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Daniel Guerrier & Alexis Nekrassov

- Retraites : cotiser plus !

Déjà paru dans "Témoins", nouvelle série n° 16, décembre 2003

mercredi 31 mars 2004

Les auteurs proposent aux journalistes d’exercer leur droit à cotiser plus... absurde ? Pas du tout !

Augmenter sa retraite, cÕest possible, mme en ces temps de rŽgression sociale et de coupes claires des acquis sociaux

L'Histoire présente parfois de curieux télescopages : en effet au moment où le gouvernement libéral poursuit sa politique de casse dans tous les domaines sur fond de ce que Luis Sepulveda nomme le "darwinisme social" où seuls les plus riches pourront s'en sortir, voilà que les juristes imposent un libre choix de chaque journaliste quant au calcul de ses cotisations sociales, jusqu'à présent établies sur la base, certes plafonnée, de 70 % du salaire brut, imposition qui fait suite au découplage de l'allocation annuelle pour frais d'emploi de 7 650 euros de la notion d'abattement fiscal de 30 %.

En conséquence tout journaliste est fondé à exiger que son assiette de cotisation passe de 70 % de son salaire brut à 100 %. Bien sûr, d'aucuns vont être surpris de cette curieuse revendication : cotiser plus et donc gagner aujourd'hui un peu moins. Mais à y regarder de plus près qui va être obligé de cotiser beaucoup plus sur notre nom, c'est l'employeur (lequel voit d'ailleurs cette disposition légale d'un très mauvais oeil). Pas besoin d'être grand clerc pour en déduire que cela va permettre d'améliorer la situation de nos caisses de retraite et par là même non seulement d'augmenter nos pensions mais aussi d'aider à pérenniser le système. A cela l'on nous rétorque que les jeunes ont déjà intégré que, lorsqu'ils arriveront aux âges chenus, le système de retraite par répartition n'existera plus. C'est vrai qu'il n'existera plus s'ils ont déjà intégré sa disparition, car ils ne le défendront pas. Tous les acquis sociaux dont nous bénéficions ont été obtenus grâce aux luttes de nos anciens, rien n'a jamais été donné en cadeau.

N'a-t-on pas remarqué que tous les gouvernements de droite, ou de fausse gauche, ont toujours fait cadeau de diminutions de cotisations sociales aux chefs d'entreprise (cotisations qui leur restent tellement en travers de la gorge qu'ils les nomment "charges" sociales), tout comme les cadeaux empoisonnés de baisse des impôts qui aboutiront à justifier ensuite la privatisation de services publics, pénalisant par là même les couches les plus défavorisées de la population.

Pour une fois qu'un salarié peut imposer à son patron de cotiser plus sur son nom pour améliorer sa retraite future et ses éventuelles indemnités journalières, alors que c'est plutôt toujours l'inverse qui est en général au menu, n'hésitons pas, le développement qui va suivre est suffisamment éclairant !

Le mode de calcul de l'assiette des cotisations vieillesse et maladie des journalistes a été modifié par deux textes, l'Arrêté interministériel du 20 décembre 2002 et la Circulaire d'application du 7 janvier 2003. Sans répéter les détails de cette modification déjà largement expliqués dans le Courrier des médias du mois d'octobre 2003, on peut noter quelques éléments clés. Les patrons de presse n'ont plus la possibilité d'utiliser d'office une base de cotisations réduite à 70 % du salaire brut comme ils le faisaient jusque-là. Pour éventuellement continuer à cotiser sur le "brut abattu", ils doivent demander soit un accord de branche, soit un accord des représentants du personnel ou CE ou, à défaut, solliciter l'accord individuel de chaque journaliste. Et après cette consultation chaque journaliste doit pouvoir bénéficier du mode de calcul de son choix, sur 70 % ou sur 100 %. Les modalités de la consultation sont décrites dans le chapitre 4-2 de la Circulaire.

L'intérêt du passage de 70 % à 100 % du salaire brut soumis à cotisations dépend à la fois du salaire brut, du mode de rémunération (mensualisé ou à la pige) et peut-être du nombre d'années restant à cotiser pour la retraite. Vu la multitude des cas de figure, la consultation individuelle nous paraît la plus appropriée. Chaque journaliste doit avoir la possibilité de décider s'il souhaite ou non payer un peu plus chaque mois, et toucher un peu plus en fin du parcours professionnel.

Et pour s'y retrouver, voilà les réponses aux cinq questions clés pour comprendre le changement :

• Combien vais-je payer en plus ?

Pour les journalistes mensualisés dans les rédactions la différence se joue sur les trois cotisations salariales ("ouvrières") prélevées aujourd'hui sur 70 % du salaire brut : sécurité sociale maladie, veuvage et vieillesse. Leur taux cumulé pour les salariés varie entre 6,09 % (0,75 % + 0,10 % + 5,24 %) et 7,4 % (0,85 % + 6,55 %) selon les entreprises. Le passage des cotisations basées sur 70 % du salaire vers des cotisations basées sur 100 % du salaire, provoquera une baisse mécanique entre 1,83 % et 2,22 % du montant "net à payer" (pour les journalistes qui gagnent moins de 3 474 euros).

Exemple : pour un salaire brut de 2 432 euros (le plafond de la Sécurité sociale), le "surplus de cotisation" payé par le journaliste sera de 51 euros par mois, ce qui correspond au surplus maximal de cotisation. Pour les salaires inférieurs et supérieurs, le surplus de cotisation sera n'importe comment moindre.

• Le patron payera-t-il plus ?

Le patron bénéficiait jusque-là de cette même liberté de payer sur 70 % du brut, pour six cotisations différentes - contre trois pour le salarié. Plus exactement, les cotisations "patronales" maladie, veuvage et vieillesse, à un taux compris entre 19,36 % et 21,12 % selon les entreprises et le type de rémunération du journaliste (mensualisé ou salarié payé à la pige).

Mais en plus il payait sur le "brut abattu" plusieurs cotisations uniquement patronales, sans contre-partie salariale. On peut citer pêle-mêle les cotisations "construction" et "allocation logement", "taxe d'apprentissage", "accident de travail", "allocations familiales", les libellés sur les fiches de paie sont différents selon les entreprises. Leur taux de prélèvement tout confondu est entre 7,04 % et 10,57 %. Donc l'ensemble des cotisations patronales prélevées aujourd'hui sur 70 % du salaire, est compris entre 26,40 % et 31,69 %.

Exemple : pour un salaire brut de 2 432 euros, le "surplus de cotisation" payé par le patron sera de 217 euros ! En clair, le patron paiera beaucoup plus que le salarié (4,25 fois plus). Et cet argent ira renflouer les caisses sociales aujourd'hui mal en point.

• Quelle incidence pour ma retraite ?

On ne peut pas prévoir à l'avance le nombre d'années pendant lesquelles on va toucher la retraite. Aujourd'hui pour des personnes nées en 1943 le salaire de base est calculé sur 20 meilleures années, à partir de 2008 le calcul se fera sur 25 meilleures années pour tout le monde.

Pour y voir plus clair on va faire une simulation sur un salaire de 1 000 euros par mois, que l'on touchera pendant 25 ans. Quelle retraite va-t-il produire ?

Dans l'hypothèse des cotisations sur 700 euros (70 % du salaire), le montant des cotisations sera égal à 42,63 euros par mois, soit 511,56 euros par an. Et ce salaire produira une retraite mensuelle de base égale à 350 euros (environ 50 % de 700 euros), soit 4 200 euros par an.

Dans l'hypothèse des cotisations sur 1 000 euros (100 % du salaire), le montant des cotisations sera égal à 60,90 euros par mois, soit 730,80 euros par an. Et ce salaire produira une retraite mensuelle de base égale à 500 euros par mois, soit 6 000 euros par an.

Résultat : payer 219,24 euros de cotisations supplémentaires par an et pendant 25 ans, permet de toucher ensuite une retraite de base supérieure d'environ 1 800 euros par an.

Et d'où vient ce surplus de retraite ? Mais des cotisations patronales bien sûr ! Comme on l'a déjà vu elles sont plus de trois fois supérieures aux cotisations salariales. Donc il suffit d'accepter de payer un peu plus pour sa retraite pour que son montant augmente sensiblement grâce aux cotisations patronales.

• A qui profite la hausse des cotisations ?

A tous les journalistes dont la rémunération brute (salaire de base plus primes d'ancienneté) est inférieure à 3 474 euros par mois (22 788 F). Pourquoi 3 474 euros ? Parce que c'est à partir de ce salaire de base que le montant des salaires soumis à cotisations retraite, limité à 70 % du brut, atteint quand même le plafond de la Sécurité sociale (2 432 euros, ou 15 953 F).

Pour des journalistes qui gagnent en brut moins de 2 432 euros, le passage des cotisations basées sur 70 % aux cotisations sur 100 %, provoque une hausse immédiate de la retraite de base car désormais l'ensemble de leur salaire, et non seulement 70 %, sera pris en compte pour la retraite.

Pour des journalistes qui gagnent entre 2 432 et 3 474 euros en brut, la hausse de la cotisation et la hausse de la retraite de base seront inversement proportionnelles à leur salaire. Explication : dans cette tranche des salaires l'écart entre le salaire soumis à cotisations (à 70 % du brut) et le plafond de la Sécurité sociale, diminue avec l'augmentation du salaire. Donc plus on gagne et moins importante sera la cotisation supplémentaire, et moins important sera l'avantage du passage à 100 %, même si les deux sont toujours présents. Exemple (réel) : pour un salaire de 3 320 euros brut, le surplus de cotisation est seulement de 15 euros, et le surplus de retraite n'est pas très important - mais toujours supérieur au surplus de cotisation.

Enfin pour un salaire de 3 474 euros brut et plus, il n'y a pas de cotisation supplémentaire à acquitter et il n'y a pas de surplus de retraite à escompter.

• Et les journalistes salariés rémunérés à la pige ?

Pour eux l'intérêt du passage à 100 % du salaire soumis à cotisations est double. D'abord parce que la plupart ont des revenus salariés mensuels inférieurs à 2 432 euros. Tous les avantages du calcul sur 100 % comme décrit plus haut vont s'appliquer à eux entièrement.

Mais le passage à 100 % leur est encore plus favorable car aujourd'hui, en cas de maladie, les pigistes ne touchent aucun complément de rémunération des entreprises de presse qui les emploient ou sont exclus du maintien de salaire existant dans de nombreuses entreprises pour les salariés mensualisés. Un pigiste malade doit survivre avec seulement les indemnités journalières de la Sécurité sociale égales à 35 % (50 % de 70 %) de son salaire moyen - une misère ! Le passage aux cotisations à 100 % permettra aux journalistes rémunérés à la pige de bénéficier des indemnités journalières égales à 50 % du salaire.

En conclusion, demander par voie expresse de passer à une assiette de cotisations de 100 % du salaire brut revient à participer en actes à sauvegarder la pérennité des caisses de retraite et de Sécurité sociale, ce qui est sûrement tout aussi utile que de descendre dans la rue, mais ce n'est pas antinomique !

Alexis Nekrassov et Daniel Guerrier.