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* Mais où est passée la note ?

dimanche 7 février 2010, par Greg

Le collège Henri-Barbusse est situé à Vaulx-en-Velin, en banlieue lyonnaise. C’est un établissement présenté comme « difficile » : d’abord REP, puis prévention violence et enfin RAR (réseau ambition réussite). Les difficultés sociales des familles y sont très importantes. En 2002, quasiment 90 % des familles étaient classées dans la catégorie sociale « défavorisée » avec 65 % d’élèves boursiers.

Par  Mickaël, CNT Éduc 69

À titre de comparaison, la moyenne des REP était alors de 40 % d’élèves boursiers et 63 % de familles défavorisées. Dans ce contexte où les résultats aux évaluations de 6e étaient très faibles et inférieurs de 10 % à la moyenne des REP (53 % de réussite en français et 45 % en mathématiques), la question de travailler autrement pour aider tous les élèves (ceux en grande difficulté tout comme les élèves en réussite) tout en conservant l’hétérogénéité (le regroupement des élèves par niveaux étant considéré comme éthiquement irrecevable par l’équipe pédagogique) au sein des classes s’est imposée. Retour sur un peu plus de dix ans d’expérimentation.
Dix ans déjà…
C’est ainsi qu’il y a dix ans, un petit groupe d’enseignants motivés s’est réuni pour réfléchir à cette question. Leur réflexion s’appuyait, au départ, sur le travail en compétences, sans note, utilisé en SEGPA. L’objectif était de faire un diagnostic précis à la fin de chaque trimestre et/ou contrôle pour connaître les points forts et faibles des élèves puis imaginer des solutions pour les retravailler avec eux. Le « travailler différemment » permettrait peut-être d’échapper à la stigmatisation de la note. C’était même une des préoccupations majeures des enseignants qui se sont lancés dans cette aventure : sortir de la note, souvent dévalorisante, parfois source de décrochage des élèves en difficulté (un élève en grande difficulté qui après de gros efforts passe de 5 à 8 en tire très peu voire aucune motivation pour la suite) et opter pour une évaluation qui permette ou tente à l’élève de se rendre réellement compte de ses progrès.
Le travail entrepris s’est d’abord centré sur les classes de 6 e. Le but était de permettre aux élèves de réussir la transition de l’école primaire au collège. Chaque matière a mis à plat ses compétences disciplinaires. D’autres compétences, transversales, ont été élaborées. Elles correspondaient à des exigences et/ou savoir-faire communs à toutes les disciplines : avoir son matériel, tenir correctement ses cahiers, s’exprimer à l’oral et à l’écrit, trouver des informations dans différents supports, réutiliser ses connaissances dans des contextes variés… Le but de ces compétences transversales était de pouvoir faire un bilan précis et clair des difficultés de chaque élève afin de les surmonter et permettre à chacun-e d’avoir les outils nécessaires pour suivre dans chaque matière. Un temps était consacré en cours à l’autoévaluation des compétences disciplinaires et, en vie de classe, à l’autoévaluation des compétences transversales. Le but recherché étant d’amener les élèves à s’investir davantage dans leurs apprentissages. L’autoévaluation était ensuite discutée avec l’élève et comparée avec l’évaluation de l’enseignant. Ce travail a mené l’ensemble des équipes pédagogiques de classe et disciplinaires à fournir un vrai travail en commun, qui a permis la mise en place d’exigences communes. Ceci était primordial pour la mise en réussite des élèves dans un collège qui ne « tournait pas rond » : outre les résultats « catastrophiques » des élèves, les problèmes de discipline, de refus de travail étaient nombreux. Il s’agissait donc d’instaurer un climat de confiance entre les adultes et les élèves pour rendre les apprentissages non seulement possibles mais aussi sereins.

Les balbutiements

Ce travail s’est mis en place progressivement et a considérablement évolué. Ainsi, au début, chaque compétence était évaluée selon 3 niveaux d’acquisition : A (compétence acquise), E (en cours d’acquisition) et N (non acquis). Or, il est apparu que le niveau d’acquisition E était très large et vague entre un élève qui saisissait tout juste ce qui lui était demandé et un élève qui avait quasiment acquis une compétence. De plus, les élèves ont vite eu tendance à se mettre E à presque toutes les compétences. Ce niveau a donc été séparé en deux avec D (début d’acquisition) et P (presque acquis). Ensuite, afin de pouvoir apprécier au mieux l’acquisition d’une compétence et ne pas être uniquement dans le ressenti, des critères correspondant à chaque niveau d’acquisition ont été élaborés ainsi que des situations d’évaluation spécifiques par matière. Par exemple, pour la compétence « Je sais m’exprimer à l’écrit » l’équipe s’est mise d’accord sur les critères de réussite suivants :
A – Je sais répondre en faisant des phrases et en utilisant le vocabulaire spécifique de la discipline.
P – Je sais répondre en faisant des phrases (Sujet + Verbe + Complément).
D – Je sais répondre sans faire de phrases.
N – je n’arrive pas à formuler de réponse à l’écrit.
Cette évolution s’est faite progressivement, sur trois années. Nous sommes passés de 2 classes où des professeurs travaillaient en compétences à 4 classes puis toutes les classes de 6 e où l’ensemble des professeurs prenant des classes de ce niveau acceptait de s’insérer dans la dynamique du projet.
Parallèlement et graduellement, le bulletin trimestriel « classique » a été remplacé par un nouveau bulletin où n’apparaissaient plus les notes mais les compétences transversales. Une deuxième partie du bulletin était consacrée aux enseignements disciplinaires : chaque enseignant renseignait également le niveau d’acquisition de l’élève dans sa discipline (A, P, D, le « N » étant souvent proscrit) ainsi que des conseils pour progresser. Ces conseils, le plus précis possible, devant remplacer les traditionnelles remarques telles que « peut mieux faire » ou « n’apprend pas ses leçons » jugées trop superficielles et qui n’apportent rien à l’élève. Ces évolutions ont été le fruit de nombreuses heures de concertation et de travail qui ont amené des doutes, de tâtonnements, de retours en arrière. Certains points ont fait l’objet d’âpres discussions avant leur mise en place. Ce fut le cas en particulier de l’élaboration des critères d’acquisition des compétences. Ce travail n’a été possible qu’avec la mise en place de concertations sur un créneau de 2 heures chaque semaine. À la suite de nombreuses demandes, ces heures ont donc été intégrées dans les emplois du temps (ajoutées au temps de service). En plus de cela, les enseignants se sont régulièrement mobilisés pour conserver des heures supplémentaires dans la DHG (dotation horaire globale), afin de mettre en place des espaces de remédiation : groupes de besoin constitués grâce à l’attribution de trois professeurs pour deux classes, heures d’ATP (aide méthodologique, faites par des enseignants) ou de TDS (remédiation ou approfondissement disciplinaire). S’il est intéressant de pouvoir cibler les difficultés de chaque élève, il est indispensable de pouvoir proposer aux élèves des moments où il leur est possible de tenter d’acquérir les compétences non acquises que ce soit au niveau disciplinaire ou au niveau transversal. Ceci a constitué et constitue encore, une priorité pour une bonne partie de l’équipe éducative.

Réactions

Ces « changements » ont été possibles par la volonté et l’investissement d’un certain nombre d’enseignants mais également par le soutien apporté par la direction de l’établissement lors des premières années, notamment dans la défense auprès de l’IA d’un projet très « coûteux » en heures poste et en paiement des concertations. Par ailleurs, les enseignants investis en classe de 6 e ont intégré le PASI (Pôle académique de soutien à l’innovation). Les équipes du collège ont récemment décidé de cesser leur travail avec le PASI, celui-ci devenant de plus en plus un outil de l’administration pour tenter de mener à bien la casse du système éducatif en tentant, par exemple, de s’approprier un dispositif pédagogique innovant et en le détournant de son but initial, pour mettre en avant le socle commun.
Au sein de l’établissement les réactions ont été variées. Un certain nombre d’enseignants ont toujours eu une certaine méfiance face au travail mené, celui-ci étant jugé trop lourd (bulletins plus longs à remplir, gestion de plusieurs grilles de compétences). Certains ont donc « choisi » de ne plus prendre en charge de classe de 6 e. Les élèves quant à eux se sont assez facilement intégrés dans ce mode de fonctionnement qui ressemble souvent à ce qui est pratiqué en école primaire. Lors d’une étude en 2006, plus de 75 % des élèves disaient être satisfaits du fonctionnement. En revanche, la plupart d’entre eux précisaient être déstabilisés par le fait de ne pas avoir de notes. Cette remarque a également été faite par une petite majorité de parents qui, avec ce mode d’évaluation disait ne pas arriver à « situer » leur enfant par rapport à un niveau global. De manière à être le mieux compris possible des parents, le projet était (et continue d’être) présenté très tôt dans l’année, en général fin septembre, lorsque les enseignants communiquent les résultats des élèves aux évaluations nationales. Les bulletins étant remis en main propre aux parents et à l’élève, celui-ci est en général bien compris et leur permet de mieux connaître les points forts et faibles de leur enfant.

Évolution

Au cours des cinq dernières années, les enseignants ont tenté d’élargir cette expérience aux autres niveaux du collège, en particulier pour les 5 e et 4 e. Deux obstacles se sont alors interposés : tout d’abord, la réticence d’un certain nombre d’enseignants et la « lassitude » de certains face à la nécessité de toujours devoir « revendiquer » pour pouvoir ne serait-ce que maintenir l’existant. Le travail en compétences n’a donc pas pu être aussi abouti qu’en 6 e sur les autres niveaux. Des collègues le poursuivent néanmoins dans plusieurs matières (anglais, espagnol, français, maths, EPS). Des grilles de compétences communes sont mises en place et permettent de construire les apprentissages sur des objectifs communs dans les niveaux 5 e, 4 e et 3 e. Une classe de 5 e et une classe de 4 e expérimentent la mise en place de compétences transversales sur ces niveaux cette année.
Le travail mené au sein du collège Barbusse a été labellisé innovant par le rectorat. Des enseignants ont souvent été sollicités pour aller le présenter lors de formation. Or, à chaque rentrée, les heures des dispositifs sont menacées. Le chantage aux heures s’est fait, au fil des années, de plus en plus pressant. Le discours institutionnel est à chaque fois le même : vous êtes un établissement surdoté, soit vous gardez les dispositifs mais on augmente les effectifs, soit vous avez des effectifs corrects, mais plus de dispositifs. Des préavis de grève sont régulièrement posés pour la rentrée, et ont déjà été utilisés pour des questions de moyens.

L’évaluation : une question d’éthique et un enjeu idéologique

Le travail engagé en 2001 est souvent entré en contradiction avec les valeurs dominantes dans la société, prégnantes aussi bien chez les collègues, chez les élèves et chez les parents d’élèves : le besoin de classer, de hiérarchiser, bref, de noter. Les discussions occasionnées par ces confrontations de valeurs ont souvent été très riches. Actuellement, le projet entre en totale opposition avec l’Institution, avec la mise en place du socle commun des connaissances et des compétences. L’ensemble du projet barbussien, en se basant sur les « compétences » avait été construit dans un but émancipateur pour les élèves et pour pouvoir donner du sens à leurs apprentissages. Les valeurs portées ici sont bien loin de la soupe idéologique sous-tendue par le socle commun. C’est encore la position de la majorité des enseignants, et des sections syndicales qui, depuis le début l’activité syndicale de l’établissement, se retrouvent sur une position de refus du socle. ■

► Pour aller plus loin
En 2006, l’équipe avait rédigé un mémoire qui est en ligne sur le site du Pôle académique de soutien à l’innovation et à l’expérimentation de l’académie de Lyon