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Prendre en compte le contexte

samedi 18 janvier 2014, par Greg

Claire et Sab sont toutes deux formatrices pour adultes de l’association Alpes (Association lyonnaise
de promotion et d’éducation sociale) qui « a pour but la promotion sociale et professionnelle
d’une population défavorisée, par des actions éducatives et socio-culturelles, notamment alphabétisation, préformation, insertion professionnelle ». Elles travaillent au « pôle Entreprises » et mettent en place
des actions de formation en direction des salarié-e-s. Sab travaille, de plus, cette année
avec des adolescent-e-s décrocheurs-euses et, à l’occasion de sa thèse sur le français langue
de scolarisation, elle a pu observer les processus langagiers mis en œuvre dans une école primaire…

En ce qui concerne le langage, quels sont les objectifs de l’ALPES et les démarches principales que les formatrices et les formateurs mettent en place ?

Les problématiques d’apprentissage des personnes formées à l’Alpes sont diverses. Dans notre jargon, on dit :

– les « FLE » : le français n’est pas leur langue de scolarisation ;

– les « alpha » : les personnes n’ont pas ou très peu été à l’école dans leur pays d’origine ;

– les personnes en situation d’illettrisme : les personnes ont été scolarisées en France plus de cinq ans mais ont des lacunes dans les savoirs de base : lire, écrire, calculer, raisonner, savoir se repérer dans le temps et l’espace.

L’objectif de la formation est que le-la stagiaire puissent évoluer dans son contexte de vie.

La formation peut être demandée par des entreprises et par les salarié-e-s. Dans tous les cas, la démarche de l’Alpes pour répondre aux besoins des stagiaires est de partir des personnes dans leur contexte (leur quartier, leur situation de travail, leur vie quotidienne, leurs parcours personnels), puis en fonction des besoins exprimés, des situations de blocage, la formation est réfléchie et mise en place.

On voit que la prise en compte du contexte est essentielle. Comment cela se passe-t-il concrètement ?

D’abord, des entretiens individuels sont mis en place qui permettent d’élaborer des objectifs pour chacun-e. Ensuite un-e formateur-formatrice va parfois observer le poste de travail du futur stagiaire pour connaître le contexte dans lequel il ou elle évolue et pour appréhender les documents et les situations dans lequel il-elle a besoin de communiquer tant à l’oral qu’à l’écrit. À partir de là, le/la formateur-formatrice met en place une formation collective qui doit prendre en compte les besoins de chacun-e.

Les temps de formation sont également construits de cette manière. Très souvent, on part de la verbalisation des stagiaires sur un sujet donné et on les fait expliciter.

Par exemple, si on a décidé de travailler sur comment on rend compte d’un événement, d’une situation, on va demander aux personnes quand elles sont amenées dans leur vie à raconter un évènement, à qui et pourquoi. Et dans ces situations, de quoi ont-elles besoin ? De quels types d’infos ? De quel lexique ?

Ainsi, on part des représentations des stagiaires dans le but de les valoriser et de s’appuyer sur leurs acquis ce qui permet de donner du sens à la formation et que les stagiaires s’y reconnaissent. Cette démarche s’inspire du livre Le Maître ignorant de Jacques Rancière. Le principe est d’inverser le rapport maître-élève et de partir du savoir de l’élève, d’en faire la base de l’apprentissage. Le savoir n’est donc plus dispensé par le maître, d’habitude considéré comme l’expert. Dans ce cas, c’est le/la stagiaire qui est l’expert, et le maître lui fournit simplement des outils. Comme le formateur-formatrice ne détient plus le savoir, il-elle ne peut plus calquer ses représentations et faire du « clé en main » sans prendre réellement en compte les stagiaires et leurs besoins.

D’après vous en quoi votre approche du langage est-elle différente de celle de l’apprentissage du français langue scolaire ?

Le français enseigné à l’école est l’héritier direct des classes sociales les plus dominantes. La langue dispensée dans ce contexte véhicule une manière de s’exprimer, d’être, de la classe dominante.

Le fossé se creuse entre ceux qui apprennent la « langue dite légitime » qui est parlée à la maison et qui est la même que celle de l’école et ceux qui doivent apprendre une autre langue que la leur : une langue implicitement illégitime.

En partant des acquis des apprenant- e-s et en prenant en compte le sujet apprenant en tant qu’individu, notre approche s’oppose à l’idée qu’il y aurait des groupes « homogènes », des groupes « de niveau ». Les groupes sont toujours hétérogènes et il faut en faire une force.
D’autre part, il faut appréhender le langage dans une dimension globale. La langue permet de conceptualiser le monde qui nous entoure et donc, en partant de l’expérience des stagiaires, nous pouvons « construire la langue » dans un principe de négociation du sens.

Quels seraient les pistes pour l’école ?

La prise en compte du contexte des apprenant-e-s est primordiale. Ceci permet de prendre conscience des spécificités du public. Il faut travailler à se décentrer de son appartenance sociale et culturelle en se questionnant sur les élèves et leurs stratégies d’apprentissage.
Par exemple, il serait intéressant de savoir quelles sont les situations dans lesquelles les élèves ont besoin d’utiliser l’écrit en dehors de l’école, quand est-ce qu’ils lisent, comment ils lisent… Dans le but d’utiliser ces situations comme moteur et point de départ des apprentissages. Le transfert serait ainsi facilité. Le fait d’expliciter ces actes de lecture et d’écriture permet aussi de mettre le doigt sur d’autres capacités nécessaires mais peu visibilisées telles que : classer les informations, se repérer dans l’espace et dans le temps, etc.

Partir des connaissances des élèves et s’appuyer sur elles est un moyen de valoriser et motiver le collectif. Bref, il faudrait toujours essayer de partir des acquis et pas des manques !

L’enseignant-e pourrait aussi se mettre en situation d’apprenant-e pour devenir praticien-ne réflexif-ve : qu’est ce qu’ils apprennent de moi, qu’est-ce que j’apprends d’eux pour ma pratique professionnelle ? ■

Propos recueillis par Charlotte Artois, N’Autre école.