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SIPM, salariés d’Infopress

Les petits yeux de Big Brother

Paru dans Un autre futur n° 4

lundi 7 juillet 2003

Au coeur de la nuit, quand tout le monde dort ou presque, les salariés de Secodip décryptent la presse.

TITRE : Les petits yeux de Big brother

Les petits yeux de Big brother

En apnée chez Infopress, leader français en " veille de l'actualité "

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L'UBM, un outil Secodip

Au cœur de la nuit, quand tout le monde dort ou presque, les journaux, à l'encre encore fraîche, sont finement décryptés par le pôle information de Secodip. L'objectif : servir aux multinationales et aux institutions gouvernementales des revues de presses personnalisées et des synthèses de l'information, afin que leurs services de communication planifient leur plan média quotidien.

" Vous ne ratez jamais les informations à la radio ou à la télévision ? Vous entretenez un rapport privilégié avec vos quotidiens préférés ? Vous aimeriez être payé en cultivant votre passion pour l'actualité ? " C'est ainsi que Secodip, une filiale du groupe Taylor Nelson Sofres, recrute ceux qu'elle décrit, auprès de ses clients, comme " une équipe de véritables spécialistes de l'information à qui rien, ou presque, ne peut échapper ". En réalité, des salariés surdiplômés mais jetables, rémunérés à peine plus que le Smic, travaillant, bien souvent de nuit... Absence totale d'épanouissement et de perspectives professionnelles et méthodes de management inquiétantes.

Il faut croire qu'autrefois les entreprises privées et les institutions gouvernementales s'occupaient elles-mêmes, au sein de leurs services de communication, de ce que le jargon désigne sous l'expression " veille de l'information ". Comme dans bien d'autres secteurs, la tendance est désormais à la sous-traitance pour la fabrication des revues de presse. Trois entreprises se partagent le " marché ", livrant à leurs clients un florilège personnalisé des contenus médiatiques : Presse +, l'argus de la presse et le Pole Information de Sécodip.

Sécodip revendique près de deux cents clients prestigieux. Parmi eux, on trouve notamment Coca-Cola, Nestlé, MacDonald's, le service d'information du gouvernement, le ministère de la Justice, la direction général de l'Armement (DGA) ou encore la CFDT... Les services fournis vont de la surveillance à la synthèse. " Sécodip explore votre monde pour éclairer vos décisions ", affirme un slogan. En permanence, des salariés écoutent la radio, regardent la télévision, scrutent les dépêches AFP ou décortiquent les journaux (et Internet depuis peu...). Si une information jugée urgente apparaît, le client est immédiatement averti. Par exemple, si José Bové se fend d'une déclaration polémique, le ministère de l'Agriculture est immédiatement mis au fait. Les articles et extraits audiovisuels sont numérisés, triés par catégories et expédiés instantanément aux clients concernés. Des synthèses sont rédigées. Le produit doit être livré tôt le matin. Les effectifs étant à la baisse, il faut faire de plus en plus vite. A la nervosité induite par le travail de nuit, s'ajoute inévitablement le stress dû à l'activité elle-même... sans parler de la mauvaise conscience inhérente au fait d'épier les médias pour le compte de Nicolas Sarkozy ou Coca-Cola !

A l'origine du grand pôle information qui réunit 220 salariés à la Défense, on trouve une petite entreprise rachetée par Sécodip il y a quelques années. Jusqu'alors, l'ambiance y était plutôt familiale. Mais, depuis que la petite structure est devenue grande, les méthodes de travail ont été si profondément bouleversées que Sécodip apparaît comme un véritable laboratoire des nouvelles conditions de travail que partout on veut nous imposer.

Une organisation pernicieuse du travail

Ces deux dernières années, nous avons assisté à un véritable renforcement des hiérarchies. Des postes de responsables ont été crées là où, jusqu'à présent, il n'y en avait pas - et où, d'ailleurs, tout fonctionnait très bien ! Au point qu'il y a désormais presque plus de responsables que de salariés " de base ",. Certaines situations frisent même l'absurde, avec des " responsables " d'un seul salarié, voire de personne. Les conséquences de cette réorganisation ne tardèrent pas. Quand, dans une équipe, l'un des membres est promu chef, les rapports changent brusquement. On passe d'un travail collectif et solidaire à une ambiance où l'individualisme et les coups bas priment. Même si le qualité du travail en pâtit, la direction est satisfaite car les salariés sont divisés.

Parallèlement à cette division du personnel par le recours à une hiérarchisation tous azimuts, la réorganisation du travail s'est articulée sur une spécialisation toujours plus accrue des tâches. Il y a trois ans, le salarié gérait les différentes étapes de la production, et même la relation avec le client. Aujourd'hui, il se voit astreint à des tâches hyperspécialisées. D'un statut général " chargé d'études-rédacteurs ", une pluralité de statuts sont nés (commercial, opérateur de saisie, lecteur, logisticien, etc.). Chez Sécodip, on n'essaie pas de retenir le salarié en lui évitant l'ennui et la monotonie. Tout au contraire ! Le mythe de la start-up où l'on choie le salarié pour le retenir, à base de massages, moquette moelleuse et autres douceurs est bien loin.

Pour comprendre cette " nouvelle " organisation du travail (inspirée du taylorisme, qui date du début du XXe siècle !), il faut s'intéresser aux méthodes de management récemment mises en place par la direction. Régulièrement, tous les chefs d'équipes sont invités à se rendre à un séminaire qui peut durer plusieurs jours. Bien souvent, dans un manoir ou un lieu plutôt isolé, il s'agit de se retrouver entre cadres pour partager des activités sportives et des conférences sur la gestion des salariés. Un responsable, qui a depuis quitté l'entreprise, est revenu sidéré de son premier séminaire de management. Le peu de recul de ses collègues présents au stage l'a particulièrement inquiété. Il relate l'intervention d'un psychologue du travail, leur expliquant d'un ton grave que les employés sont comme des enfants : " Quand ils arrivent dans l'entreprise, ils sont curieux et posent des questions. Mais, au bout de deux ans, ils acquièrent une certaine autonomie, ce sont des adultes qui deviennent critiques et aigris. "

Vu sous cette perspective, le turn-over record (rares sont les salariés qui restent plus d'un an dans l'entreprise) n'apparaît plus comme une fatalité mais comme un choix délibéré de la part de la direction. Elle profite du vaste réservoir de jeunes surdiplômés qui rencontrent des difficultés pour trouver un emploi. Depuis trois ans, le salaire d'embauche baisse malgré l'augmentation du coût de la vie et les vastes profits de Sécodip (40 millions de francs de bénéfice l'année dernière, soit 750 E - 5000 F - par mois et par salarié). Les augmentations de salaire individuelles priment sur les augmentations collectives et annuelles, en dehors de toute équité puisqu'elles se concentrent sur seulement 10% de la masse salariale. Ces derniers mois, l'entreprise, qui n'avait jamais eu recours à ce genre de pratiques, a licencié trois salariés et agite déjà auprès des délégués du personnel un possible plan social en 2003.

Des mouvements de revendications biaisés

Pas facile de s'organiser dans une entreprise où on passe sans rester, où les cadres sont presque plus nombreux que les non-cadres, quand tout est fait pour vous en dissuader. Un salarié raconte que lorsqu'il a animé un mouvement social au début de l'année 2002, le responsable a ouvert son dossier pour lui montrer les lacunes dans l'accomplissement de son travail, cela afin de le mettre en garde et de lui suggérer de ne plus se faire remarquer. La pratique est courante. A chaque fois qu'un responsable repère une erreur commise par un salarié, il la retranscrit dans un dossier qui sera utilisé lorsque ce dernier deviendra indésirable. L'objectif n'est pas d'améliorer la qualité de son travail, mais bien d'utiliser ses inévitables erreurs pour se débarrasser d'un indésirable, au cas où l'employé rechignerait ou s'il se prenait à vouloir rester trop longtemps dans l'entreprise...

Depuis 1997, Sécodip a connu quelques mouvements sociaux d'ampleur relative. En 1997, une augmentation de 25% du salaire est unanimement réclamée. La négociation se déroule entre la direction et les plus anciens salariés. Au final, ces derniers reçoivent une prime de façon confidentielle et seront promus chefs quelques mois plus tard. En mai 2000, le personnel se met en grève afin d'obtenir une reconnaissance du travail de nuit et une augmentation des salaires. Les négociations s'effectuent en huis clos entre la direction et des personnes désignées par vote. Après une journée de grève, les salariés acceptent les minces concessions de la direction : une prime de transport de 800 F pour les travailleurs de nuit et un intéressement aux bénéfices (plus avantageux fiscalement). Six mois après, les leaders et les non-grévistes ont presque tous eu des promotions. Un an après, la prime d'intéressement est intégrée au salaire... excepté pour les nouveaux embauchés !

En février 2002, un début de grève pointe le bout du nez pour réclamer que la direction s'engage à verser la prime de transport sur douze mois, et non onze. Une augmentation du salaire d'embauche est aussi demandée. La direction consent une augmentation de 300 F pour les deux derniers embauchés, et le délégué syndical CFDT s'engage par écrit à ne plus revendiquer sur le salaire d'embauche. Dans un autre service, on se bat pour imposer une grille des salaires. La direction accepte et en fournit une alléchante qui s'étale sur deux pages. A la fin, une clause précise que " le franchissement des étapes sera soumis à une évaluation qui validera le passage au seuil suivant ". Pour espérer une augmentation prévue par la grille, loyauté et corvéabilité sont donc de rigueur. Et c'est le principe même de la grille de salaire, censés assurer une évolution à l'ancienneté ou à la qualification, donc selon des critères objectifs non soumis à l'arbitraire patronal, qui est remis en cause. A quoi sert-elle, en effet, si, au bout du compte, ce sont toujours des critères subjectifs élaborés par le patron qui prévalent ?

Les grosses centrales sont toutes représentées dans l'entreprise, mais finalement peu présentes dans le cœur des salariés. La CFDT doit réunir une dizaine de salariés, tous responsables, et se borne grosso modo à réclamer des sandwichs frais dans les distributeurs et une augmentation du montant du colis de Noël. La CGT, avec une seule représentante, soulève des problèmes plus pertinents mais peine à rallier les masses. Pourtant, malgré la faible dangerosité que présentent ces petites sections syndicales, la direction préfère prévenir que guérir. Il y a un an, la CGT voit ses tracts arrachés par une cadre et son accès auprès des salariés de l'entreprise restreint. Ces derniers, dont la moyenne d'âge ne doit pas dépasser 28 ans, sont d'ailleurs très méfiants envers les syndicats et semblent refuser toute " étiquette ", sans pour l'instant avoir trouvé une méthode alternative de résistance efficace.

A l'initiative de quelques salariés, il y a des tentatives de mettre en place une section inspirée de l'anarcho-syndicalisme et du syndicalisme révolutionnaire. Le turn-over conséquent, les barrières géographiques mises en place par la direction entre les différents services et une hiérarchie forte et répressive n'ont pour l'instant pas permis l'émergence d'une structure solide capable de résister aux récents bouleversements.

Lors des élections professionnelles, en octobre, un tract signé CNT a quelque peu bousculé le ronron habituel. Les exemplaires s'en sont multipliés, malgré les tentatives de la direction pour éradiquer le fauteur de trouble. Le non-dit enfin exprimé tranchait en effet nettement sur le discours banalisé des autres syndicats en campagne. Quelques salariés non syndiqués ont alors décidé de se présenter au second tour, puisqu'il n'y avait pas suffisamment de candidats au premier (!). Ils ont été élus. D'autres s'interrogent. Il est difficile de dire, aujourd'hui, si cela pourra déboucher sur une organisation capable de résister à la pression de la direction. Ce qui est certain, c'est que seuls les salariés de l'entreprise peuvent, enfin, changer le cours des événements.

SIPM, salariés d'Infopress

 

L'UBM, un nouvel outil sécodip.

L'année dernière, Sécodip a ajouté un nouveau baromètre à son panel d'outils pour scruter l'information. Le baromètre UBM (comprenez " unité de bruit médiatique ") vise à mesurer la place de différents concepts préalablement ciblés dans tous les médias confondus. Si l'UBM permet des constats sociologiques intéressants (on remarque que, avant les élections présidentielles, les thèmes " insécurité " et " délinquance " remportent dix fois fois plus d'unités de bruit médiatique que les thèmes " chômage " et " emploi "), il est malheureusement utilisé à des fins moins avouables. Le seul client conséquent de cet outil récent est aujourd'hui le service d'information du gouvernement, qui l'utilise pour recentrer ses " plans de communication " et affiner le discours de ses membres. Par exemple, avant de prononcer sa grande leçon à l'assemblée nationale, le responsable de la communication de Jean-Pierre Raffarin demande à ce que soit contrôlé par l'UBM certains concepts (en l'occurrence : " dialogue social ", " décentralisation ", " Europe ", " Justice ", " Education "...). Chaque jour, il dispose d'une image des retombées et peut identifier de quelle façon l'information le concernant a été traitée, dans son ensemble ou par catégorie de médias (radio, télévision, PQN, PQR...Etc...). Et ainsi savoir dans quel sens les médias doivent être " travaillés ".