Sale temps pour la santé au travail…

> Communiqué de la

 

La députée Charlotte Lecocq (LaREM) a remis son rapport sur la santé au travail intitulé «Vers un système simplifié pour une prévention renforcée » le 28 août dernier.

Après la suppression des CHSCT, et la révision au rabais du compte pénibilité, nous n’attendions rien de positif de ce rapport en matière de santé au travail. Et, de ce point de vue, Madame LECOQ ne nous a pas déçus. Un intitulé plus proche de la réalité aurait pu être « Vers un système TRÈS simplifié pour une prévention au rabais ».

Dans les faits, ce rapport propose d’une part de fusionner les différents organismes de prévention et d’autre part de libérer les employeurs d’une série d’obligations. Au-delà une déréglementation généralisée des questions de santé au travail se profile.

 



« Pilotage » public/agences privées

Le rapport invoque tout d’abord un manque de visibilité et de clarté entre les différents acteurs de la prévention de la santé au travail. La première proposition mise en avant par ce rapport est de fusionner les différents organismes de prévention par la création de guichets uniques régionaux qui réuniraient les services de santé au travail, les représentations régionales de l’Agence nationale pour l’amélioration des conditions de travail (Anact), les agents chargés de la prévention au sein des Carsat, l’OPPBTP et l’INRS.

Le scénario prévu est celui d’une structure à deux étages.

Au niveau national, un organisme public intitulé « France Santé Travail », placé sous la tutelle des ministères du Travail et de la Santé, concevrait et « piloterait » les programmes de travail à travers le Plan Santé au Travail et contractualiserait ensuite, sur la base d’un cahier des charges national, avec des structures régionales.

Le financement, ou non, dépendra de la contractualisation de ces objectifs par les structures régionales. Ainsi la répartition des dotations sur l’ensemble du territoire pourrait être décidée par la nouvelle structure nationale de prévention. On imagine déjà la course à la valorisation et à l’affichage induite par ce mode de financement.

Derrière la fusion se pose également, et inévitablement, la question des moyens humains dédiés. De fait toutes les institutions citées sont déjà soumises à la diète depuis plusieurs années. On peut facilement imaginer que cette fusion, comme chaque fois qu’il y a fusion, sera l’occasion de continuer à faire des économies.

Refonte du financement

S’agissant du mode financement, c’est la logique assurantielle de la CARSAT qui l’emporte.

Le rapport préconise une cotisation unique pour les employeurs : « Les contributions financières des entreprises pour les structures régionales de prévention et celles concernant l’OPPBTP pour les entreprises qui en relèvent, pourraient être regroupées avec celles des AT-MP au sein d’une cotisation unique “santé travail” directement recouvrée par les Urssaf. »

Sur une base mutualisée, le montant de cette cotisation serait ensuite modulée en fonction des risques spécifiques de l’entreprise et/ou de son « engagement » (c’est-à-dire de son non engagement) en matière de prévention. Il s’agit d’une extension de la logique déjà à l’œuvre aujourd’hui avec la CARSAT.

Vers le contrôle « bienveillant »

Avec toujours la volonté de « clarification » des rôles de chacun, si l’organisme « France santé travail » n’assurera « aucune mission de contrôle », Madame LECOQ semble vouloir que les DIRECCTEs se centrent, elles, sur le contrôle.

Mais quels contrôles ? Sitôt que l’on creuse un peu, cette dernière développe une conception particulière des obligations en matière de santé et sécurité. Car c’est bien l’allergie au contrôle et à la sanction des employeurs qui prédomine dans ce rapport.

Car il faut comprendre ces pauvres patrons, ils vivent dans la terreur d’être contrôlés : « un climat de méfiance entre employeurs et services de contrôle (inspection du travail et Carsat notamment) s’est installé, il en découle une peur pour le chef d’entreprise de solliciter leur avis et donc une relation très faible ». De la même façon ils perçoivent qu’au cours de l’intervention des services de santé au travail et du médecin du travail leur est fait « un procès d’intention qui amène un comportement de contrôle beaucoup plus que de conseil à leur égard ».

Les quelques 600 morts annuel liés aux accidents du travail ? Les maladies professionnelles dont l’augmentation des cancers ? les TMS, l’augmentation des maladies psychiques avec les inaptitudes comme seules portes de sorties ?

Il est notable de constater à cet égard qu’un autre rapport, sur la prévention des risques chimiques rédigé par Paul Frimat, et proposant une série de mesures coercitives vis-à-vis des employeurs pour réduire l’impact des expositions chimiques, n’a lui curieusement jamais été rendu public.

Tout ça ne serait qu’un problème de « confiance », surtout pas de procès d’intention on vous dit !

Les solutions du rapport LECOQ ?

Tout d’abord, à l’heure de la promotion généralisée du management par la « bienveillance », Madame LECOQ promeut le « contrôle bienveillant » bien sûr. Il faut développer une « relation renforcée mais bienveillante, dirigée vers le conseil et l’accompagnement avant contrôle et éventuelles sanctions. »

Ainsi, dans une inversion de responsabilité éhontée Madame LECOQ nous explique que c’est le poids des obligations et des sanctions imposées qui nourrirait le désengagement  des employeurs sur la question de la santé et la sécurité. Page 29 :« Plus gravement, notre système de santé au travail est jugé décourageant car il assimile santé au travail avec contrainte, voire sanction. »

Il faudrait donc tout d’abord rassurer les patrons tétanisés par la terreur des obligations et des sanctions, qui n’oseraient plus bouger alors qu’ils ne demanderaient qu’à bien faire. La recommandation n°4 propose ainsi une approche « valorisante » au lieu « de la seule menace de la sanction ». Allégeons les obligations en matière de santé et les patrons libérés, délivrés s’engageront à fond, et sans qu’il soit besoin de sanctions, dans la promotion de la santé et sécurité de leurs salariés.

Vers une déréglementation de la santé au travail

Ensuite, et surtout, il faudrait libérer les employeurs d’un certain nombre d’obligations réglementaires en matière de santé.

Exit donc le DUER pour les TPE (recommandation n°13), exit également la fiche d’entreprise du médecin du travail. Pour un rapport expliquant qu’il faut « davantage se tourner vers la prévention primaire » de la santé au travail, supprimer le premier outil d’évaluation et de prévention des risques dans l’entreprise, c’est assez énorme mais Madame LECOQ ose tout.

Au-delà même des TPE, le rapport propose d’en finir avec la logique même du DUER, c’est-à-dire une évaluation exhaustive des risques liées à l’activité réelle de l’entreprise et par unités de travail, en se contentant d’un « plan d’action » concernant « les populations les plus exposées aux principaux risques de leur profession, assorti d’indicateurs de progrès aisément vérifiables ». Tout ceci « dans un souci d’efficacité et d’effectivité » afin « de desserrer la contrainte du formalisme du document unique exhaustif d’évaluation des risques » (p.35). Qui va décider quelles sont les populations exposées et selon quels risques ? Le rapport ne répond pas, il y a de quoi s’inquiéter…

Poursuivant cette logique de déréglementation la recommandation n°14 propose de « proportionner les obligations et les moyens à déployer dans les entreprises en fonction de leur spécificité et des risques effectivement rencontrés par les salariés. »

Cette proposition ressemble furieusement a une volonté d’étendre la déréglementation mise en place par les ordonnances des lois travail I et II, au nom du « dialogue social », aux questions de santé et sécurité.

En effet, p.35 la mission « se pose la question de l’opportunité d’appliquer à la santé et sécurité au travail la logique du rapport de Jean Denis Combrexelle opérant une distinction entre ordre public, champ de la négociation et droit supplétif ». Les entreprises pourraient décider décider elles-mêmes des mesures de sécurité « à la condition qu’il soit d’une efficacité équivalente. A défaut, les décrets seraient applicables à titre supplétif. ». On imagine très bien les employeurs considérer que le travail au harnais est d’une « efficacité équivalente » à la protection collective ; attendrons-nous alors l’accident du travail pour pouvoir démontrer l’inverse ? Belle logique de prévention !

Plus loin, le rapport explique qu’il faut « revisiter […] la réglementation pour la faire évoluer vers une simplification et une recherche d’efficacité réelle » et ouvre clairement la boîte de pandore en proposant de moduler les obligations en matière de santé et sécurité en fonction de la négociation et des effectifs de l’entreprise. Ainsi au sujet du champ d’intervention de l’inspection du travail, on peut lire page 91 :

« Dans un contexte où les règles sociales sont de plus en plus déterminées par la négociation, et compte tenu d’effectifs limités, elle pourrait resserrer son champ d’intervention sur le respect de l’ordre public, en particulier dans le domaine de la santé au travail, à l’instar des systèmes d’inspection des pays d’Europe du Nord. »

La dépénalisation, que nous avons déjà connue pour toutes les matières contraventionnelles, pointe ici le bout de son nez puisque le rapport enchaîne sur la promotion du « recours à des sanctions administratives fléchées sur des thèmes prioritaires, assorties à l’obligation de mise en œuvre d’un plan d’action dans l’entreprise ».

Poursuivant une évolution qui a cours depuis plusieurs années, la vision de la santé au travail promue par ce rapport glisse d’une démarche de prévention des risques vers une logique de gestion des risques professionnels selon une logique toute libérale et assurantielle de type bonus/malus.

De ce point de vue le rapport entérine également une inclination récente de la chambre sociale de la Cour de cassation favorable aux employeurs. Ces derniers ne seraient plus soumis à une « obligation de sécurité de résultat » en matière de santé au travail, mais à une « obligation de moyens ». « L’obligation de sécurité de résultat, poussée à l’extrême, décourage la prévention », estime le rapport Lecocq.

Il ressort de la lecture du rapport l’impression que l’idée sous-jacente n’est pas la protection des travailleurs mais la prévention des risques juridiques des employeurs.

Si nous voulons éviter ce grand bond en arrière, il faut la mobilisation de tous : acteurs de la santé au travail, salariés et organisations syndicales. Nous n’obtiendrons que ce nous gagnerons tous ensemble, par la lutte.

 


Pour télécharger le tract au format pdf


 

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Syndicat CNT de la Gironde

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