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Chronique Radio : P. Willis, L’école des ouvriers (11/12/12)

mercredi 12 décembre 2012, par Greg

La chronique radio du mardi 11 décembre 2012 par G. Chambat.

La chronique au format Mp3

L’École des ouvriers. Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers, Paul Willis, trad. B. Hoepffner, Agone, 2011, 456 p., 25 €.

Le texte de la chronique :

« On n’abolit pas une société de classe à coup d’examens ou de diplômes »...

Pour inaugurer cette rubrique consacrée aux ouvrages sur l’école et l’éducation, j’ai choisi de commencer par un texte sociologique, ou plus exactement ethnographique, écrit dans les années 70 et que les éditions Agone viennent de rééditer.

L’école des ouvriers
, sous-titré Comment les enfants d’ouvriers obtiennent des boulots d’ouvriers est le fruit d’un long travail d’immersion du sociologue anglais Paul Willis. Pendant 18 mois, celui-ci a en effet partagé le quotidien d’un groupe de jeunes adolescents depuis leurs derniers moments au lycée professionnel jusqu’à leurs premiers pas à l’usine.

La question qui traverse cette étude nous est familière, elle rejoint les analyses de Bourdieu sur le rôle de l’école dans la reproduction et surtout la légitimation des inégalités sociales. Si l’on écarte la théorie du complot ou le machiavélisme de la classe dominante, savoir comment l’institution reproduit inexorablement et de manière quasi infaillible les hiérarchies sociales reste une question fondamentale, ne serait-ce que pour comprendre et éventuellement déjouer ces mécanismes.

C’est ce que rappelle Willis dans la première page de son livre qui vaut la peine, je pense, d’être relue ici :

On trouve ici exposé le projet de Willis mais aussi le ton si particulier de sa prose qui rend cette lecture – ou alternent analyses et extraits d’entretiens - si agréable

Son projet est de réintégrer l’école dans son environnement et en particulier dans l’influence du monde de l’atelier et de l’usine dans la culture de ces jeunes adolescents.

Une culture anti-école, dont il perçoit l’origine et le modèle dans les rapports sociaux qui au cours au sein de l’atelier – lutte contre les hiérarchies, rejet de l’intellectualisme symbolisé par les cadres et les contre-maîtres, valeurs de groupe, de solidarité comme résistance collective à l’exploitation patronale que peuvent aussi se comprendre les chemins de la culture anti-école adoptée par ces jeunes prolétaires. Le chahut, la violence, l’irrespect ou l’insolence, l’absentéisme, le rejet du travail des fayots et des valeurs intellectuelles sont considérées comme des transferts, dans le cadre scolaire des formes de résistance et de contestation ouvrières.

C’est au nom d’une certaine révolte que ces jeunes vont entrer volontairement dans la voie qui leur est tracée. Ce qu’ils considèrent comme une transgression de l’ordre établi, une résistance sociale se révèle au final, comme pour leur attachement aux modes vestimentaires ou certain de leur comportement sexistes et / ou racistes. Nul angélisme donc dans l’approche de cette culture ouvrière qui ne se revendique pas comme une culture révolutionnaire, mais une analyse très fine des mécanismes de domination et de résistance.

Cette étude date d’une quarantaine d’années, mais cet éloignement dans le temps et l’espace (on est au cœur du bassin industriel anglais) nous invite à penser que la fameuse « crise » actuelle de l’école relève moins d’une dérive récente que des fondements même de l’institution... et des conflits sociaux qui la traverse.

Willis ne se contente pas d’observer, il interroge, aussi , et s’intéresse plus particulièrement aux illusions « éducative » progressiste portée par la gauche et en particulier par les enseignants. Face à cette jeunesse, les discours de réussite individuelle, de méritocratie, de goût de l’effort pèsent bien peu face aux mécanismes de reproduction. La réponse en terme de moyens ou d’autorité reste incapable de saisir le choc des cultures comme manifestation de la lutte des classes.

L’entretien publié en postface, dans lequel Willis revient sur son ouvrage presque quarante ans plus tard, rappelle qu’« il est important de prendre en compte que cette école publique qui fournit une éducation pour tous grâce à une longue histoire de luttes syndicales et sociales, que cette école, qui a un coût important d’ailleurs pour les travailleurs à travers les impôts, bref, que cette même école surprend toujours et déçoit toujours une partie de la jeunesse qu’elle accueille ».

De bout en bout l’ouvrage est traversé par la tension entre la logique individuelle – qui est celle de l’école et des classes moyennes ou supérieures – et les logiques collectives de solidarité – celles de l’atelier des pères ou de la bande des ados.

Loin de s’en tenir au constat, Paul Willis avance donc des pistes : sociales – à travers les luttes collectives pour l’école, pour arracher des moyens pour une « autre » école – mais aussi et surtout pédagogiques permettant de renverser la dimension individuelle du système au profit d’une approche collective et solidaire du savoir (inspirée du monde de l’atelier), d’un accès à la maîtrise du symbolique et de l’expression structurée, mais aussi à une plus grande sensibilité des enseignants à cette culture ouvrière. Bref, un programme de pédagogie sociale !

Car, au détour d’une page Willis précise sa pensée « On n’abolit pas une société de classe à coup d’examens ou de diplômes »...