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Lettre ouverte à tous ceux qui prennent nos mots, les retournent et leur donnent un tout autre sens

vendredi 20 mai 2011, par Greg

Nous publions (avec l’aimable autorisation de l’auteure), en complément de la version papier du numéro, ce texte signé Véronique Decker qui apporte un regard et une analyse des plus pertinentes sur la question des "compétences". L’article a initialement été publié sur le site Sauvons l’école publique.

Nous, militants pédagogiques et syndicaux, avons travaillé tout au long du XXème siècle à l’amélioration de l’école pour les enfants du peuple.

Pour en finir avec une école militarisée qui avait envoyé au front en 14 des milliers de jeunes français et des milliers de jeunes allemands et puis encore des milliers d’autres venant de nombreux pays se battre sans réfléchir et s’exterminer sans remettre en cause ni Krupp, ni Wendel.

Nous avons inventé des projets pédagogiques permettant d’emporter toute une classe vers des apprentissages qui faisaient sens pour tous, car ces projets partaient du groupe classe, enseignant et élève et constituaient les individus en groupe qui coopérait pour progresser.

Nous avons inventé des évaluations par compétence permettant à tous les élèves de savoir où ils en étaient, quel était le chemin qui restait à parcourir et comment trouver de l’aide pour aller plus loin.

Nous avons inventé un socle commun qui imposait pour tous une scolarité de plus en plus longue, de plus en plus partagée avec une scolarité en maternelle pour tous, la mixité de l’école, une orientation de plus en plus tardive, le passage du CET au lycée professionnel, et une avancée significative vers un niveau Bac pour l’essentiel des élèves.

Nous avons inventé des temps individualisés et de soutien en classe, comme avec l’aide des RASED, des psychologues scolaires, pour pouvoir réfléchir aux difficultés et trouver des remédiations dans l’école avec des personnels formés et compétents.

Mais voilà que les adeptes du capitalisme libéral débridé se sont saisis de nos mots et les a transformé en hydres répugnantes, au point même que des gens pensent que pour lutter, le mieux serait de revenir aux "bonnes vieilles méthodes d’avant guerre", bons points, blouses, classements et lignes à copier pour les punis .

Ils ont saisi le projet pour en faire un logiciel avec des cases à cocher par l’enseignant dans l’organisation d’une servitude informatisée à leurs décisions économiques et politiques.

Ils ont repris les évaluations par compétence pour constituer un fichage Orwellien des personnes, de la plus tendre enfance à l’âge adulte, avec l’aide de Base élève, de Sconet et de l’identifiant unique INE.

Ils ont créé des paliers de socle commun pour justifier d’un retour de l’orientation des enfants dès la fin de l’élémentaire, puis au milieu du collège qui en a fini d’essayer d’être unique et ont créé des logiciels Afflenet 6 ème, 3 ème, Admission Post Bac, …pour achever ce qu’il restait de la carte scolaire et de l’idée même d’une mixité sociale au sein d’un même quartier.

Ils ont utilisé à leur profit la notion de temps individualisé et de soutien pour en finir avec les RASED et imposer le "soutien" en classe, sans aide et sur un temps volé aux autres élèves, et reprendre des postes et des postes en supprimant toujours plus de fonctionnaires, dans les postes d’aide, dans ceux destinés au remplacement des malades, dans ceux utilisés pour la formation des jeunes, dans ceux réservés aux associations complémentaires de l’Ecole Publique, et maintenant en chargeant et surchargeant les élèves dans les classes.

Derrière nos mots, il y a le sens de nos actions, celles de la construction d’une école publique, gratuite, seule à même d’apporter un progrès social qui nous concerne tous et pas une réussite individuelle au mépris des autres.