Archive pour la catégorie ‘Textes’

Multiplexes : bonbons, caramels, esquimaux, chocolats !

dimanche 27 janvier 2013

couverture-combat-syndicaliste-janvier-2013-cinema

Extrait du Combat Syndicaliste
de janvier 2013 :

Ayant environ un demi-siècle d’existence, les multiplexes recouvrent petit à petit des portions toujours plus grandes des territoires de nos pays industrialisés et convertis au culte de la consommation. Pourtant, ce qu’ils ont à vendre n’est pas un produit comme les autres puisqu’il s’agit d’œuvres cinématographiques, donc d’art et par conséquent de culture. Même si de plus en plus de films prétendent s’inscrire non plus dans une démarche artistique mais dans le conglomérat de « l’industrie du cinéma », il est nécessaire de procéder à certains rappels et mises au point…

Multiplexe : kezako ?

En l’an 2000, le rapport Delon estimait qu’un multiplexe consistait en un « complexe cinématographique d’au moins dix salles ». Et de préciser que depuis 1998, les « complexes d’au moins huit salles […] sont […] également classés dans la catégorie des multiplexes » selon les critères retenus par le Centre national du cinéma (CNC).

Le rapport précisait aussi que « le multiplexe se caractérise en France par de vastes espaces d’accueil et par des salles gradinées [sic], climatisées, confortables et de dimension importante, dotées d’écrans de grande taille (plus de dix mètres de base en général) et offrant au spectateur une très grande qualité de projection. Il est doté, en outre, de facilités d’accès et de stationnement – tout au moins lorsqu’il est implanté en périphérie –, de services complémentaires de confiserie, voire de restauration et d’espaces de jeux vidéo dans son enceinte ou à proximité immédiate. Certains équipements proposent même des services de garde d’enfants ». Les choses deviennent plus claires…

Et si certain.es n’avaient pas encore bien tout compris, le rapport revient sur les origines de ce genre d’installations : « Il est généralement admis que le concept de multiplexe a été inventé par la société AMC aux Etats-Unis. Le mouvement de restructuration du secteur de l’exploitation cinématographique a été engagé dans ce pays dès la fin des années 1960. De grands complexes – en fait les premiers multiplexes – ont alors été créés dans les banlieues, à l’intérieur ou à proximité de centres commerciaux. » Nous y voilà ! Le multiplexe n’est donc autre que le pendant cinématographique de la grande consommation, généralement implanté au sein même des temples qui lui sont dédiés : les galeries marchandes.

Une prolifération en roue libre

Au niveau européen, c’est le Royaume-Uni qui a d’abord été touché par l’implantation de telles structures (sous l’impulsion de groupes états-uniens), soi-disant pour répondre à la pénurie de salles. Les premiers multiplexes y ont été ouverts dès 1985. Au niveau de l’Union européenne, ils représentaient déjà 15 % du total des salles en 1998 (avec des variations énormes d’un État à un autre : 50 % au Royaume-Uni, mais à peine plus de 3 % en Italie, par exemple).

L’Hexagone a été l’un des pays les plus sceptiques, notamment du fait que le territoire était assez bien pourvu et que certaines politiques de soutien au cinéma et à sa diffusion ont permis à nombre de salles de pratiquer des prix abordables tout en proposant des programmes de qualité. Après un temps d’observation du panorama offert dans les pays voisins, c’est le groupe Pathé qui lance finalement le mouvement, en 1993.

Culture vs commerce

À partir de là, les multiplexes n’ont cessé de se développer… et les petites salles de quartier ou de bourg de fermer. Si le processus avait effectivement commencé avant l’arrivée des multiplexes, il semble évident que ces derniers ont pris la forme d’un rouleau compresseur uniformisateur et briseur de vie sociale.

L’unique but des multiplexes étant de générer des bénéfices, la programmation se concentre sur les grosses productions commerciales au détriment des films indépendants, d’auteurs, voire plus engagés. Et si certains mettent en avant des projections régulières de films classés « art et essai », ils oublient de dire que celles-ci ont bien souvent lieu à des horaires peu accessibles et qu’elles ne sont en rien mises en avant sinon pour faire remarquer leur présence dans les grilles annuelles de programmation (plus visibles à l’aide d’une loupe). Dans l’excellent documentaire de Francis Fourcou J’aime la vie, je fais du vélo, je vais au cinéma (2004), on apprend que les multiplexes ne font pas l’essentiel de leurs bénéfices sur les tickets d’entrée – car le film est principalement un produit d’appel –, mais le profit est surtout réalisé sur les produits, sucrés ou salés mais tous favorisant l’obésité, vendus aux consommateurs, sans omettre tout le merchandising annexe et les interminables annonces publicitaires…

Le but des petites salles, très souvent titulaires du label « art et essai », est tout autre : offrir à leur public (et non à leurs clients) des programmes de qualité et mettre en valeur les œuvres projetées. Ainsi, il n’est pas rare que les projections soient accompagnées de débats, expositions et autres activités – qui par ailleurs permettent de passer des moments conviviaux et constructifs dans des zones rurales parfois reculées. Leur existence s’inscrit donc dans une tout autre vision de la culture et de la société.

Dans le Sud-Gironde aussi

Dans le département de la Gironde, un multiplexe de huit salles de cinéma est actuellement en projet dans une zone commerciale de Langon proche de l’autoroute A62. Il est porté par le groupe Grand Écran, qui possède déjà sept établissements (soit cinquante-trois écrans) dans cinq villes d’Aquitaine et du Limousin, quatre étant des multiplexes. Le groupe tente de se faire passer pour une « société d’origine familiale » et « indépendante », mais cela cache mal sa véritable ambition : rafler ce qu’il considère comme un marché. Car si tel n’est pas le cas, comment justifier de la nécessité d’ouvrir cette nouvelle structure alors que plusieurs cinémas sont déjà implantés ?

Actuellement, dans cette zone rurale du Sud-Gironde, plusieurs cinémas de proximité parviennent encore à survivre grâce à des investissements dans le numérique (subventionnés en partie par des aides publiques) et, surtout, à des initiatives événementielles pertinentes (soirées-débats, festival de la ruralité, séances Clin d’œil, projections scolaires et jeune public, Nuits du doc, Ciné mémoire, club de spectateurs…). Celles-ci ont même permis à leur nombre de spectateurs d’augmenter au cours de ces dernières années. Les bas tarifs appliqués par ces petites salles y sont aussi pour quelque chose.

Si ce multiplexe voyait le jour, ce sont pas moins de six salles qui seraient menacées (pour ne pas dire condamnées) : le Rio de Langon, le Vog de Bazas, le Rex de La Réole, le Lux de Cadillac, le centre audiovisuel de Captieux et l’Éden de Monségur. Et toute la vie culturelle locale en serait fortement bouleversée, sans parler de l’accélération de la désertification des centres-villes qui va de pair.

Pop-corn et Coca-Cola

Le dossier devra passer par la Commission départementale d’aménagement commercial (CDAC), organisme chargé de délivrer les autorisations d’ouverture des surfaces commerciales. Car il s’agit bien de commerce et non de culture ou de septième art ! La seule logique de ce genre d’infrastructures est celle du profit marchand, leur culture se résumant à celle du pop-corn et du Coca-Cola qu’ils nous enjoignent d’ailleurs à consommer dans leurs spacieux et lumineux halls d’accueil.

Face à cette opération de business, une pétition lancée par l’Association des cinémas de proximité a déjà recueilli plus de 2 100 signatures en huit jours 2. Mais cela suffira-t-il ? Dans les commentaires qui accompagnent les signatures, un anonyme a écrit : « Si un comité de défense des cinémas de proximité voit le jour en Sud Gironde, nous serons nombreux à en faire partie. Si un multiplexe pourri se monte dans le Langonnais, menaçant l’existence des cinémas cités plus haut, je n’aurais pas d’état d’âme à participer à un “démontage” de multiplex. ». Chiche !

Christian et Mari, CNT Culture Aquitaine

> Télécharger cet article au format PDF

Share

Cinéma numérique, casse du métier de projectionniste, lutte chez Gaumont Pathé…

dimanche 27 janvier 2013

Trois articles extraits du Combat Syndicaliste de janvier 2013
à télécharger au format pdf en cliquant sur ce lien ou à lire en ligne ci-dessous :

1) Vous speakez la novlangue ?

« Ingester » : le verbe est incontournable dans les cabines de projection de Gaumont Pathé. Malheur à qui parle de « charger » un contenu, il sera mis au ban de la « communauté », réprouvé. J’ai failli connaître cette honte, le jour où j’ai eu l’outrecuidance de signaler à la société prestataire qui installe le numérique dans nos cabines l’une des nombreuses pannes que nous avons eu à subir. J’ai écrit, oups, que je n’avais pu « ingérer » un contenu dans un serveur. Mon responsable technique, par qui tous les messages transitent, m’a sauvé la mise (afin d’éviter probablement une trop abondante correspondance). Il a rectifié mon « ingérer » en « ingester ». Je lui en suis infiniment reconnaissant, puisque je peux ainsi continuer à montrer que « j’assure en numérique ».

Autre jargon, il faut parler de « DCP » et non plus de copie, de « KDM » en non plus de clef d’encodage. La perle de cette nouvelle langue c’est « la supervision », qui remplace désormais la projection, dixit le DRH lors d’un comité d’entreprise. Plus de projection, plus de projectionnistes, c’est pas plus compliqué que ça. C’est même très couillon.

Quand des responsables se réunissent et qu’ils réfléchissent beaucoup pour savoir comment faire croire à des salariés qui travaillent tous les jours que leur métier n’existe plus, ils ont fini par trouver : « Ben y a qu’à changer les mots ! ». Petit exercice pratique… Sachant qu’un GDC est un serveur chinois, pas cher mais de mauvaise qualité (« de la merde » selon un installateur), très répandu chez Gaumont Pathé, et qu’un REC est un des nombreux sous-chefs de la hiérarchie gaumonique, traduisez : « Le REC demande si tu as ingesté le DCP et sa KDM dans le GDC de la 3 pour la supervision de 14 h 30 ». La réponse : je connais mon métier et c’est pas tes mots à la con qui le feront disparaître !

Christophe, CNT Culture Spectacle RP

projectionniste-format-reduit

2) Le Gaumont en lutte

Après une année 2010 marquée par « Intouchables », distribué par Gaumont,
nouvelle année record en 2011 pour les bénéfices, puisque les deux actionnaires Gaumont et Pathé (les deux frères Seydoux) se sont partagé 26,6 millions d’euros.

Mais cela ne semble pas leur suffire : ils décident maintenant de casser le métier de projectionniste, prenant comme prétexte l’équipement en matériel numérique des cabines de projection.

Pendant des décennies, les tâches du projectionniste étaient ainsi réparties :
– chargement de la pellicule dans les appareils de projection ; ce qui prenait deux minutes avant chaque séance ;
– montage et démontage des programmes ; c’est-à-dire mise bout à bout, à l’aide de ruban adhésif, des différentes portions de pellicule (publicités, bandes-annonces des films et bobines du long-métrage). Cela occupait une bonne partie du mardi soir et du mercredi matin, et se faisait en même temps que la tâche suivante ;
– surveillance de la bonne qualité de la projection : vérification du chargement, mise au point, contrôle du volume sonore, surveillance du bon fonctionnement de tous les appareils et contrôle de la qualité des images projetées à l’écran. Cette tâche essentielle occupait la majeure partie de notre temps de travail.

on-off-format-reduitEn récompense de leur dévouement pendant toutes ces années, les projectionnistes sont aujourd’hui invités à quitter l’entreprise ou à devenir vendeurs de pop-corn. La raison invoquée par la direction des cinémas Gaumont Pathé : le numérique ! Celui-ci rendrait inutile notre présence en cabine…

Des innovations technologiques ont émaillé l’histoire du cinéma. Avec le numérique, les contenus sont chargés dans des serveurs. Les séances sont programmées sur un logiciel. La préparation des programmes et la gestion des serveurs nécessitent donc encore du temps de travail, même s’il est moindre qu’auparavant. En revanche, la maintenance des appareils gagne en importance puisque les projecteurs numériques sont plus fragiles. La véritable différence consiste en la suppression des deux minutes nécessaires avant chaque séance pour le chargement, qui requiert obligatoirement une présence humaine. C’est sur cette base que la direction estime que « le métier disparaît ».

Qu’advient-il de la surveillance de la projection ? Elle ne sera plus assurée. Ou plus exactement, c’est le spectateur lui-même qui devra sortir de la salle, trouver un salarié – mission peu aisée dans certains complexes – et signaler les problèmes techniques. Ensuite, si quelqu’un est là pour remédier au problème, tant mieux ; sinon, on distribue des invitations à revenir tenter sa chance…

S’il est toujours nécessaire de posséder le CAP d’opérateur projectionniste pour exercer le métier en cabine, le législateur a omis de préciser – tant cela semblait évident – que la présence d’un projectionniste est indispensable pour assurer… la projection. La direction de Gaumont Pathé s’appuie ouvertement sur cette lacune.

Dans les nouveaux statuts du personnel de l’entreprise, la mention « La projection est la raison essentielle de la venue des clients dans l’établissement de leur choix » a tout bonnement été supprimée !

Tout un vocabulaire hideux est apparu en cabine, afin de nous mettre dans la tête que le métier n’a plus rien à voir avec ce que nous connaissions et d’ailleurs, qu’il n’existe plus. Ainsi, c’est en « ingestant » (chargeant) un « DCP » (un contenu, un film) et sa « KDM » (sa clé de codage) dans un « GDC » (marque du serveur) que vous obtenez une « supervision » (une projection). Ce dernier terme surpassant tous les autres dans le ridicule…

Or, n’en déplaise à ces messieurs, le « client », que nous persistons à appeler spectateur, se déplace et paie son entrée pour voir une image projetée sur un écran. Et il aspire à ce que cela se passe bien et en toute sécurité. Rien n’a changé. Les « experts » techniciens de Gaumont
Pathé, dont on ne sait pas qui ils sont ni sur quoi ils se fondent (probablement ont-ils une ascendance maya), prédisent la disparition des incidents de projection pour… fin 2013 ! En réalité, ces incidents sont fréquents en numérique : interruptions inopinées de séances, images figées, perte des sous-titres, colorimétrie défaillante, bogues informatiques, etc. La technologie est encore loin d’être fiable. Avec l’obsolescence programmée des appareils (les installateurs les plus sincères parlent de cinq ans de durée de vie), il y a fort à parier que, d’ici deux à trois ans, de sérieux problèmes vont commencer à se produire en série dans les cabines.

cinema-numerique-format-reduit

En 2009, un accord de GPEC (gestion prévisionnelle des emplois et des compétences) était signé entre la direction et certains syndicats : il incitait les projectionnistes à quitter l’entreprise ou à se reconvertir en interne. À l’approche de l’issue de cette GPEC, dès 2011, le concept d’« effectifs cibles » était inventé par la direction. Selon les cinémas, un certain nombre de postes allait être supprimé en cabine de projection : à peu près la moitié des projectionnistes partirait, les autres garderaient leur emploi. Sur quels critères le choix des rescapés se ferait-il ? Aucune réponse.

Quelques salariés terrorisés bouleversent leur vie, déménagent, changent de profession. Dans les cabines de projection, l’ambiance est délétère entre collègues. De plus, on va minimiser les problèmes techniques car il n’est pas bien vu de montrer ses difficultés avec le numérique, sachant que les places sont comptées. Conséquence perverse : le nombre d’incidents remontés à la direction représentait à l’époque environ le quart des incidents réels. Voilà sur quelle base
on ose nous affirmer que « tout fonctionne bien en numérique ».

En septembre 2012, nouvelle GPEC. Plus question d’« effectifs cibles » : les projectionnistes comptant garder leur emploi tel quel en sont pour leurs frais. Surprenant revirement de la direction : « le métier disparaît, plus personne en cabine ». Deux options sont proposées : partir ou accepter un nouveau poste de « technicien polyvalent ». Les projectionnistes ont jusqu’au 30 avril 2013 pour se déterminer. Partir ou devenir caissier, agent d’accueil, vendeur de confiserie, avec toutes les tâches inhérentes aux métiers du hall. Mais en plus, assurer les tâches techniques, l’entretien du bâtiment (électricité, plomberie, chauffage), ainsi que la cabine de projection au besoin. Pour ce nouveau poste requérant de si multiples compétences, une baisse de salaire de 500 € par rapport à celui de l’opérateur projectionniste. La direction assure le maintien de la rémunération des salariés en poste.

La conséquence immédiate
est que les remplaçants, lors de congés payés, ont été payés à ce nouveau tarif dès octobre 2012. Résultat prévisible : plus personne ne veut assurer ces remplacements et la direction utilise cet argument pour expliquer qu’à l’heure actuelle, les cabines sont laissées sans surveillance. Dans toute la France, au mois de novembre 2012, les projectionnistes ont été invités à des réunions avec leurs directions locales et la DRH du siège parisien. Durant l’une de ces réunions à Paris, le 15 novembre 2012, alors que la direction explique aux salariés effarés que leur présence n’est plus nécessaire en cabine et que le métier disparaît, les projectionnistes du site de Montparnasse reçoivent des SMS : six des quinze salles ont « planté » et les séances n’ont pas démarré ! La direction locale n’avait pas pris le soin de remplacer les salariés durant la réunion… Résultat : on distribue des invitations. Charge supplémentaire pour les salariés du hall, qui doivent en plus gérer la colère légitime des spectateurs ; griefs venant s’ajouter à ceux provoqués par les fréquents reports à des « jours meilleurs » des réparations de matériels défectueux et pourtant indispensables. Par exemple, le chauffage en hiver – ce luxe apprécié des spectateurs et des salariés – brille souvent par son absence sur certains sites.

Par souci d’économie, les directions locales – sans doute parce qu’elles doivent produire des résultats comptables qui conditionnent leur propre notation – rognent au maximum sur les dépenses. Les halls des cinémas sont en sous-effectif chronique. Pourtant, de nombreuses tâches ne cessent de s’ajouter pour les salariés du hall, du fait des innovations technologiques et des dérives procédurières de plus en plus contraignantes et infantilisantes (le fameux « client mystère »).

L’arrivée programmée de nombreux projectionnistes dans les halls des cinémas condamne l’emploi de la plupart des jeunes, étudiants en majorité, déjà précarisés par des CDD. Pour les autres collègues en CDI, les évolutions à venir, déjà expérimentées, ne laissent rien présager de bon : bornes automatiques, e-billets, caisse unique (billetterie et confiserie), réduction de la capacité des salles ; mais aussi places numérotées et, tout récemment, portiques à l’entrée des salles.

Le risque à terme : les spectateurs achèteront des places numérotées sur Internet, passeront un portique à l’entrée (comme dans le métro) et déverrouilleront leur siège à la place numérotée qui leur sera attribuée grâce à ce même billet. Mauvaise science-fiction ? Peut-être pas.

La direction des cinémas Gaumont Pathé se flatte de la comparaison avec ses concurrents, sur le thème « Chez nous, on ne licencie pas ». Qu’en est-il ? Chez UGC, beaucoup de projectionnistes sont partis, mais il en subsiste en cabine. Disons qu’ils en sont restés à un stade comparable à la GPEC 1 chez Gaumont (les fameux « effectifs cibles »). En revanche, CGR s’est effectivement séparé de ses professionnels en cabine. Résultat : sur certains sites, l’entreprise est obligée de baisser ses prix et de brader les entrées pour compenser la médiocrité des séances, à la suite de multiples problèmes techniques.

Au-delà de la disparition du métier de projectionniste dans l’unique but d’accroître des profits déjà très confortables, nous nous inquiétons de la dégradation de la qualité du service proposé aux spectateurs. L’entreprise, grâce à ses bénéfices, était en mesure de se démarquer de sa concurrence. Ils font le choix du nivellement par le bas. Pour nous, c’est incompréhensible !

Voilà pour quelles raisons les salariés des cinémas Gaumont Pathé étaient en grève le samedi 1er décembre, ont manifesté entre place Clichy (Pathé Wepler) et Gaumont Opéra à Paris. Voilà pourquoi leur lutte continuera !

CNT Culture Spectacle RP 

3) Le coup du parapluie et autres mauvais films de la répression anti-syndicale chez Gaumont Pathé

Le 1er décembre 2012, le syndicat CNT Culture Spectacle RP a appelé à la grève et à la prolongation de la manif contre la précarité entre les cinémas Pathé Wepler et Gaumont Opéra. Forte mobilisation dans la rue. Délégué du personnel au Gaumont Montparnasse, Frédéric a pris la parole et répondu aux sollicitations de la presse.

Le 7 décembre, il a reçu à son domicile une convocation à un entretien « en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement ». Les motifs de cette convocation lui seront explicités lors de l’entretien. Bien évidemment, il s’agit à nouveau d’un prétexte pour intimider notre camarade. Moins de trois semaines auparavant, Frédéric a déjà été convoqué dans le bureau de Mme Erenfrid, la directrice du Gaumont Montparnasse. Motif : une rocambolesque histoire de parapluie volé, que Frédéric aurait cherché à récupérer d’une façon jugée « agressive » par la direction. La pugnacité et la défense des intérêts des salariés dans l’entreprise ne laissent pas indifférente la direction du Gaumont Montparnasse. Pour grotesque qu’elle soit, cette affaire a tout de même valu une mise à pied d’un jour à Frédéric. Sanction qu’il a immédiatement contestée, bien entendu.

Faut dire que la semaine précédant la sanction a été mouvementée. Le 7 novembre, Frédéric diffe notre tract « Techniciens polyvalents chez Gaumont Pathé : notre colère n’est pas du cinéma » à l’entrée d’une réunion entre DRH et projectionnistes. Le 9, il adresse une lettre à Mme Erenfrid, à la demande des salariés du Gaumont Parnasse (l’entreprise est composée de deux établissements, Frédéric est DP de l’autre établissement). Ces salariés demandent à ce que soient organisées des élections des délégués du personnel, collège salariés, à la suite de la démission des titulaires et suppléants. La direction se contente de la représentation dans le collège cadres, où les salariés sont représentés par… le directeur de l’établissement Gaumont Parnasse !

Le 14 novembre, nouvelle distribution de tracts aux spectateurs, à l’occasion de la manifestation contre l’austérité. Le lendemain, après une nouvelle diffe, Frédéric interpelle directement les « gros bonnets » de Gaumont Pathé, lors d’une nouvelle réunion, en présence de nombreux projectionnistes.

La convocation à l’entretien « en vue d’une sanction pouvant aller jusqu’au licenciement » vient ainsi dans la continuité du « coup du parapluie » !

La CNT a adressé un courrier à Mme Erenfrid, la mettant en garde : nous ne tolérerons d’aucune manière que nos adhérents, a fortiori mandatés par les salariés, soient victimes de pressions, d’intimidations, voire de harcèlement dans l’entreprise. Nous lui demandons instamment que ces pratiques cessent dans les cinémas Gaumont Montparnasse. L’agressivité, l’agression, c’est bien celle pratiquée par la direction sur les salariés. Gaumont Pathé, la casse de nos métiers ne passera pas !

Christophe, CNT Culture Spectacle RP

Pour tout contact avec les camarades en lutte, écrire à exploitationcinema@laposte.net

Share

Appel à contribution du secteur vidéo CNT

lundi 24 décembre 2012

cnt-cinemaN’hésitez pas à nous envoyer des articles, même très courts, pouvant alimenter la catégorie « Textes » du site (présentations ou critiques de films par exemple).

D’autre part, « Caméra au poing » manque de ressources audio-visuelles :

– vidéos (déjà montées ou sous forme de rushes),
– chansons,
– musiques,
– interviews,
– émissions de radio,
– sons de manif,
– dessins,
– photos,
– animations flash,
– etc…

Si vous souhaitez les partager avec nous, contactez-nous en précisant vos conditions d’utilisation.

Pour tout contact : http://www.cnt-f.org/video2/contact

Share

Comment filmer le travail ?

mercredi 12 décembre 2012

 travail-penibleCinéma et travail : une filmographie

Comment filmer le travail ?
Certes, on peut filmer les machines et les gestes des ouvriers.
Cela donne lieu à de belles images, mais est-ce que cela rend compte de la réalité du travail ?
Comment évoquer les poussières, les odeurs, les cadences infernales huit heures d’affilée, la souffrance ?
Comment mettre en images des relations sociales et mentales tissées d’invisible ?

Lire la suite de cet article de l’universitaire Catherine Pozzo di Borgo sur le site de la revue Les Mondes du Travail (lien « Documents disponibles ») ou en le téléchargeant ici.

Share

Critique du film « Avoir 20 ans dans les Aurès »

lundi 8 octobre 2012

Rene-Vautier-Avoir-20-ans-dans-les-AuresAvoir 20 ans dans les Aurès, film de René Vautier, reconnu aujourd’hui comme un témoignage historique d’importance sur la Guerre d’Algérie, ressort en salle, 40 ans après son tournage et sa diffusion, en 1972. C’est l’occasion pour Le Combat syndicaliste de diriger son projecteur sur ce film majeur de l’antimilitarisme.

De quoi s’agit-il ? En 1961, un groupe de copains, 20 ans, que l’on imagine aisément pré beatniks, surnommé « le commando des cheveux longs », bretons de surcroît (!), est appelé sous les drapeaux et envoyé en Algérie. Refusant l’imbécillité de l’armée, des ordres et de la guerre, ils sont isolés dans un camp, au milieu du désert, pour éviter que leurs attitudes ne contaminent le reste des troupes. Seulement, en temps de guerre, pas question de laisser de la chair à canon se la couler douce. L’armée envoie donc un lieutenant, vétéran de l’Indochine, prendre en main le groupe.

Emmené sur une zone de conflits, c’est la découverte du « feu », l’emballement. Puis vient l’attente d’une évacuation par hélicoptère, doublée du flottement suscité par l’épisode du Putsch des Généraux, occasion d’un huis clos, de discussions de groupe comme de retours sur soi-même. Puis c’est le rapatriement au camp, le retour à une « certaine civilisation », celle de l’armée, de la hiérarchie, des ordres et de la boucherie.

Il s’agit d’un film psychologique, il s’agit d’un film sur les appelés, il s’agit d’un film sur la dynamique de groupe, au cœur d’un de ses plus puissants révélateurs : la barbarie de la violence.

René Vautier, militant communiste, particulièrement engagé dans les luttes pour la décolonisation (comme bon nombre de militants communistes alors que le parti, lui, après avoir longuement soutenu la colonisation, ne se rangera à cet avis que très tardivement), avait, déjà dans les années 50 et 60, gagné une solide réputation de documentariste de talent et de combat. Films interdits par la censure et condamnation à la prison jalonnent son parcours de cinéaste. Avoir 20 ans dans les Aurès, qui est une fiction, lui vaudra, notamment, d’être reconnu, aujourd’hui, comme l’un des grands réalisateurs français. Ce film a été tourné à la suite d’un impressionnant travail d’enquête comptabilisant pas moins de 800 heures de témoignages de 600 appelés ou rappelés dans l’armée française en Algérie. Ce travail lui permet d’affirmer que « la véracité de chaque scène de ce film peut être certifiée par un minimum de 5 témoins » ou quand la fiction dit et montre avec plus de force la réalité.

Ressortir ce film 40 ans après sa première diffusion et 50 ans après l’indépendance de l’Algérie a un intérêt historique certain, notamment après la fin du service militaire en France en 2001 (bien que l’obligatoire JAPD soit par bien des aspects toujours un endoctrinement militaire, mais c’est une autre histoire). Ce film a également un autre double intérêt : la dynamique de groupe et l’antimilitarisme.

Est-il besoin de s’étendre sur le premier aspect ? Un groupe de militants, un service d’ordre, un syndicat, une section syndicale, tout cela entraîne une dynamique. Ce film nous rappelle à quel point les événements peuvent modifier la vision que nous avons individuellement et en tant que groupe de ce qui nous entoure et des réponses à y apporter. Avoir 20 ans dans les Aurès est donc la narration d’une expérience qui devrait enrichir la réflexion de chacun quant a son propre comportement et au comportement du groupe auquel il adhère. Ce retour sur soi, sur nous, est toujours utile lorsque l’on prétend, notamment au sein de la CNT, construire dès à présent une nouvelle manière de vivre.

Le second aspect est l’antimilitarisme. L’intérêt des personnages de René Vautier est qu’ils ne se revendiquent pas d’une idéologie définie. Ils sont jeunes, ils ne veulent de mal à personne a priori, s’intéressent à la Bretagne et n’ont rien à voir avec l’Algérie. Ils agissent par bon sens et refus de la barbarie et non sous l’égide d’une doctrine. Le personnage Nono est celui qui va résister jusqu’au bout à l’embrigadement et à l’appel de la violence, mais de quoi est faite sa résistance ? Antimilitarisme, pacifisme, désobéissance ? Peut-être d’un peu tout cela. Il y a 17 ans, un des « papis espagnols de la rue des Vignoles », dont je ne citerais pas le nom puisqu’il n’est plus là pour me contredire, m’a livré cette phrase : « Le pacifisme n’a de sens que sous les balles ». Avoir 20 ans dans les Aurès pose la question, appelle à réflexion.

Si ce film est militant, si ce film doit être pour les militants, appelant à nous interroger sur nos pratiques et enrichissant nos réflexions, il est aussi un film tout public. Le ressortir en salles a donc son sens aujourd’hui et s’inscrit dans l’actualité, même si la numérisation et la restauration n’apportent, à mon sens, strictement rien, peut-être même abîmant un peu plus la bande son, les dialogues étant parfois, et malheureusement, peu audibles. À l’heure où un film comme Les Enfants de Belle Ville, d’Asghar Farhadi, réalisé en 2004 et diffusé en 2012, présente l’aberration de la loi du Talion (Iran), il est bon de l’enrichir par le film de Vautier qui met en exergue l’identique doctrine « œil pour œil, dent pour dent ». Comme quoi la barbarie n’est pas que là-bas, elle est aussi ici, en nous. Avoir 20 ans dans les Aurès est également intéressant à rapprocher de Punishment Park (1970, États-Unis) de Peter Watkins, et de la psychologie de groupe qu’il interroge. Le traitement de pellicule et les mêmes dominances de couleur se retrouvent d’ailleurs dans les deux films. Enfin, pour la manière de filmer, la position du réalisateur et les mouvements de caméra, à mi-chemin entre documentaire de terrain et fiction, on se rappellera les films de Raymond Depardon tournés au Tchad dans cette même période et à l’esthétique incroyablement proche.

Saluons le travail de la coopérative DHR pour cette excellente sortie en salle, guettez sur leur site les séances, programmez-le dans vos locaux et espérons une prochaine diffusion DVD.

Texte d’Alexandre Chenet (SIPM-RP)
publié dans Le Combat Syndicaliste d’octobre 2012

Avoir 20 ans dans les Aurès, scénario et réalisation de René Vautier avec, notamment, Alexandre Arcady, Hamid Djellouli, Philippe Léotard, Jacques Cancelier
et Jean-Michel Ribes, 96 min, distribution : DHR.

Et pour rappel, la bande dessinée chroniquée dans Le Combat Syndicaliste fin 2006, autour d’un film disparu de René Vautier, Un homme est mort de Kris et Étienne Davodeau.

Citations :

Général Jacques Pâris de la Bollardière : « Quant aux jeunes du contingent, dont on parle très peu, ils mettront longtemps à se remettre de cette guerre. Il m’arrive tous les jours d’en rencontrer, qui m’avouent avoir gardé un tenace et horrible souvenir de ce qu’on les a contraint de faire. »

Dialogue : « L’Indochine, c’est lui, là-haut, au ciel, qui l’a faite,
mais le 7e jour, au lieu de prendre du repos, il a fait l’Algérie. »

> Pour télécharger ce texte au format PDF

> Pour recevoir Le Combat Syndicaliste

> Pour visionner la bande-annonce du film

Share