Archive pour la catégorie ‘Textes’

Mouton 2.0, histoire d’une résistance paysanne

dimanche 1 septembre 2013

Pour celles et ceux qui n’auraient pas encore pu voir le documentaire Mouton 2.0, la puce à l’oreille lors d’une projection publique, il est désormais téléchargeable en ligne (cf. lien ci-dessous).

mouton-elec

Une nouvelle menace d’obligation plane sur les éleveurs d’ovins de l’Hexagone : le puçage de l’ensemble de leurs troupeaux. Au nom de quoi ? De l’efficacité, de la « traçabilité », de la «sécurité alimentaire », et autres arguments massues de la sorte. Alors ça en fait rire (jaune) plus d’un. Parce que ces histoires de « sécurité » et de « traçabilité », après les épisodes de la vache folle et des steaks de bœuf au cheval, ça laisse quand même un peu songeur…

Deux visions du métier…

Les éleveurs traditionnels, c’est-à-dire ceux qui exercent « à l’ancienne », soit qui sont présents au milieu de leurs troupeaux, qui connaissent leurs bêtes individuellement, qui passent du temps avec elles, qui les emmènent paître dans les estives à la belle saison, quand l’herbe est bien grasse et abondante (entretenant par ailleurs ainsi la montagne qui n’aurait pas vraiment la même tête sans leur présence laborieuse), savent qu’ils élèvent correctement leurs animaux, ce qu’ils mangent, s’ils sont malades et comment ils sont soignés. En vendant directement la viande issue de leurs bercails à des consommateurs locaux, on ne voit pas bien l’intérêt de «tracer », qui plus est électroniquement, des moutons dont on connaît l’origine et dont la façon dont le berger ou la bergère (et non les « producteurs de viande ») est également connue (et plébiscitée). Mais cela est différent pour les éleveurs industriels, qui ont fait le choix de la production de masse et dont les animaux ne sont que des gigots sur pattes, nourris «scientifiquement » par des granulés pesés au gramme près et qui ne voient pas (ou si peu) la lumière du jour sans parler des verts pâturages dont se repaissaient leurs ancêtres….

pour deux visions du monde

Ce procédé, finalement fort récent dans l’histoire de l’humanité et de l’élevage, ne peut fonctionner qu’en faisant appel à des formules basées sur le recours à la technologie, aux sciences, à la rationalité, et faisant des animaux de simples machines à produire (du lait, de la viande, des œufs…). Et pour que ces élevages soient le plus rentables (financièrement) possible, il n’y a d’autres solutions que d’avoir des cheptels très nombreux et de les installer dans des bâtiments de type concentrationnaires qui les dénaturent et entraînent une multitude de problèmes sanitaires réglés à coups d’antibiotiques et autres hormones insoupçonnées, le tout mis au point dans des laboratoires dont le seul but est bien sûr le progrès et le bien-être de tous. Dans des images d’archives qui jalonnent le documentaire, on voit un journaliste s’inquiéter de cette nécessité totalitaire et pose la question à l’un de ses défenseurs de savoir si un tel processus ne pourrait pas à terme être aussi imposé aux sociétés humaines et non seulement animales. Il donne même un exemple au cas où son cheminement n’aurait pas été assez clair : si Hitler était resté plus longtemps au pouvoir, n’aurait-il pas réussi, grâce aux procédés pratiqués dans ce type d’élevage, à mener à bien sa sinistre entreprise ? Et le grand défenseur du progrès de l’admettre… tout en l’écartant sous de fallacieuses et fort peu convaincantes explications alambiquées. Mais la morale de l’histoire s’impose néanmoins : ce qui est imposé aux animaux sera finalement imposé aux humains, la domination restant le but ultime au service de l’industrie et du pouvoir.

Mari Otxandi, CNT Culture Aquitaine
( article paru dans Le Combat Syndicaliste de septembre 2013 – version pdf ici )

Mouton 2.0, la puce à l’oreille
Un film d’Antoine Costa et Florian Pourchi, 2012, 77 minutes
À commander (en soutien) ou à télécharger sur le site :
http://synaps-audiovisuel.fr/mouton/

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Daniel Mermet ou les délices de « l’autogestion joyeuse »

mercredi 26 juin 2013

Article d’Olivier Cyran publié le 26 juin 2013 sur le site « Article 11  » :

ReporterCe n’est jamais un plaisir de « tirer » sur son propre camp. Mais quand l’une des personnalités les plus influentes de l’audiovisuel « de gauche » adopte au quotidien des techniques de management dignes du patronat néolibéral le plus décomplexé, difficile de détourner les yeux. Enquête sur l’animateur un brin schizophrénique de « Là-bas si j’y suis », l’émission culte de France Inter. Lire la suite…

Pour en savoir plus :
lire l’analyse publiée le 7 août 2013 sur Rue 89

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Quand la philosophie fait son cinéma

mardi 9 avril 2013

Extrait du site « Le café pédagogique » :

cinema-et-philosophieSous l’initiative d’un professeur de philosophie de l’académie de Lille, le festival  international du court métrage philosophique scolaire est en train de naître. A Saint-Pol-sur-Ternoise (Pas-de-Calais), du 9 au 11 avril 2013, ce fut un moment riche philosophiquement, instructif pédagogiquement et surtout passionnant cinématographiquement. Une cinquantaine de films ont été présentés.

L’idée du festival est de faire mettre la main à la pâte aux lycéens français. Il y a d’abord un pari pédagogique : est-ce que le fait de devoir construire un objet cinématographique ne pourrait pas permettre aux élèves de s’approprier différemment (voire mieux) les concepts philosophiques ? On peut aussi y percevoir une hypothèse épistémologique : si apprendre, c’est construire un savoir, le fait d’être mis au travail dans le cadre d’un projet de création artistique serait plus fidèle à ce que signifie penser que d’écouter le cours magistral d’un enseignant. Enfin, c’est une expérience artistique pleine et entière : comment rendre sensible un problème philosophique ? C’est un défi  passionnant : par sa seule forme, il oblige et l’enseignant et les élèves à s’interroger sur cette transposition, ses conditions de possibilités, ses limites, etc. […]

> Lire la suite

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Ken Loach, solidaire avec des salariés du nettoyage de Turin

vendredi 1 février 2013

Article extrait du Combat Syndicaliste de janvier 2013 :

ken-loach-article-du-combat-syndicaliste-cntEn novembre 2012, le réalisateur britannique Ken Loach a refusé le prix que voulait lui octroyer le Torino Film Festival (festival organisé du au par le Musée national du cinéma de Turin). Il a agi par solidarité avec des employés de l’entreprise « Rear », société externalisée chargée du nettoyage du musée. « Les travailleurs du musée étaient les moins bien payés […]. lls ont perdu leur boulot parce qu’ils s’opposaient à des réductions de salaires […]. Il est injuste que les plus pauvres payent pour une crise économique dont ils ne sont pas responsables […]. Comment pouvais-je ne pas répondre à une demande de solidarité de la part de travailleurs qui ont été licenciés pour avoir défendu leurs droits ? Accepter le prix en faisant juste quelques commentaires critiques aurait été faible et hypocrite » a écrit Ken Loach dans une lettre envoyée à la direction du festival. Le cinéaste a également expliqué sa décision en faisant le parallèle avec Bread and Roses (du pain et des roses), film qu’il a réalisé il y a douze ans et qui relate la lutte de deux employées d’une société de nettoyage aux États-Unis.

Gianni Amelio (réalisateur et directeur artistique du festival) et Ettore Scola (réalisateur et scénariste italien venu au festival pour recevoir un prix couronnant l’ensemble de sa carrière) ont eu des mots très durs à l’encontre de Ken Loach, traitant celui-ci d’ « idéologue obtus et narcissique ». Quant à Paolo Sorrentino (réalisateur et scénariste qui présidait le jury), il a évoqué un « retour aux divisions des années 1970 ».

Le 23 novembre, des salariés de l’entreprise « Rear » ont organisé une conférence de presse pour remercier Ken Loach de son acte de solidarité (à visionner ici en italien).

Le 6 décembre, dans le cadre d’un meeting organisé à Turin par l’USB (unione sindicale di base), Ken Loach a rencontré plusieurs de ces salariés. Le meeting a été suivi de la projection gratuite du film Bread and Roses et un débat a eu lieu sur les conditions d’exploitation et la souffrance des travailleurs externalisés et des travailleurs précaires (intervention de Ken Loach à visionner ici en anglais et en italien).

Pour en savoir plus sur Ken Loach et ses films :

1) Article de Wikipédia

2) Site officiel (en anglais)

3) Ken Loach en accès libre sur YouTube (sauf en France) :

Ken Loach a décidé de mettre plusieurs des films qu’il a réalisés en accès libre sur YouTube. Malheureusement, suite à des plaintes relatives aux droits d’auteur et de distribution, la plateforme française de YouTube – contrairement à la volonté de Ken Loach – a été obligée de bloquer l’accès à ces vidéos. A voir ici…

Enfin, profitons de cet article pour rappeler l’excellent film que Ken Loach a consacré en 1994 à l’Espagne anti-franquiste :

Bien que centré sur le personnage d’un communiste anglais parti en 1936 combattre en Espagne contre le fascisme, le film « Land and Freedom » n’occulte pas la place très importante occupée par la CNT espagnole à cette époque. Scène centrale du film, la question de la collectivisation des terres est posée. Quant au rôle des staliniens dans la militarisation des milices et dans les événements de mai 37 (reprise de Barcelone par les républicains hostiles à la révolution sociale), il est clairement condamné. Pour visionner la bande-annonce du film et lire l’article que lui consacre Wikipédia,  cliquer ici.

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Au prix du gaz

jeudi 31 janvier 2013

Article extrait du Combat Syndicaliste de janvier 2012 :

affiche-du-film-au-prix-du-gazÉté 2009. Châtellerault. Les 366 ouvriers de l’usine de sous-traitance automobile New Fabris occupent leur usine depuis le 16 juin, date de la mise en liquidation judiciaire de l’entreprise. Leur revendication : l’obtention d’une indemnité de licenciement de 30 000 euros par ouvrier de la part de leurs principaux clients, PSA et Renault. Le 12 juillet, Guy Eyermann, délégué CGT et secrétaire du CE, prévient : « Les bouteilles de gaz sont dans l’usine. Tout est prévu pour que ça saute ». À ce message s’ajoute un ultimatum : en l’absence d’accord le 31 juillet, l’usine sautera. Karel Pairemaure, qui vit non loin de là, prend sa caméra et part à la rencontre des ouvriers en lutte. Il vient de restituer cette « plongée au cœur de la lutte ouvrière » sous la forme d’un documentaire intitulé « Au prix du gaz » (85 minutes).

Les frères Eugène et Quentin Fabris arrivent un jour d’Italie et sont embauchés à la manufacture d’armes de Châtellerault, la « Manu ». C’est cette usine qui construisit le célèbre fusil Lebel, « capable à 100 mètres de traverser trois corps humains sans perdre d’efficacité ». S’il devint célèbre dans les tranchées pendant la Première Guerre mondiale, il fut avant tout utilisé contre les ouvriers de Fourmies, dans le Nord, le 1er mai 1891, quand 300 soldats tirèrent sur la foule qui revendiquait la journée de huit heures et la hausse des salaires. Les frères Fabris réussissent et fondent leur atelier en 1947. Fabriquant tout d’abord des pièces de machines à coudre, les commanditaires et la production se diversifient avec le temps. Au début des années 1990, l’entreprise emploie autour de 800 ouvriers. C’est alors que l’usine est léguée aux fils respectifs des fondateurs, ce qui marquera le début de la fin : le choix est fait de privilégier les seuls gros commanditaires et de spécialiser la production. Fabris devient New Fabris et se convertit en sous-traitant de Renault et Peugeot-Citroën. La structure familiale devient parallèlement internationale et dès lors, la finance prédomine. Dès 2007, des difficultés apparaissent. En 2008, l’entreprise est rachetée pour un euro symbolique par un groupe italien, Zen. Après plusieurs plans de licenciement, il ne reste déjà plus que 380 salariés. Le 16 juin 2009, l’entreprise est mise en liquidation judiciaire. Les ouvriers occupent leur usine. Comme le fait remarquer Jean-Pierre Levaray, longuement interviewé dans le documentaire, ils ne se battent pas pour le maintien de leur emploi mais pour obtenir une indemnité de licenciement digne de ce nom. Une évolution qui en dit long sur la perception et le ressenti du travail… La société étant liquidée, il n’y a
plus de patron. Donc pas d’interlocuteur. C’est finalement le ministre de l’Industrie qui négociera.

Le documentaire donne la parole aux ouvriers en lutte mais épingle aussi l’attitude des médias, arrivés en masse à l’annonce du 12 juillet, pas avant. Les journalistes s’installent à proximité immédiate de l’usine, interrogent, filment, restituent leurs papiers à leurs rédactions, parfois sous l’œil des ouvriers qui font leur font part de leurs commentaires… Il est alors reproché aux ouvriers leur radicalité, leur violence, on les traite de fous et de terroristes… Rien, bien sûr, sur la violence systémique, sur celle du monde du travail, encore moins de réflexion sur l’évolution globale du secteur de l’industrie ou du monde ouvrier.

Le travail de Karel Pairemaure a le mérite de poser tout cela et de suivre les New Fabris sur deux ans, donc bien après la fin de leur lutte. On voit ainsi ce qu’ils deviennent, différents parcours de « reconversion », avec toutes les embûches qui surviennent, la découverte parfois d’autres univers, l’enthousiasme soudain de découvrir une convivialité dans l’entreprise, puis le désenchantement quelques mois plus tard une fois digéré que celle-ci n’est que de façade.

Certaines scènes sont assez saisissantes, comme celle montrant d’anciens ouvriers de New Fabris marchant dans l’usine après la mise aux enchères du matériel : malgré le vide, ils persistent à emprunter le chemin dessiné au sol, comme si les machines étaient encore présentes. Comme des fantômes qui les hantent…

Au-delà de ce que dit ce documentaire, c’est une solidarité et une dignité sans faille qui sont dépeintes, et ces deux manifestations, à la fois concrètes et chargées d’émotions et de vécus, ne sont décidément pas vaines : comme le rappelle un New Fabris dans l’usine vide, bien après la lutte, aucun des salariés ne s’est suicidé.

Mari Otxandi, CNT Culture Aquitaine

> Site officiel du film
> Bande-annonce

Pour aller plus loin :
– Pierre Levaray, Putain d’usine, L’Insomniaque, 2002
– Pierre Levaray, Tue ton patron, Libertalia, 2010
– Jann-Marc Rouillan, Le Capital humain, L’Arganier, 2007

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