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Rencontre avec des étudiants palestiniens

vendredi 16 janvier 2009, par Greg

Le jeudi 20 novembre, à l’occasion d’une rencontre nationale des syndicats CNT, nous avions le plaisir
de recevoir au 33, rue des Vignoles, une délégation de quatre étudiants palestiniens du camp de Deisheh à Bethléem, en tournée en France dans le cadre de la semaine de solidarité internationale.
Une occasion pour nous de les interroger sur la situation des étudiants palestiniens aujourd’hui.

Rencontre avec des étudiants palestiniens

Nous sommes heureux de vous avoir parmi nous. Pour commencer, pouvez-vous nous parler de la situation actuelle pour un étudiant palestinien ?

La situation des étudiants palestiniens est la même que celle de son peuple. Nous souffrons depuis soixante ans, mais nous n’avons jamais cessé de résister pour la libération de la Palestine.
Les étudiants sont passés par plusieurs étapes, la seconde intifada a été la plus importante. Depuis, le sommeil de l’opinion publique internationale est une sorte de soutien à l’occupant. Cependant, Israël n’a pas réussi à aller jusqu’au bout de sa politique, il n’a pas réussi à tuer la résistance du peuple palestinien qui tient et qui continue de sauvegarder sa culture et son identité.
Aujourd’hui les médias mettent dos-à-dos les deux situations et rendent le conflit flou. Il est donc important que des missions comme celle de la CNT viennent voir de leurs propres yeux la situation réelle de la Palestine.
La plus grande force de la résistance c’est son identité et son unité face à l’occupant. C’est ce que les Israéliens essaient de détruire au jour le jour, puisque lorsque l’on n’a plus d’identité, il n’y a plus de raisons de s’accrocher à une terre.


Et l’université, comment fonctionne-t-elle ?

La réalité universitaire à Bethléem est la même partout ailleurs en Cisjordanie. À Bethleem, il y a trois universités et une en construction.
Dans les trois, toutes les filières ne sont pas présentes. En Palestine, comme dans les autres universités de Cisjordanie, cela pose un problème : une fois leur bac en poche les étudiants doivent choisir une université en fonction des filières. Or l’université coûte cher, il faut avoir les moyens de payer et le plus souvent l’encerclement des villes et les check points empêchent les déplacements.
Par exemple, à Bethleem il y a seulement deux sorties, toutes avec des check points. Chaque passage est donc difficile, surtout pour les garçons (étudiants de surcroît) qui sont des cibles privilégiées de l’armée israélienne.
À la sortie du bac, l’université de Bethleem ne me proposait pas la filière que je souhaitais faire, j’ai donc dû m’orienter vers une autre filière, pour ne pas avoir à subir les humiliations et difficultés de déplacement en dehors du camp.


Pourquoi le pouvoir israélien tient-il tant à vous empêcher d’étudier ?

La jeunesse palestinienne est une cible prioritaire de l’armée Israélienne : il y a régulièrement des barrages qui entravent l’accès aux universités, des arrestations...
Les Israéliens font tout pour que les Palestiniens ne puissent pas accéder à la connaissance et au savoir, parce que c’est une arme supplémentaire pour se défendre et ils le savent.
Dans les familles, l’accès à l’université est une priorité, on s’organise donc pour que dans chaque famille au moins une personne puisse y accéder. Certains travaillent pour permettre aux autres d’aller à la fac.
Seulement, comme beaucoup de jeunes, nous sommes très nombreux à avoir fait de la prison et nos déplacements sont donc devenus très difficiles, voire, impossibles en dehors de Bethléem, du coup on choisit des filières par défaut, pour ne pas avoir à aller dans une autre fac. Il faut continuer des études malgré tout.

Comment parvenez-vous à vous organiser ?

Dans les facs il y a des syndicats étudiants qui permettent de s’organiser un peu. Ils ont un double objectif :
– aider à améliorer la situation et la vie étudiante ;
– réfléchir aux moyens d’actions et de résistance. 
En ce qui concerne la vie étudiante, il y a une réalité de la situation de vie palestinienne qui n’est absolument pas prise en compte par l’administration de l’université. Il y a d’abord certaines filières qui sont menacées de suppression ou qui ne sont pas présentes partout (par exemple le droit). Ensuite la question de l’assiduité. Or tout le monde sait que se déplacer est extrêmement difficile, que parfois il n’est même pas possible de quitter son camp ou son habitation. Seulement l’université n’en tient pas compte, et pénalise même les étudiants qui arrivent en retard ou n’arrivent pas à se présenter à un examen à cause d’un check point.
Pourtant il y a souvent des problèmes à cette période, l’armée le sait et nous bloque volontairement. Il faut parfois se présenter à 2 h du matin au check point pour espérer arriver à 8 h à la fac de Jérusalem (qui est à 15 minutes) par exemple.
Les syndicats se mobilisent beaucoup sur la question des fermetures de filières et aident les étudiants en difficultés avec l’administration. Ils organisent aussi des festivités et débat autour de la question palestinienne : l’occupation, la résistance...

Que représentent les syndicats dans la fac ?

C’est une spécificité en Palestine, il y a un taux très fort d’étudiants syndiqués, presque tous le sont, et il est aussi important chez les hommes que chez les femmes. 90 % des étudiants ont un engagement variable mais important.
Toutefois, ce qu’il faut comprendre, c’est que les gros syndicats sont tous liés à des partis politiques, et dès que l’on est dans un syndicat, on est fiché par l’armée. Même s’il n’y a pas de danger pour Israël, on devient des cibles et on est exposé à la répression et à la prison. Cette répression vient aussi de l’Autorité palestinienne surtout durant les élections étudiantes : l’an dernier, tous les membres d’un syndicat ont été arrêtés.
Dans chaque fac, il y a un conseil des étudiants, élu tous les ans, dans lequel se retrouvent les différents syndicats : Fatah, Hamas, djihad islamique et FPLP.
Nous arrivons à débattre tous ensemble malgré les différences, car il est important de rester unis. Le syndicat le plus important est la jeunesse du Fatah.

Y a-t-il eu une évolution de l’administration des universités suite aux luttes menées ?

Depuis toujours il y a des conflits avec l’administration. L’administration est complètement coupée de la réalité des étudiants. Les syndicats doivent se mobiliser là dessus tous les ans, il y a souvent des conflits et des grèves.
Pour les Palestiniens, étudier est un devoir donc selon l’administration il n’y pas de raisons valables pour être absent. Les syndicats se battent pour que la réalité palestinienne soit prise en compte et permette justement à tous d’y accéder.

Combien coûte une année universitaire ?

Il y a deux types d’université en Palestine : privées et publiques. Mais même dans le public tout est payant. Il y a d’abord les frais d’inscription qui s’élèvent à 400 dollars par an, puis chaque « unité d’enseignement » choisie s’achète. En gros il faut compter 1 000 dollars par an en moyenne pour une année universitaire.
La Palestine compte 59 % de chômage, c’est un budget conséquent pour les familles, donc beaucoup d’étudiants sont obligés de travailler pour payer leurs études.

Existe-t-il un système de bourses ou d’aides ?

Oui, ça existe, mais comme partout en Palestine le problème ce n’est pas l’argent mais la répartition faite par l’Autorité palestinienne.
Il y a beaucoup de dons qui sont faits à la Palestine (international, pays arabes), mais seulement 10 % sont dédiés à l’université.
Avant l’Autorité palestinienne payait 70 % des frais de scolarité, aujourd’hui elle ne participe qu’à 30 % et seulement une minorité en bénéficie. Les aides sont distribuées en fonction de l’appartenance politique des étudiants, surtout depuis les problèmes avec le Hamas. Le conseil étudiant a dû intervenir pour que les jeunes de Fatah les refusent afin que ces aides soient mieux réparties.

Est-ce que, comme en France, certaines filières « non rentables » sont en danger ?

Le problème est différent, la question ne se pose pas en terme de rentabilité mais plutôt en terme de « dangerosité ». Par exemple, les sections de chimie ont été fermées, pour des raisons de « sécurité » selon Israël.
Il n’existe pas non plus de filière de sciences politiques ou sociales par exemple, et celles d’histoire sont axées sur l’histoire récente. Dans les programmes on ne parle jamais d’occupation mais de « contrôle Israélien » par exemple. Il est difficile d’avoir accès à l’histoire du processus, c’est très axé à partir d’Oslo.
Il faut savoir que de toute façon, tous les programmes et contenus de cours sont contrôlés et donc « apolitiques ». C’est à nous, étudiants, de remettre le débat politique au cœur du cours.
Petit à petit il est possible qu’il y ait des filières qui ferment pour des questions de rentabilité, mais à dire vrai, il n’y a pas d’investissement en Palestine alors on ne peut pas dire qu’il n’y a pas de filières plus rentables que d’autres !
Pour ceux qui étudient en dehors de Cisjordanie, les difficultés existent aussi : pour les Palestiniens qui vivent en Israël, certaines filières sont interdites, et les autres sont enseignées en Hébreu. Pour les diplômes, ceux qui partent étudier à l’étranger ne sont pas reconnus à leur retour.

Quelle est la position des personnels enseignants face à cette situation ?

Les enseignants sont aussi victimes de la répression, et ils ont peu de marge de manœuvre. L’administration a un pouvoir important sur eux, ils peuvent se faire licencier très facilement. Il y a souvent des grèves sur les conditions de travail, leur soutien aux luttes étudiantes est plutôt symbolique. Ils essaient de nous aider en période d’examen par exemple, lorsque l’armée nous retient au check points. Si on ne se présente pas à l’examen, on est obligé de le repasser l’année suivante alors on essaie de trouver un arrangement avec l’enseignant, mais ce n’est pas toujours possible.


Vu le contrôle exercé sur les contenus et les difficultés rencontrées, existe-t-il des alternatives éducatives en Palestine ?

Il n’y a pas de système éducatif alternatif, cependant il y a beaucoup de choses qui sont faites dans les centres sociaux par des profs ou des étudiants issus des camps : cours du soir, aide aux devoirs, activités diverses... Ici ce sont les comités populaires qui contrôlent, l’autorité palestinienne n’a pas de pouvoir. Avec la diminution de la présence internationale (dispensaire, école...), il a bien fallu que les habitants des camps s’organisent. Chaque année un comité populaire (issu d’un parti) est élu et gère la vie sociale du camp : ainsi tout le monde travaille ensemble.

Propos recueillis par Alice

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