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Questionnaire à choix tactiques

jeudi 19 mai 2011, par Greg

Par Grégory Chambat, CNT Éducation 78

Sensibiliser et mobiliser les collègues à travers un questionnaire sur les compétences et le socle commun, l’idée peut paraître saugrenue. Stages de « formation » et propagande ministérielle usent et abusent du procédé. Raison pour laquelle, peut-être, la démarche exposée ici a pu susciter des réticences de la part de plusieurs membres du comité de rédaction de N’Autre école et d’Émancipation. Arguments recevables et pertinents. Mais, entre le sondage manipulateur ou la stratégie d’évitement qui dédouane d’une prise de position claire, l’expérience entendait porter le débat dans les établissements et impliquer les collègues dans une réflexion à travers une contribution à ce numéro. Pari ambitieux – et risqué – mais, comme l’a écrit un des participants, dans les moyens dont nous pouvons disposer collectivement pour nous mobiliser, il y a le fait « d’en parler tous ensemble ».

Résultats questionnaire

Nous avons soumis le questionnaire aux enseignants de trois collèges et aux réseaux des revues respectives. L’idée étant de privilégier la parole des collègues et non uniquement celle des « militants », même si l’en-tête du questionnaire affichait sans ambiguïté qui était à l’initiative de la démarche.

La grande majorité des réponses émane donc de professeurs de collège (et de quelques instituteurs). La plupart d’entre eux se disent déjà impliqués dans une démarche d’évaluation par compétences (66 %, dont la moitié depuis plus d’un an – et donc pas seulement sous la pression de l’obligation de remplir les livrets pour les élèves de 3e depuis cette année).

Paradoxalement (ou logiquement ?) l’hostilité à ce mode d’évaluation domine : 55 % de « réticents » contre 40 % de « plutôt favorables ». L’analyse de cette défiance et de ses motivations, pour des collègues qui pourtant pratiquent cette démarche, est donc source d’enseignements.

Comment est perçue cette réforme ?

Socle commun et compétences sont considérés comme des questions relevant de l’évaluation, de la pédagogie et des pratiques professionnelles (respectivement 48 %, 25 % et 14 %, soit 87 % des réponses) alors qu’une définition plus « politique » de la réforme ne recueille que 21 %. Mais peut-être manquait-il une référence plus explicitement syndicale associant mise en place du socle et « casse de l’école ».

Cette appréhension en terme pédagogique est confirmée par une autre série de réponses : les compétences sont perçues à égalité comme une référence issue de la recherche pédagogique (48 %) et un transfert des méthodes de management inspiré du monde de l’entreprise (48 %). Le travail d’explicitation du concept et de ses implications libérales peine donc à convaincre les collègues.
L’analyse « idéologique » ne se retrouve pas non plus dans les critiques formulées à l’encontre de l’apprentissage par compétence : quand 81 % des personnes interrogées mettent en avant la surcharge de travail, elles ne sont que 14 % à considérer qu’il y a remise en cause des finalités de l’école. C’est donc une forme de pragmatisme à partir d’un questionnement centré sur les logiques pédagogiques et professionnelles qui ressort des réponses.

À quoi ça sert ?

Nous avions posé deux questions « naïves » sur la finalité de cette réforme : va-t-elle réduire les inégalités ? Va-t-elle renforcer la démocratisation de l’école ? De tout le questionnaire, c’est sur ces deux questions que se dégage le consensus le plus clair : 80 % pensent qu’elle est inefficace pour démocratiser l’école et 84 % qu’elle ne réduira pas les inégalités… On s’interroge donc sur les objectifs de ce vaste chantier… Et l’idée était aussi d’amener les collègues à s’y intéresser !

En revanche, l’intérêt de la réforme pour la gestion administrative et le renforcement des pouvoirs hiérarchiques est bien perçu : 25 % pensent que les compétences ont comme objectif d’améliorer le travail de l’administration (et seulement 14 % pensent qu’elles améliorent celui des élèves). 7 % trouvent qu’elles vont faciliter le travail des enseignants. Pour un tiers des collègues, l’évaluation vise avant tout à standardiser les méthodes d’évaluation et d’apprentissage.
Vont-elles alors améliorer l’apprentissage en classe ? Un seul collègue en est convaincu ! En revanche, elles peuvent faciliter la communication avec les élèves (48 %) et affiner l’évaluation (48 % – par ou malgré une standardisation des apprentissages : 25 %). Quant au rôle dans le dialogue avec la famille, seuls 22 % pensent qu’il en sera facilité.

Alors comment évaluer ?

Un enseignement intéressant du questionnaire est l’ébauche de réflexions sur les méthodes d’évaluation : ni la note chiffrée sur 20 (jugée la plus efficace pour 22 %) ni l’évaluation par compétences (préférée par 37 %) ne sont finalement pertinentes. C’est sur cette question que la réponse « autre » est quasiment majoritaire (40 %), signe manifeste que le débat est ouvert et important.

... et comment résister ?

Collectivement ou individuellement, nous avions posé la question des manières de s’opposer à l’application de la réforme. 11 % se déclarent favorables à une application en l’état « conformément aux instructions officielles » ; l’absence d’adhésion est donc flagrante, y compris dans les 40 % de collègues « plutôt favorables » à la réforme.
Si 79 % des collègues interrogés se déclarent prêts à refuser son application en l’état, comment s’opposer concrètement ? 6 % se positionnent pour un refus individuel total ou partiel, mais ils sont trois fois plus nombreux à l’envisager collectivement. Sans surprise, c’est là que l’écart entre positionnement collectif et positionnement individuel est le plus marqué.

Ce qui séduit le plus, c’est une position intermédiaire, entre « aménagement » et « détournement » : 40 % pour quelques arrangements entre amis, 25 % pour une résistance passive (ou active !). C’est aussi dans le corps de ceux qui veulent aménager individuellement le socle qu’on trouve ceux qui sont prêts à basculer pour un boycott total mais collectif.

Quelques pistes d’action sont proposées : remplir le livret en conseil de classe pour impliquer l’administration dans cette tâche fastidieuse, gérer collectivement l’évaluation, évaluer de manière superficielle ou tronquée, adapter le système aux pratiques et non l’inverse, organiser des débats, en parler collectivement… ce qui manque visiblement.
Résignation, désillusion ou mobilisation ?

Le faible nombre de réponses à l’échelle de la profession invite à la plus extrême prudence. On pressent que les positions des plus fervents opposants aux compétences ne sont pas partagées par les collègues, que le travail d’explication est devant nous mais qu’il peut s’appuyer sur un besoin d’information.

La lecture du questionnaire offre-t-elle des pistes ? Un résultat recueille une quasi-unanimité (faisant donc consensus entre les convaincus et les réticents, les pratiquants et les non-convertis, les opposants et les arrangeants…), c’est celui de la surcharge de travail (81 %, très loin devant la menace d’une baisse des exigences : 29 %). Les collègues abordent la question de façon pragmatique et concrète, plus que de manière idéologique. N’est-ce pas sur ce levier que nous devons peser pour mettre en avant à la fois les finalités cachées de cette réforme et la promotion d’un autre modèle pédagogique ? ■

Merci aux collègues qui ont pris quelques minutes pour nous aider et contribuer à notre réflexion pour ce numéro. Les résultats complets du questionnaire sont en ligne sur le site de la revue N’Autre école.