T21. “Nous enseignant.es,… nous ne reprendrons pas tant que nous n’aurons pas obtenu ce que nous réclamons à juste titre depuis tant d’années !…”

Plusieurs collègues écrivent, témoignent et refusent de revenir en classe le 11 mai. Extraits.

Le premier extrait, c’est une tribune parue dans Libération du 20 avril écrite par Valérie Durey, Floriane Filippi, Emmanuelle Johsua, professeures en lycée professionnel.

Si la situation n’était pas si grave, elle serait presque risible.

L’école pour se protéger des inégalités, oui mais…

Le président Macron déconfine ; «nos enfants doivent pouvoir retrouver le chemin des classes» pour éviter que ne se creusent les inégalités. Pourtant, depuis des années, les politiques scolaires vont à l’encontre de cette vision émancipatrice de l’école. Le gouvernement Sarkozy a mené une politique systématique de suppression de postes. Le gouvernement Hollande a supprimé le label «éducation prioritaire» pour tous les lycées, généraux comme professionnels, supprimant ainsi nombre de moyens dans ces établissements. Quant à ce gouvernement, sa politique en matière d’éducation n’a fait accentuer les inégalités scolaires et sociales, avec la réforme des baccalauréats et celle du lycée professionnel réduisant drastiquement les heures d’enseignement et invitant les élèves à l’apprentissage. Système qui réduit le temps scolaire à l’école à une semaine par mois. Et voilà, qu’aujourd’hui, on nous dit que l’Ecole protège ! Les politiques reviendraient-ils à la raison ?

L’école serait donc un service public fondamental qui permettrait de réduire les problèmes sociaux ? Heureuses de l’entendre, dommage qu’il ait fallu une pandémie mondiale pour le dire (…)

Pas de blocage des loyers non plus, ni des factures énergétiques, pas de suspension des remboursements de prêts. Les aides annoncées mardi par Edouard Philippe, ne répondent pas à la situation exceptionnelle que nous vivons. Elles sont ponctuelles, minimes et ne s’adressent pas à toutes celles et ceux qui vivaient du «système D» (petits boulots, travail au noir pour finir le mois) et qui sont à présent dans une extrême difficulté.

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Une collègue de maternelle

(…) Je ne vois pas quels aménagements ni quelles précisions pourront me convaincre de revenir à l’école le 11 mai.

(…) Et puis, quand on a 4 ans, parfois on a très peur, parfois on est très triste. Souvent, les mots sont inutiles, parce qu’on ne sait pas toujours les dire ou les comprendre, c’est déjà difficile pour les grandes personnes alors quand on n’a que 4 ans… C’est le contact qui rassure. Une main sur la joue qui sèche une larme, un câlin qui réconforte quand papa s’en va. Parfois aussi, c’est le contact qui protège. Qui arrête une main qui va donner un coup ou qui retient un enfant qui se met en danger sans s’en apercevoir.
Alors maintenant, essayez d’imaginer la même chose, en version covid19. Même avec moins d’enfants, même avec moins de familles. Même en désinfectant les locaux, même en imaginant qu’on peut renouveler encore et encore notre manière d’enseigner. Deux choses essentielles : les gestes barrières sont impossibles à mettre en œuvre en maternelle (…)

J’entends aussi l’argument du décrochage scolaire et je suis bien d’accord que l’école à distance, c’est compliqué, particulièrement en maternelle. Je sais que même mes élèves les plus favorisés souffrent du confinement mais je pense avant tout à mes élèves fragiles, dans des situations familiales et/ou sociales difficiles, ceux pour qui prolonger cette rupture avec l’école pourrait être vraiment problématique. Mais je ne vois pas en quoi un accueil partiel va tout à coup résoudre la problématique de la pauvreté ou de la maltraitance infantile. En argumentant pour une réouverture sur la base de ces situations, on essaie de faire peser la responsabilité sur les individus, assez sensibles à la culpabilité, que sont les enseignant.e.s. Mais les enfants violentés l’étaient avant le confinement et les moyens mis à notre disposition étaient déjà insuffisants. Ce n’est pas une demi-journée d’accueil à l’école tous les deux jours qui va les sauver de leur enfer familial. Malheureusement. J’en pleurais de rage déjà avant le covid19, mon mari qui enseigne à des enfants placés par l’ASE aussi.

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Une prof des écoles du collectif Stylos rouges

Le Président lui-même annonçait ce lundi 13 avril que l’objectif de la réouverture des écoles est de lutter contre les inégalités scolaires. Ces fameuses inégalités, mises en lumière par le confinement, mais déjà bien ancrées par les politiques d’austérité successives… Eh bien, si lutter contre les inégalités scolaires est effectivement la raison principale de notre retour sur le terrain, prenons notre Président au mot et imposons de vraies mesures pérennes pour une éducation de qualité : baisse des effectifs dans toutes les classes ; remplaçants, AESH (…) éducateurs, infirmiers et assistantes sociales (…) RASED complet dans chaque école, etc.

Le confinement se révèle finalement être une véritable aubaine pour nous ! C’est le moment rêvé pour faire jouer notre rapport de force : nous, enseignants, ne reprendrons pas notre travail dans des conditions dangereuses pour nos vies et celles de nos élèves, certes ; mais surtout nous ne reprendrons pas tant que nous n’aurons pas obtenu ce que nous réclamons à juste titre depuis tant d’années ! (…)

Le gouvernement se retrouve pris à son propre piège : il a désormais besoin de ses chers enseignants pour garder les enfants des parents qui doivent faire repartir l’économie… Nous reviendrons… Mais pas maintenant, pas comme si nous n’avions pas perdu tant de jours de grève sans être jamais entendus, pour être finalement appelés à la rescousse lorsque le navire coule par des erreurs de pilotage (…)