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La pratique du syndicalisme d’industrie dans la construction... en question

Entretien informel avec Eric, Thomas, et Romain, membres du Conseil Syndical du Sub-Rp. Propos recueillis par F. Spinner

samedi 27 mars 2010, par Greg

Le Syndicat unifié du bâtiment (SUB-Région parisienne) propose une bourse de sociologie (d’un montant de 600 € et d’une publication de l’étude), pour qu’un regard extérieur et professionnel, soutenu par la rigueur d’une démarche scientifique, analyse, au quotidien, ses modes de fonctionnements et leurs éventuelles contradictions. Ce projet veut « pointer » ce qui dans le maelström de qualifications professionnelles très diverses, la multiplicité des langues d’origine et de leur niveau d’acquisition et d’usage, le peu d’expérience militante ou encore l’individualisme de trop nombreux adhérents, peut être un frein au développement de la pratique de la démocratie directe à l’origine de son projet, et comment y remédier.

Pouvez-vous raconter l’histoire du syndicat et son fort développement ces dernières années ?

En quelques mots, le syndicat a été « réveillé » en 1997, Dans les deux premières années, il a rapidement rassemblé… une vingtaine de camarades, travaillant dans le BTP en région parisienne. Ils venaient principalement des franges du mouvement libertaire. C’était à un moment où la CNT-f « surfant sur la vague médiatique », préparait les journées de mai 2000 qui allaient marquer une forme d’apogée dans la perception que le monde extérieur, tout au moins le petit monde politique et syndical militant, pouvait avoir de notre confédération renaissante. Ces apparitions répétées et particulièrement attractives, tout autant que leur ton radical, « siphonnaient », à notre profit, le mouvement libertaire organisé, celui au moins qui portait le deuil, depuis près de cinquante ans, d’une représentation prolétarienne.
Alors qu’il tentait de s’inscrire dans une pratique de terrain, et après avoir travaillé à la naissance de la fédération Construction, le SUB-RP perdit bon nombre de ses adhérents lassés sans doute d’un travail syndical obscur et peu gratifiant, somme toute assez loin de l’agitation des manifestations de rue, des étendards flottant au vent, des slogans dont on arrive parfois à se persuader…
C’est, pour beaucoup, l’action entreprise autour des Ateliers populaires d’architecture et d’urbanisme (voir encadré) qui a permis de renforcer et structurer un Conseil syndical, qui a pu ensuite mettre en place une permanence syndicale à même de répondre à l’ensemble des problèmes – droit social, logement, santé, transports, vie familiale, etc. – auxquels sont confrontés les travailleurs.
Le syndicat disposait alors de moyens militants pour faire face à certaines demandes émanant de travailleurs sans papiers en butte aux nouvelles circulaires émises par le gouvernement concernant la « régularisation par le travail ».
Si la rencontre du syndicat avec ces travailleurs l’a indéniablement renforcé quantitativement – passant en l’espace de deux ans d’une quinzaine à près de 200 adhérents–, il n’est pas sûr que nous puissions encore parler de fort développement, compte tenu principalement des fortes fluctuations d’effectifs constatées de mois en mois.
Confronté à des questions de seuils, le syndicat cherche actuellement à consolider ses équipes militantes pour engager un réel développement lui donnant enfin les moyens d’intervenir fortement sur les chantiers et de bâtir un contre-pouvoir dans de nombreuses entreprises. Ce travail de formation en profondeur lui a fait ou fera certainement perdre un certain nombre d’autres adhérents.

Comment fonctionne le syndicat depuis l’arrivée de camarades migrants ?

Le syndicat fonctionne toujours de la même manière, seul le nombre étire, un peu plus, le temps pour le faire. Le syndicat se réunit en un Congrès une fois par an, à la rentrée de septembre, ouvert à l’ensemble des adhérents qui y sont tous convoqués, définit les grands axes d’actions pour l’année à venir et mandate son Conseil syndical aujourd’hui constitué de 16 adhérents chacun porteur d’un mandat précis. Le Conseil syndical (voir encadré) se réunit chaque semaine en Comité Restreint et chaque mois en conseil élargi. Il organise chaque trimestre une assemblée générale où sont conviés tous les adhérents.
Quelle dynamique apporte cette syndicalisation nouvelle ?
S’agit-il de dynamique ? Les problèmes posés aux travailleurs sans-papiers sont multipliés par la très grande précarité due à leur situation. Ce fait oblige le syndicat à renforcer son expertise sur l’ensemble de ces questions, ce qui ne peut être indéniablement qu’un bien. La destination du syndicat demeure cependant d’être une organisation de classe rassemblant l’ensemble des travailleurs de son industrie. S’il devait y avoir dynamique, ce serait sûrement de rééquilibrer la composition du syndicat.
Quelles sont les difficultés auxquelles le syndicat est confronté ?
Comme nous l’avons évoqué précédemment, le plus grand danger demeure dans une trop forte homogénéité – professionnelle, ethnique, générationnelle, de genre, etc. – des travailleurs que le syndicat rassemble. On reproche souvent à nos syndicats d’être principalement masculins si ce n’est machos – bien que notre fédé se soit vue dernièrement renforcée par l’arrivée d’un SUB Grenoblois fortement constitué de camarades charpentières bois. On a connu aussi en RP, un moment où les pierreux – c’est ainsi qu’on désigne, généralement, les tailleurs et sculpteurs de pierre – étaient nombreux. Nous avons ­aujourd’hui une majorité écrasante de travailleurs venus d’Afrique. Notre industrie est hétérogène de part l’ensemble des métiers qui concourent à l’édification de ses œuvres. C’est ce qui en fait notre force et notre capacité révolutionnaire. C’est cet équilibre de représentation que nous devons toujours conserver et consolider.

L’idée de cette bourse est-elle venue de problèmes concrets ou de questions de fonds ?

Cette idée a germé partir de problèmes concrets révélant des questions de fonds. Le militantisme en général – et le syndicalisme n’y fait malheureusement pas exception – se construit sur des modes de représentation – principalement la parole et l’écrit –, qui sont les mêmes que ceux de la reproduction du savoir et du pouvoir de nos sociétés occidentales. Or, dans des syndicats d’industrie comme celui du BTP auquel nous appartenons, se retrouvent toutes les professions, du maçon au charpentier, du manœuvre à l’ébéniste, de l’architecte au vendeur de meuble, de l’ascensoriste à l’agent immobilier... Qui, parmi tous ces gens, a le plus de facilité à prendre la parole, à concevoir les projets, à planifier leur mise en œuvre, à analyser leur résultat ?
Aucune déclaration d’intention ou de principe, aucun beau discours ne nous paraît suffisant pour contrecarrer cela. C’est pourquoi nous avons décidé de rechercher un regard extérieur et une analyse scientifique qui puisse révéler les mécanismes qui pointent nos défauts et ainsi que leurs corrections nous ouvrent la voie d’une meilleure adéquation entre notre projet et les moyens choisis pour y parvenir.
– Dans notre syndicat où de trop nombreux camarades ne maîtrisent pas une langue qui puisse leur permettre, ici et maintenant, de s’approprier les outils nécessaires à leur émancipation.
– Dans un milieu libertaire où trop généralement ceux qui parlent d’autonomie ouvrière n’en ont qu’une vision livresque sans s’être jamais confronté à la difficulté de s’exprimer en ne disposant seulement que d’environ 200 mots, il nous a paru nécessaire d’engager rapidement une étude et un retour sur les expérimentations que nous lançons au travers d’outils syndicaux éducatifs qui sont nos chantiers syndicaux, nos cercles de lecture collective, nos commissions propagande, nos AG pluri-langues (voir encadré).

Où en est le syndicat avec cette bourse ?

On est un peu… nulle part car nous sommes toujours, et comme tous, pris dans l’urgence d’un travail syndical qui ne peut attendre. Nous sommes sans réelles connexions avec le milieu universitaire.
Misant sur l’inter-professionnalisme qui normalement se nourrit de nos structures confédérales régionales, nous avons, à plusieurs reprises, informé de notre recherche les étudiants ou enseignants, adhérents des syndicats CNT de l’Éducation, rencontrés à l’occasion de réunions diverses, sans retour à ce jour.
Nous espérons que l’écho que vous donnez maintenant au travers de cet article pour N’Autre école relancera d’éventuelles manifestations d’intérêt, voire des candidatures. ■

Ateliers populaires d’architecture et d’urbanisme : le syndicat a été à l’origine de la création et de l’animation de deux de ces Ateliers, qui étaient constitués de « techniciens » mettant à disposition de collectifs d’usagers de l’espace, leurs savoirs et leur expérience professionnelle au service de projet en autoconception, autoconstruction et autogestion. Le premier atelier servit d’appui à un collectif d’artisans et d’artistes locataires de la Ville de Paris, d’un ensemble artisanal du XIème arrondissement. Le second connu sous le nom d’APAUM avait pour objectif le relogement, sous forme d’un habitat communautaire, de 18 familles dans un bâtiment existant sur Montreuil.

Dans le Conseil Syndical : le comité restreint correspond au bureau du Syndicat et réunit les camarades qui ont pris des mandats individuels et collectifs d’animation des permanences des commissions et de montage de dossiers prud’homaux, sociaux ou de régularisation. Il est constitué aujourd’hui de 7 camarades qui acceptent pour tenir ces mandats de suivre les formations syndicales de niveau 1 et 2. Le conseil élargi réunit les camarades du Bureau et les camarades qui ont, pour la première fois, pris des mandats individuels d’animation du syndicat ou de sections syndicales. Il est constitué aujourd’hui de 9 camarades qui acceptent pour tenir ces mandats de suivre la formation syndicale de niveau 1. L’objectif poursuivi par le syndicat est que le maximum de ces camarades accèdent, lors d’un second mandat au comité restreint, puis, quand ils le souhaitent, à des responsabilités régionales, fédérales ou confédérales.

Le Chantier syndical : est comme son nom l’indique un chantier organisé et réalisé par le syndicat. Le chantier actuellement en cours est celui de l’aménagement de notre local au 33, rue des Vignoles. Il fait suite à celui qui a réalisé l’aménagement du local du Bureau Régional de l’Union régionale RP. Dans l’esprit de la formation professionnelle envisagée lors de la création des Bourses du travail, c’est un chantier-école basé sur l’entraide où les différents métiers du bâtiment concourent à réaliser un chef-d’œuvre capable de démontrer que la libre coopération permet aux travailleurs de notre industrie de produire collectivement un travail réalisé dans les règles de l’art et sans la contrainte de l’exploitation du Capital. Les différents métiers se mon­trent et s’enseignent leurs savoirs, les camarades non qualifiés peuvent se former avec l’aide de compagnons confirmés, l’apprentissage se fait de manière manuelle et non didactique, celui qui sait peut être dans le même temps celui qui apprend…

Cercles de lecture collective : un grand nombre de nos camarades ne sachant pas lire ou ne possédant que des rudiments de langue française, le syndicat tente de renouer avec la tradition de la lecture collective de la presse fédérale ou confédérale comme cela se faisait sur les chantiers du BTP avant la seconde guerre mondiale. Lieu de lecture, d’écoute et de commentaires, ces cercles ont pour objectif de faire partager le projet idéologique de la confédération, de renforcer la diffusion de notre presse, de favoriser la formation individuelle et collective de nos adhérents. Ces cercles n’ont pas vocation à devenir des cours d’alphabétisation. Notre syndicat s’est toujours opposé aux tentatives voulues par certains de nos camarades libertaires en ce domaine. Si le syndicat considère qu’il doit favoriser l’alphabétisation il ne pense pas, tout au moins tant qu’il restera groupusculaire, qu’il peut se substituer aux associations qui les mettent en place, par exemple dans les foyers de travailleurs migrants.

Commission propagande : au travers de ce travail de commission, nous tentons de former nos militants à la maîtrise d’outils de communication – photo, vidéo, informatique, son — qui leur permettent de décrypter et d’analyser les messages de la bourgeoisie au travers des médias et du cinéma et de pouvoir eux-mêmes les utiliser.

AG pluri-langues : dans un syndicat rassemblant une majorité de travailleurs d’origine étrangère, se pose la question de la place et de l’utilisation des langues maternelles qui restent des enjeux d’intégration et d’accession à l’autonomie ouvrière dans et hors du syndicat. S’il s’avère que la traduction permet une plus grande participation des adhérents lors des assemblées générales du syndicat, elle n’en demeure pas moins un enjeu de pouvoir entre les différentes communautés ou se jouent encore des rivalités importées.