comme marquée par la succession de régimes de production de savoirs articulés sur des modes sociaux de production et d’existence" (p.7)
"Le long XXe siècle voit une transformation profonde des sciences, des pratiques scientifiques, de ce qu’est ‘être scientifique’ et ‘faire science’. Emerge à ce moment une autre définition de la science comme institution sociale, un autre inventaire de ses lieux légitimes comme de ses modalités d’action, au laboratoire comme dans les démarches abstraites. La ‘science’ devient un élément du dispositif productif de masse et un outil de rationalisation sociale et industrielle. Comme dans le reste du corps social, le laboratoire devient un lieu plus organisé et hiérarchisé, et la division du travail, comme la spécialisation, y prévalent. La science est prise en charge par les Etats, elle est mobilisée pour la préparation de la guerre totale que beaucoup attendent, et elle devient un moyen de constitution des Etats nations."(p.16)

"C’est de ce moment que date l’invention de ‘la science’ comme catégorie générale (ceci est l’œuvre de Whewell dans le monde anglophone), catégorie qui unifie un ensemble d’activités et l’essentialise pour lui donner un sens nouveau ; avec elle s’établit l’évidence de la hiérarchie pur / appliqué et le fait que l’abstrait et le théorique sont ce qui guide et caractérise en propre une science capable de transformer le monde. "(p.22)

C’est pas la vérité mais cette institutionalisation qui définit ce qu’il convient de chercher, comment, pour qui, dans quel but, ce qu’il convient d’ignorer, de considérer comme obstacle négligeable, et c’est dans ce cadre que l’autonomie du scientifique - celle qu’ils réclament aujourd’hui, "je veux que l’état me donne les moyens de faire ce que je veux sans rendre de comptes"- se révèle comme une connivence intrinsèque avec le pouvoir qui seul peut valider, exporter, imposer ses affirmations.

L’autonomie, c’est sur le 20è siècle, le régime de la commande étatico-militaire où l’état finance une science nationalisée qui ne rend aucun compte au public, produisant un scientifique irresponsable et aveugle (je ne veux pas savoir pourquoi moi je reçois de l’argent et pas l’écotoxicologue qui travaille sur des questions de santé publique, je ne veux pas savoir quelles sont les conséquences de mes recherches en labo sur la population, laissez-moi chercher librement !)
Aucune science n’est neutre, autonome, mais cette identité fonctionne comme un pare-feu, pour éviter de s’interroger sur les conditions et les effets de cette "neutralité".

Et un des responsables c’est l’école, qui nous délivre un Credo qui sert de morale au monde moderne, et Laval se fait son colporteur.
" La Science est vraie et objective parce qu’elle déchiffre les lois de la nature".

Même si l’actualité nous apporte tous les jours la preuve du contraire (OGM, biotech, climat, nucléaire, destruction de l’environnement,)
Catégorie complémentaire de La Science, La Nature n’est pas le monde donné en attente de la construction adéquate d’une représentation qui viendrait en révéler la vérité, comme nous l’affirme péremptoirement une doxa épistémologique en érosion, c’est une catégorie activement produite, un régime d’existence particulièrement intéressé, comme le montre par exemple l’essor de la biologie moléculaire et des biotechnologies. Un exemple récent illustre parfaitement le rôle que joue la catégorie de nature dans le monde occidental, et du point de vue de la dynamique capitaliste plus précisément.

En 1998, sous pression des lobbys en biotechnologies, le parlement européen vote la directive 98/44/CE qui autorise le brevet sur le vivant.
Pour permettre cette appropriation, sachant que le brevet n’était jusqu’à présent accordé que pour des procédés, des inventions, il lui faut remanier la répartition entre nature et artifice. Jusqu’à présent, le droit se pliait à la maxime lockéenne "la nature inanimée est le domaine que l’homme peut s’approprier par son travail", désormais, le vivant lui-même entre dans la catégorie de matière à appropriation.
En effet, l’article 3 de cette directive précise ainsi :
"alinéa 2. Une matière biologique isolée de son environnement naturel ou produite à l’aide d’un procédé technique peut être l’objet d’une invention, même lorsqu’elle prééxistait à l’état naturel. "

Mais cette requalification du vivant en matière, c’est le laboratoire qui la permet. Car aucune vie n’existe sous cette forme séparée d’un milieu, et elle doit donc être produite, fabriquée en brisant, excluant, occultant les relations qui font exister ce vivant et en le plaçant dans un autre milieu construit par une pratique expérimentale de réduction. Mais ce nouveau milieu est lui aussi dénié ; l’artifice passe pour équivalent. C’est ce qui a permis à des labos de breveter des éléments du corps humain et de débouter leurs "porteurs" de toute prétention.

Comme le fait remarquer l’activiste écoféministe indienne Vandana Shiva à propos du rôle de la biologie moléculaire dans la redéfinition de la frontière nature/ culture et sujet/objet "l’acte d’extraire devient ainsi l’acte de posséder, et pour faciliter la capacité d’extraire, de séparer et de fragmenter le capital dépend de la science et de la technologie" (32) .

Symbolique et humanisme

Laval reprend à son compte une bonne partie des théorisations de Durkheim sur plusieurs points, et précisément sur la question du statut et de la genèse des représentations, sur la définition du symbolique, et sur les postulats d’une sociologie qui lie symbolique, société et état.

Dans son texte "Le nouveau sujet du capitalisme", ( 33) une étrange variation sur des thèmes réactionnaires néolacaniens, Laval cite une phrase de Lévi-Strauss sur le symbolique en croyant y retrouver la continuité de ce que disait Durkheim : "La fonction symbolique du père est donc éminemment et essentiellement sociale puisqu’il est représentant de cette loi de communication entre sujets d’une même société. Le point décisif a consisté à lever l’obstacle que Lévi-Strauss a bien repéré, dans son Introduction à l’œuvre de Marcel Mauss, en tenant que la question n’est pas tant de chercher une théorie sociologique du symbolisme que de « chercher une origine symbolique de la société » [Lévi-Strauss, 2004, p. XXII]. Ce qui ne signifie évidemment pas que, du symbolique au social et au mental, il n’y a pas de relation, mais qu’au contraire, on ne saurait faire une quelconque analyse sociologique ou économique sans la référer à la structuration symbolique des rapports sociaux qui doit être considérée comme première. En d’autres termes, il n’y a pas de social qui ne soit du symbolique. "

Et puis on saute au plafond quand on lit un peu plus loin :"Mais que se passe-t-il quand l’État moderne vient à renoncer à sa fonction symbolique de médiation du lien social, comme c’est le cas dans la phase néolibérale du capitalisme ? "

Or sous l’apparente ressemblance d’une proposition qui réunirait les deux auteurs, "il faut faire la genèse symbolique du social", Laval ne voit pas que Durkheim et Lévi-Strauss ont des définitions exactement opposées de ce que signifient le social, le symbolique, et ce qu’il faut entendre par "réalité". Patrice Maniglier a fait la démonstration de ce point sur le rapport entre Durkheim et cet ancêtre inspirateur de Lévi-strauss qu’est F. Saussure (34) - et Lévi-Strauss lui même a expliqué en quoi il se débarrassait de Durkheim.

Lévi-Strauss a explicitement construit l’anthropologie structurale contre la sociologie de Durkheim, en s’attaquant à ses postulats de base : le social n’est pas constitué de "représentations collectives" mais de signes qui circulent selon certaines règles, le social n’est pas l’unité qui transcende les consciences individuelles mais la combinaison diversifiée des rapports d’échange, de communication, des relations d’alliance, de filiation, des systèmes immanents de règles en transformation, en devenir.

Comment Durkheim pense t’il la genèse du symbolisme ? Pour résumer, on peut dire qu’il fabrique une notion de "représentation", de symbolique, qu’il définit comme réalité matérielle, identique, transcendant et unifiant le collectif, et comme par hasard, la religion devient alors le modèle de ce qu’il pense comme l’institution du social. C’est pourquoi son explication de la genèse du symbolique le fait remonter à la question du totémisme. Du moins à une interprétation simpliste et erronnée de ce qui a été appellé "totémisme", cherchant à produire une équation totémisme=religion=social. Le totem serait le symbole qui représente, unifie, exprime le collectif, à la manière de la transcendance d’un dieu. Sans symbole, pas de collectif. Le symbole est l’élément qui fait d’un ensemble d’individus une société ; il apporte son unité, sa structuration au social.

Cette interprétation est totalement fantaisiste, mais révélatrice en fait de la vision politique qui animait Durkheim, et en fin de compte de ce sur quoi il fondait sa vision autoritaire de l’éducation.

Sur cette question du "totémisme", on se reportera avec intérêt à des enquêtes ethnographiques récentes un peu plus sérieuses que l’idéologie durkheimienne, notament celles de Barbara Glowczewski , anthropologue spécialiste des aborigènes australiens qui travaille au Laboratoire d’Anthropologie Sociale fondé par Lévi-Strauss. Repartant de ses thèses ( Dans "Le totémisme aujourd’hui" ; Le totémisme n’est pas une religion mais une manière d’identifier et de catégoriser les existants, et peut-on rajouter, qui n’est pas l’usage métaphorique de la nature pour signifier l’humain, mais qui subvertit la division nature/culture) et se confrontant à celles de son collègue P.Descola qui ne l’envisage plus comme "religion primitive" mais comme ontologie, elle apporte un regard très pertinent qui renouvelle la manière d’envisager ce que signifie cette "culture aborigène" d’un point de vue qui n’en nie pas sa valeur politique ("C’est l’une des particularités des voix autochtones que d’être les colporteuses en ce monde de l’inséparabilité de l’existence et de la résistance, de l’existence comme résistance." (35) )

Ce que montre toute l’oeuvre de Lévi-Strauss c’est qu’il n’y a pas quelque chose comme "le symbolique", et encore moins "l’ordre symbolique"( en gros, les normes, les lois, les interdits, non pas de "l’espèce humaine", mais d’une société particulière !) que l’on trouve dans certains délires néolacaniens, mais qu’il y a toujours des systèmes symboliques, pluriels, non superposables, non homogènes, qui ne permettent pas d’énoncer a priori ce que seraient les conditions de l’activité symbolique. Croire en un "ordre symbolique" serait s’interdire toute enquête ethnologique en tant qu’elle est comparaison des systèmes symboliques, et ce non en supposant un commun qui serait partagé, donné d’emblée.

Comme le résume très bien Patrice Maniglier :"il est difficile de se réclamer de la construction du concept d’activité symbolique de Lévi-Strauss pour déterminer avec la caution de la science anthropologique les limites de l’humanité ou les conditions de l’humanisation en général, car cela reviendrait à croire qu’il est dores et déjà possible d’émettre des thèses générales sur les conditions d’exercice de la fonction symbolique. A cette rencontre d’une certaine figure (réactionnaire) de l’humanisme et d’une redéfinition de l’anthropologie au moyen de la notion d’ordre symbolique, nous opposerons ensuite l’articulation de ces deux termes dans l’œuvre de Lévi-Strauss lui-même, chez qui la redéfinition de l’anthropologie comme science des mécanismes de la pensée symbolique implique une forme radicalement différente d’humanisme, un humanisme interminable."(36)

C’est le nouveau directeur du L.A.S., P. Descola qui développera lui aussi cette thématique de l’analyse des cultures, des modes de pensée, des manières d’appréhender le monde, non pas comme des "représentations", mais comme des "schèmes de la praxis", des matrices ontologiques, ce qui doit nous conduire à envisager les cultures comme des constructions de mondes, et non comme des représentations différentes d’un même monde.

Dans son cours au Collège de France "Anthropologie de la nature", P. Descola analysant les impasses de la tradition anthropologique française bâtie sur "le dualisme de la nature et de la culture comme un gabarit analytique réputé universel"(...) expose ainsi les conséquences épistémologiques en ce qui concerne la théorie de Durkheim :
"Durkheim et les tenants d’une lecture symbolique de la religion soulignent l’aspect sociocentrique de ces représentations : elles portent moins sur le système du monde que sur les relations entre les hommes, elles signifient et expriment un certain état de la communauté morale plutôt qu’elles ne fournissent une armature conceptuelle aux actions magiques visant à s’assurer le contrôle des choses. Objet d’une entreprise embryonnaire d’explication rationnelle selon les intellectualistes, la nature devient, pour les durkheimiens, une toile de fond animée par les catégories mentales à chaque fois différentes que projettent sur elle les collectivités humaines : tout comme la religion, la nature des prémodernes serait la société transfigurée. Là encore, les représentations du monde physique fonctionnent sur le mode du reflet, non plus comme une image fantasmagorique de pratiques et de
phénomènes réputés objectifs, mais comme un indice supposé fidèle de certaines conditions de l’existence humaine.

Pourtant, les liens multiples et enchevêtrés que tout individu tisse à chaque moment avec son environnement n’autorisent guère une distinction aussi tranchée entre savoir pratique et représentations symboliques. Plutôt que de voir dans les cosmologies et les représentations religieuses des non-modernes des idéologies superstitieuses, des tâtonnements préscientifiques ou des projections expressives, articulés de façon plus ou moins raisonnable à un système de connaissances
positives, il est donc préférable de les traiter, à l’instar de toutes nos actions dans le monde, comme une manière d’établir des relations avec des entités de toutes sortes, à qui l’on prête des propriétés spécifiques exigeant en retour des types de conduite et de médiation adéquats à la nature qu’on leur suppose. "( 37)

Cette dérive vers laquelle Laval est entrainé par son attachement à l’idée d’une fonction symbolique définissant l’humain le conduit sur le terrain des moralistes et politiciens qui s’exclament chaque fois que sont remises en cause les valeurs, institutions, catégories juridiques qui assurent l’ordre social.

Si l’on remet en cause la famille, l’autorité patriarcale, la loi, les valeurs morales, etc. alors c’est le chaos, la barbarie, la non-signifiance.
Dans son livre " La nouvelle raison du monde. Essai sur la société néolibérale" (Ed. La découverte, 2009. ), Laval en appelle ainsi à la "désymbolisation" pour dénoncer les effets de la rationalité néolibérale sur le sujet !
Mais quel sens cela a t’il d’en appeller à une désymbolisation, au sens de déshumanisation, pour dénoncer les effets d’une certaine politique ? Est-ce l’humanisation qui est atteinte en elle-même, mais alors de quelle humanisation s’agit-il ? Qu’est-ce que l’humanisation ? En fait une définition de l’humanisation doit être posée pour soutenir une réthorique catastrophiste de sa mise en faillite.

Mais alors, quelle définition de l’humain Laval souhaite t’il exporter pour le genre humain ?

Pauvre Lévi-Strauss qui a consacré sa vie à prouver tout le contraire, de combien de définitions peut être riche le genre humain, et combien se révèle mensonger, impérialiste un humanisme qui croit à sa vocation universelle.

Plutôt que d’une reprise des thèses de Durkheim , ce dont nous avons besoin aujourd’hui c’est d’une critique lucide radicale de toute cette sociologie française entièrement liée à un projet politique d’ingénierie sociale, qui identifie naïvement Rationalisme, intérêt national, culture française, tradition intellectuelle cartésienne ( voir son cours "pragmatisme et sociologie" de 1913-1914). Une entreprise qui en fait camoufle sa politique dans ses partis pris épistémiques, une sociologie obsédée par l’effacement du conflit dans les "faits sociaux".

Transmission et apprentissage

Partant de telles prémisses, Laval en vient à s’aligner sur des significations communément répandues sur l’école et par l’école, sa définition par la fonction de transmission du savoir. Sans mettre en question la nature et les modalités de cette "transmission". Pas plus qu’il ne problématisait la question de "la connaissance" et de "l’humanisme".

Bien sûr, l’école du passé était selon lui ségrégative, oppressive et inégalitaire, comme l’avaient analysé Bourdieu et plus tard Baudelot et Establet. Mais il n’en reste pas moins qu’elle serait caractérisée par cette finalité : assurer la formation intellectuelle (et scientifique), morale et politique.

Or en mettant ce critère au premier plan, Laval se trompe sur l’analyse de l’institution scolaire qui s’est historiquement constituée pour de toutes autres raisons que la "transmission du savoir". Ce qui la définit c’est bien plutôt son rôle d’appareil disciplinaire de production de subjectivités.

Il acquiesce au cliché dominant sur l’école comme lieu ou des ignorants se transformeraient en instruits,
alors que la question des connaissances véhiculées par l’école prend son sens à l’intérieur du cadre du dispositif disciplinaire où des rapports de pouvoir cherchent à produire des individualités assujetties.
Des individualités fabriquées par une multitudes de petits dispositifs quotidiens, permanents, de notes, de classements, de comparaison, de concurrence, de sélection, de grilles de compétences, d’examens, un système omniprésent du jugement.

C’est seulement dans ce cadre que des connaissances fonctionnent comme moyen, comme intermédiaire, comme instrument pour inculquer des significations (des mots d’ordre, disait Deleuze), mais surtout pour exproprier les enfants de leur capacité à apprendre. Car c’est bien ce qui avait choqué l’instituteur Célestin Freinet lors de la première guerre mondiale, comment l’école avait-elle pu fabriquer une telle masse d’ignorants marchant au pas à l’abattoir comme des moutons.
Dans son livre "L’école de Jules Ferry", Jean Foucambert raconte de quelle manière l’institution va opérer un détournement par rapport à ce que des formes d’éducation populaire, d’instruction par le peuple avaient tenté de mettre en place : elle va retourner contre lui l’instruction que le peuple revendiquait.

Peu de temps après, Durkheim a bien reformulé cette mission de l’école républicaine :

" il faut que l’enfant apprenne le respect de la règle ; il faut qu’il
apprenne à faire son devoir parce que c’est son devoir, parce qu’il s’y sent obligé, et
sans que la sensibilité lui facilite outre mesure la tâche. Cet apprentissage, qui ne sau-
rait être que très incomplet dans la famille, c’est à l’école qu’il doit se faire. A l’école,
en effet, existe tout un système de règles qui prédéterminent la conduite de l’enfant. Il
doit venir en classe avec régularité, il doit s’y présenter à heure fixe, dans une tenue et
une attitude convenables ; en classe, il ne doit pas troubler l’ordre ; il doit avoir appris
ses leçons, fait ses devoirs, et les avoir faits avec une suffisante application, etc. Il y a
ainsi une multitude d’obligations auxquelles l’enfant est tenu de se soumettre. Leur
ensemble constitue ce qu’on appelle la discipline scolaire." (Émile Durkheim (1902-1903), L’éducation morale, p.105)

La mission de transmission des savoirs attribuée à l’école républicaine est en quelque sorte l’alibi d’un "programme caché" bien plus vaste qui cherche à produire un certain genre de bon sujet adapté.
Et d’autre part, la transmission est une modalité très particulière de formation, entièrement définie, organisée, planifiée, par sa fonction de contrôle par l’évaluation.(38)

Ce que Laval conçoit comme passage "d’un modèle scolaire centré sur la société politique dont le concept était celui de citoyenneté à un modèle dont le concept central est le capital humain", il faut le penser selon l’intuition deleuzienne comme passage des sociétés disciplinaires aux sociétés de contrôle,
et pour les institutions ("tous les milieux dʼenfermement, prison, hôpital, usine, école, famille. "), comme passage du moule disciplinaire à la modulation du contrôle.

Dans l’école il n’y a aucune fiction citoyenne qui tienne, et cela se vérifie dans la transmission elle-même, entièrement définie comme rapport linéaire, hiérarchique, distributif, univoque, simple transfert entre deux pôles conçus comme homogènes. La transmission est effectivement le modèle dominant des sytèmes scolaires qui pose les élèves comme récepteurs d’une diffusion identique pour tous, et c’est en cela qu’elle fabrique de la différentiation, puisque le récepteur n’est qu’exceptionnellement au diapason de l’émetteur.

Se contenter de dire que l’école transmet des savoirs sans entrer plus avant dans la manière dont se fait cette transmission, ce qu’elle véhicule et quels sont ses effets de pouvoir, c’est cautionner un système qui fait tout autre chose par ce moyen même.
A l’école, le savoir ce sont des disciplines et des éléments (d’où l’école "élémentaire" !), ce qui en dit long sur ce qu’il en est concrètement. La discipline, comme organisation des comportements et des connaissances, c’est une technologie qui a pour but de produire certains effets. Définie par des règles et des normes, elle a des effets de pouvoir sur les esprits et les corps.

On dit généralement que l’école transmet les savoirs en cours dans la société, qu’elle transpose, diffuse, communique, explique des éléments qui prééxisteraient à l’extérieur. Or les connaissances scolaires sont des créations spécifiques, les matières enseignées sont constituées spécifiquement à usage scolaire.

C’est ce que montre très bien André Chervel dans son article " l ’histoire des disciplines scolaires"(39) ; l’orthographe, la grammaire, le calcul, l’histoire, la géographie enseignés à l’école ne sont pas une vulgarisation, un décalque de ce qui se fait dans la société, ce sont des entités "sui generis" qui sont produites avec d’autres finalités. Leur production, leur fonctionnement, leurs finalités répond à des nécéssités propres au système scolaire et pas à ce qui définirait une "transmission du savoir" en général.

"l’école ne se définit pas par une fonction de transmission des savoirs, ou d’initiation aux sciences de référence. " (Chervel, p.66)
"La discipline scolaire est donc constituée par un assortiment à proportions variables suivant les cas, de plusieurs constituants, un enseignement d’exposition, des exercices, des pratiques d’incitation et de motivation et un appareil docimologique, lesquels, dans chaque état de la discipline, fonctionnent évidemment en étroite collaboration, de même que chacun d’eux est, à sa manière, en liaison directe avec les finalités. "(Chervel, p.100)
Une discipline, c’est des contenus de connaissance décontextualisés, une programmation linéaire et surtout des modes d’évaluation qui en fait déterminent ce qu’il convient de faire acquérir aux élèves, selon le précepte de plus en plus en vigueur, "ce qui existe c’est ce qui peut être mesuré".

Une discipline, comme l’illustrent ces outils indigents que sont les manuels scolaires, c’est une formalisation particulière caractérisée par la fragmentation, la décomposition, la segmentation et par une programmation planifiée qui va généralement selon un ordre qui se revendique comme allant "du simple au complexe".
Aller du simple au complexe, c’est une construction inventée par celui qui cherche à effectuer un contrôle d’une démarche d’enseignement, celui qui connait d’avance les étapes à parcourir, et qui cherche à en maitriser le cheminement unique et réglé. En fait, il se révèle que le pseudo élément simple est pour celui qui apprend très complexe, puisque cet élément simple est le résultat d’une construction par coupures multiples de relations qui donnent sens et consistance. Donc le simple n’a de sens que du point de vue d’un contrôle.

D’où les stupidités que l’on peut lire dans les programmes scolaires : apprendre à parler se réduit à engranger du lexique et des formules syntaxiques ; faire acquérir le principe alphabétique serait enseigner que "une lettre = un son".

André Giordan, qui a créé le Laboratoire de didactique et épistémologie des sciences à l’université de Genève, résume bien en quoi la programmation de l’enseignement scolaire s’oppose aux dynamiques d’apprentissage : "Apprendre à faire du vélo comme on apprend à l’école
La première année, nous apprendrons le nom des différentes parties du vélo :
Les chapitres seront le cadre, les roues, les freins.
La deuxième année… les exceptions (pneu sans chambres à air, boyaux avec chambres, vélos à trois roues, à une roue...)
En troisième année, pour joindre la théorie à la pratique, nous aurons des TP ou vous pourrez voir un vélo sur un trépied et même faire tourner une roue à la main et freiner.
Une attention particulière portera sur l’orthographe des parties et sur la présentation de votre compte-rendu de TP.

En quatrième année, nous commencerons l’histoire du vélo et du cyclisme. Les différents tours, de France, de Suisse avec les étapes et les vainqueurs…Si après cela les élèves ne savent pas faire du vélo, c’est parce qu’on n’a pas pu… finir le programme." (40)

Mais cette structuration et institutionalisation des disciplines a pour but de créer de la différenciation, de l’inégalité, une sélection des élèves. C’est une manière d’assigner à des identifications, des parcours prédéfinis, en créant des obstacles, des filtres entre ceux qui vont réussir et ceux qui vont échouer. Autrement dit, l’échec scolaire est organisé par le système de la transmission.
En supposant une continuité, une homogénéité entre celui qui émet et celui qui reçoit, en faisant comme si tous les enfants étaient semblables comme élèves, comme s’ils avaient les mêmes références, les mêmes cheminements, les mêmes rythmes pour recevoir la transmission, l’école garantit l’échec sauf pour ceux qui sont préparés à déchiffrer ses codes, ses implicites, ses attentes. Ceux qui s’en sortent sont ceux qui sauront reconstruire une cohérence dans cette "pulvérisation" du savoir, seuls les enfants qui savent déjà quant aux fonctions, aux usages, au sens des "éléments" dispensés par l’école, comprendront la démarche abstraite normalisée.

C’est paradoxal mais on peut dire que l’école fabrique de l’ignorance par dépossession du savoir, de la capacité à apprendre. Le rôle de l’école est d’exproprier les gens de leurs capacités autonomes de production et acquisition de savoirs au profit d’institutions vis-à-vis desquelles ils seront dépendants, comme clients, consommateurs impuissants, passifs, qui n’ont pas les moyens de remettre en cause ce qui se décide pour eux.

C’était exactement le constat de départ d’Ivan Illich dans son livre "Une société sans école" :
"chapitre 1. pourquoi il faut en finir avec l’institution scolaire.
Bien des étudiants, en particulier ceux issus de familles modestes, savent intuitivement ce que leur apporte l’institution scolaire. Elle leur enseigne à confondre les méthodes d’acquisition du savoir et la matière de l’enseignement et , une fois que la distinction s’efface, les voilà prêts à admettre la logique de l’école : plus longtemps ils resteront sous son emprise, meilleur sera le résultat, ou encore le "processus de l’escalade" conduit au succès ! C’est de cela que l’élève est "instruit" par les soins de l’école.C’est ainsi qu’il apprend à confondre enseigner et apprendre, à croire que l’éducation consiste à s’élever de classe en classe que le diplôme est synonyme de compétence, que savoir utiliser le langage permet de dire quelque chose de neuf...Son imagination, maintenant soumise à la règle scolaire, se laisse convaincre de substituer à l’idée de valeur celle de service..."(41)

Didier Muguet

notes :

1. voir par exemple le livre de Grégory Chambat, Pédagogie et révolution, éd.libertalia, 2011.

2. sur ce thème, voir par exemple le séminaire organisé par le "Collectif sans ticket" en 2002, "Usages et enclosures" - http://enclosures.collectifs.net/

3. Le capital comme intégrale des formations de pouvoir, in La révolution moléculaire, U.G.E., 1980.

4. Michel Foucault, « Par-delà le bien et le mal », novembre 1971 in Dits et écrits, I, p. 1094-1095.

5. Charlotte Nordmann, « Peut-on défendre l’école sans la critiquer ? », RdL – La Revue des Livres, n°2, nov.-déc. 2011, p.2-7.

6. L’utilitarisme comme représentation sociale du lien humain, Revue du MAUSS permanente, 6 juillet 2009 .)

7. G.Deleuze, "Foucault ", éd. de Minuit, 1986, p.36

8. cf.http://multitudes.samizdat.net/Les-chercheurs-font-l-autruche

9. sur cette affaire et les controverses qu’elle a soulevé, on lira le n°1 des "cahiers de Global Chance", publiés par une association de scientifiques "citoyens". http://www.global-chance.org/

10. revue Cités, n° 10, Paris, PUF, 2002 , p.63.

11. http://institut.fsu.fr/Connaissance-et-neoliberalisme-par.html

12. revue Cités, n° 10, Paris, PUF, 2002 , p.67.

13. Qu’est-ce que la philosophie, éd. de minuit, 1991, p.80)

14. M. Foucault, " L’ordre du discours", Gallimard, 1971, p.16

15. Michel Foucault, Le Courage de la vérité. Le gouvernement de soi et des autres II. Cours au Collège de France, 1984. Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Gallimard, Éditions du Seuil, coll. « Hautes Etudes », 2009.

16. F.Guattari, Les trois écologies, Galilée, 1989

17. M.Foucault, Surveiller et punir,naissance de la prison, Gallimard, 1975, p.32

18. Ian Hacking : ""vrai", les valeurs et les sciences", http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/arss_0335-5322_2002_num_141_1_2814

19. Philosophie et histoire des concepts scientifiques , cours au Collège de France, 2003-2004.

20. voir ses articles dans la revue qu’il a créé "Alliage".

21. Donna J. Haraway "Le témoin modeste : diffractions féministes dans l’étude des sciences", dernier article du recueil "Manifeste cyborg", éd. Exils, 2007, p.311

22. Isabelle Stengers, Penser avec Whitehead, Seuil, 2002, p.23

23. La vierge et le neutrino, Les empêcheurs de penser en rond, 2006, p.96

24. revue CITES, 2002/2 - n° 10

25. Manifeste cyborg et autres essais, éd. Exils, 2007, p.108

26. "Quelques éléments de physique et de philosophie des multivers ", Aurélien Barrau , Laboratoire de Physique Subatomique et de Cosmologie CNRS-IN2P3 , Université Joseph Fourier.

27. Richard Lewontin, Biology as Ideology : The Doctrine of DNA, Harpercollins , 1993,
ou même "métaphysique", comme le soutiennent les deux biologistes J.J.Kupiec et P. Sonigo dans leur livre "Ni dieu ni gène, pour une autre théorie de l’hérédité", éd.points Seuil, 2003

28. Michel Morange, Histoire de la biologie moléculaire, Stock, 2003. Dans son livre : The Molecular Vision of life : Caltech, the Rockfeller Foundation, and the rise of the new biology , Oxford Univ. Press, 1993, Lily E. Kay a réalisé un excellent travail de sociologie des sciences en enquêtant sur la manière dont deux institutions, le CalTech et la fondation Rockfeller ont opéré une alliance entre politique et sciences biologiques pour promouvoir un paradigme réducteur qui domine jusqu’au Human Genome Project, à but plus lucratif que de contrôle social.

29. Biological Exuberance : Animal homosexuality and natural diversity, St Martin’s Press, 1999

30. Evolution’s Rainbow : Diversity, Gender and Sexuality in Nature and People, Berkeley University of California Press, 2004

31. "La science, le pouvoir et l’argent . Essai sur les sciences, l’économique et le politique aujourd’hui", INRA, 2003)

32. Écoféminisme, éd. l’Harmattan, 1998,p.41. Vandana Shiva, militante active dans la défense des droits des populations paysannes contre le terrorisme des multinationales de l’agroalimentaire (Monsanto, Dupont, Novartis, Syngenta, Cargill, etc.) échappe aux catégorisations convenues politiques, syndicales ou associatives. Son combat revendiquant un écoféminisme pensé à partir du rôle des femmes "gardiennes de la biodiversité" et des pratiques de partage, d’échange, de préservation, de coopération, autour des moyens de subsistance, est un parfait exemple de ce que signifie "un autre savoir pour un autre monde", construire d’autres savoirs, d’autres natures, d’autres modes de définition et de gestion du bien commun. Ce qui implique une critique du projet qui soutient les "sciences modernes ", non seulement pour leur rôle direct dans la fabrication des "nouvelles enclosures"sur la vie par les biotechnologies, mais pour les paradigmes réducteurs, incohérents et inconséquents qu’elles soutiennent.

Son histoire personnelle est même emblématique de ce que peut signifier le passage d’une certaine identité du savoir scientifique à un positionnement qui refuse de séparer savoir et conditions d’existence, connaissance et genre (dans tous les sens du terme) du sujet producteur de savoir, et de la volonté de rendre compte du caractère nécéssairement "situé" (Haraway) de tout savoir.

voir ses ouvrages : Ethique et agro-industrie. Main basse sur la vie, L’Harmattan, 1996 ; Le terrorisme alimentaire, Fayard, 2001 ; et le site du mouvement "Navdanya".L

33. Revue du MAUSS 2/2011, n° 38, p. 413-427

34. Maniglier Patrice, « Institution symbolique et vie sémiologique : la réalité sociale des signes chez Durkheim et Saussure », Revue de métaphysique et de morale, 2007/2 n° 54, p. 179-204

35. Glowczewski Barbara et Soucaille Alexandre, « Introduction », Multitudes, 2007/3 n° 30, p. 21-28.

36. "L’humanisme interminable de Claude Lévi-Strauss ", Les Temps Modernes, n°609, Juin-Août 2000, pp. 216-241

37. résumé du cours de l’année 2000-2001 :"Figures des relations entre humains et non-humains", cf. http://www.college-de-france.fr/site/philippe-descola/resumes.htm)

38. Sur le rôle de l’évaluation des compétences : http://www.millebabords.org/spip.php?article17566

39. revue Histoire de l’éducation, n°38, 1988, INRP.

40. André Giordan, L’envie d’apprendre (http://www.andregiordan.com/articles/apprendre/enviedapprendre.html)

41. Ivan Illich ,Une société sans école, éd. Seuil, 1971, p.11

dre le terme de Deleuze, et suivre le chemin déjà bien tracé par l’anthropologue Éduardo Viveiros de Castro. (cf. "Métaphysiques cannibales", PUF, 2009, qui explicite cette perspective)nouvelle raison du mongyuityughjde
notesEssai sur tyujyjkhjla société néolibérale