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Témoignage de Pierre

mardi 12 juin 2012, par Greg

Je m’appelle Pierre. Je suis AVS-I en collège et en CAP auprès de deux jeunes ne rencontrant pas les mêmes handicaps. Le texte qui suit a été écrit par Jordane, 14 ans, dyslexique, élève en 4e. Je l’accompagne depuis décembre, en classe, assis à côté de lui. Son témoignage, dans la première partie, il l’a écrit seul. Je lui avais proposé cet exercice, qu’il a accepté immédiatement. Les résistances furent longues pour autant. Je lui avais proposé plusieurs questions auxquelles il était libre d’apporter ou non de réponse, dans la longueur qu’il souhaitait. Mon temps de présence et le rythme scolaire ne nous ont permis d’en rediscuter réellement que deux fois. La seconde fois, il avait oublié chez lui son texte, et a profité d’une heure de permanence, le matin, pour le réécrire seul. Dans l’après-midi, j’ai tenté, oralement, d’élargir un peu son témoignage. J’ai retranscrit à la suite des bouts de cette conversation. Cette retranscription est issue d’une prise de note où ce qu’il disait m’importait moins comme témoignage que comme tentative de mettre des mots sur ses difficultés. Elle a donc été très parcellaire. L’écoute comptant alors bien plus que la perspective de l’article pour la revue. Je n’y ai pas inscrit tous les silences, les « Je ne sais pas », « bon, on a fini », etc., qui entrecoupaient chacune de mes questions. Je n’ai pas noté non plus tout ce que son corps exprimait d’angoisse, de tensions et de résistances. On a arrêté la conversation au moment où il devenait trop prégnant que je risquais de l’enfoncer dans une souffrance qu’il garde en lui, dont il ne parle pas.

J’aurais aimé qu’il réussisse à dire un peu plus, notamment de lui-même. Peut-être pour une moche affaire de gratification personnelle. Qui importe aussi, évidemment, mais trouve ses limites dans les attentes surinvesties que l’on peut facilement développer au cours de l’accompagnement. Frustration de ne pas voir l’enfant avancer aussi vite qu’on le voudrait. Ne pas parvenir à comprendre son altérité et lui reprocher de ne pas tenir compte de nos propres exigences, envies, manières d’être. Bref, toutes les difficultés quotidiennes toujours recommencées des boulots de la relation. Dire cela ne me semble pas anodin, et moins encore évident. La conscience de ces limites est le point même d’équilibre sur lequel ils nous faut nous tenir, quotidiennement, pour que cet accompagnement ne soit pas une simple activité de dactylos, mais puisse, possiblement, porter d’autres fruits, et l’amène, en fin de compte, à augmenter sa confiance en lui, et, du coup, à développer son rapport à l’autre.

Texte retranscrit et corrigé d’après l’écrit de Jordane :

Je m’appelle Jordane, je suis en 4e. Je suis dyslexique. Je confonds beaucoup les lettres et quand je lis c’est la même chose. J’ai des difficultés en technologie, maths et anglais. Pour les profs ils sont sympas mais les difficultés sont en dyscalculie. Je dispose d’un AVS. Il m’apporte beaucoup d’aide. Il faudrait plus de temps avec lui. Mes camarades trouvent ça bizarre parce que pas la chance d’avoir un AVS. Je ne parle pas de mon handicap.

Prise de notes lors d’une discussion sur son témoignage :

Le handicap ça se finit jamais.

L’année dernière je n’avais pas d’AVS, et c’était difficile de demander de l’aide à mes camarades parce qu’ils ne comprenaient pas mes difficultés. Des gens sont venus voir quelles étaient mes difficultés. J’étais très stressé. Ca ne m’a pas choqué d’apprendre que j’avais un handicap. Je me suis dis j’ai des difficultés, je les affronte et voilà. L’orthophoniste m’avait déjà dit que j’étais dyslexique. C’est la première fois que j’ai un AVS. □