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Pour une recherche coopérative sur la participation démocratique des enfants dans les collectifs éducatifs

jeudi 27 mai 2010, par Greg

Article 12
1. Les Etats parties garantissent à l’enfant qui est capable de discernement le droit d’exprimer librement son opinion sur toute question l’intéressant, les opinions de l’enfant étant dûment prises en considération eu égard à son âge et à son degré de maturité.
(Convention internationale des droits de l’enfant)

Pour mieux agir aujourd’hui, tirer des enseignements des expériences démocratiques historiques

Ils s’appelaient Paul Robin, Sébastien Faure, Francisco Ferrer, les maîtres-camarades, Paul Geheeb, Janusz Korczak, Pistrak, Neill, Freinet… Ils se référaient à l’Éducation libertaire, à l’École socialiste, à l’École nouvelle. En ce début du xx e siècle, ils ont souvent, malgré l’opposition des forces réactionnaires et conservatrices, créé des pédagogies novatrices et des organisations démocratiques.
Qu’ils préconisent l’auto-organisation, l’autogestion, la coopération ou l’autonomie des écoliers, des points communs unissent tous ces pionniers :

– un profond respect des enfants et de leurs droits ;

– une confiance dans leurs capacités à participer individuellement et collectivement aux décisions concernant la vie collective, les activités et les apprentissages ;

– la nécessité de remettre en cause le rapport autoritaire adultes-enfants et de faire preuve de créativité institutionnelle pour favoriser l’autonomie de la collectivité enfantine.

Aujourd’hui encore, nous pouvons tirer de toutes ces expériences, des enseignements pertinents pour répondre aux questions que nous pose la mise en œuvre de la participation démocratique des enfants et des jeunes dans nos établissements scolaires 1, car nous en sommes toujours au stade de l’innovation et de l’expérimentation.
Je n’en présenterai ici que quelques éléments qui demeurent d’actualité.

A. L’exercice de la participation démocratique

a) L’école est une totalité
Chacun doit être reconnu et pouvoir participer à sa vie et à son gouvernement. Pour Pistrak, quel que soit le nombre d’élèves dans l’école, « on a besoin de réunions communes à tous les enfants pour développer chez eux le sentiment qu’ils appartiennent à une collectivité scolaire. Si on ne tient pas compte de cette condition, on peut observer parfois que les enfants s’isolent dans leur groupe. »

b) La place respective des différents partenaires doit être précisée
Qu’il s’agisse de parlement, d’assemblée générale ou de réunion de coopérative, dans toutes ces expériences, les adultes et les enfants font partie d’un organe dirigeant bien identifié, soit directement, soit par l’intermédiaire de leurs représentants. Ils débattent et décident ensemble.

c) Les enseignants ne doivent pas tromper les élèves
Ils doivent leur préciser les domaines dans lesquels ils auront le droit de décider seuls, ceux dans lesquels ils pourront négocier et décider avec les enseignants et ceux qui ne relèvent que des adultes. Dans le champ qui leur est attribué, ils doivent pouvoir faire leur tâtonnement expérimental et donc il faut accepter leurs erreurs.

d) Tous les enfants doivent être impliqués dans la gestion de la vie de l’école sinon ils se désintéressent des affaires collectives
Plusieurs éléments sont à considérer :

– la structure mise en place doit répondre à la question : comment faire pour que chacun participe aux propositions et se sente solidaire des décisions prises ?

À l’école nouvelle de Bédanes, créé en Angleterre en 1892, un parlement d’école, composé de 18 élèves et de 13 enseignants, se réunit chaque semaine. Chacun peut émettre des suggestions dans la « box suggestion ». Chaque classe en discute. Les enseignants participent aux réunions de la classe, sans les présider. Les vœux sont portés par des représentants devant le parlement. Celui-ci en débat puis renvoie ses propositions en discussion dans les classes. La décision est prise à la séance suivante et fait l’objet d’un rapport écrit.
Dans les systèmes mis en place par Paul Geheeb, Pistrak, Neil, l’assemblée générale des enfants est l’autorité supérieure de la collectivité enfantine. À l’école Freinet de Vence, la réunion hebdomadaire de la Coopérative rassemble, elle aussi, tous les enfants et tous les adultes de la communauté.

– Chacun doit pouvoir administrer quand cela est nécessaire et quand il le faut obéir et rester dans le rang.

C’est le principe politique que Pistrak a mis en place afin qu’il ne se forme pas « une élite de spécialistes. » Les organes éligibles doivent rendre des comptes et transmettre leurs pouvoirs aux nouveaux élus devant l’assemblée générale. Les formes de l’auto-organisation ne sont pas figées : la collectivité peut adapter ses institutions aux conditions qui changent.

Une question se pose à la collectivité : comment assurer l’efficacité et la continuité nécessaires des institutions, tout en permettant le renouvellement des élus et des responsables et en assurant la formation de tous ?

– Les réunions de l’institution appelées à prendre des décisions nécessaires à la vie de l’école, doivent être importantes pour tous. Plusieurs facteurs peuvent alors intervenir :

– les sujets, mis en débat, doivent être importants pour la collectivité ;

– les réunions doivent être suffisamment fréquentes pour que la motivation des enfants demeure forte et que les problèmes soient rapidement réglés ;

– le local où se tiennent les réunions doit marquer l’intérêt des adultes pour le Conseil.

e) La question du statut du représentant dans les systèmes représentatifs ainsi que ses relations avec ceux qui l’ont choisi doivent être étudiées avec attention.

f) L’accueil des nouveaux par les membres de la communauté doit être prévu afin qu’ils soient initiés aux activités et aux règles de la collectivité. Dans la Maison de l’orphelin de Korczak, l’enfant qui arrive est placé, durant trois mois, sous la protection d’un ancien qui va l’informer, l’aider de ses conseils, le défendre au besoin.
Ces quelques enseignements nous montrent que nous gagnerions en tâtonnements, souvent difficiles à vivre pour les enseignants et les enfants, en tenant compte des réflexions et des travaux de ceux qui nous ont précédés.
Les débats approfondis, déjà menés, autour des structures permettant la participation de tous les enfants et les choix différents faits par les uns et les autres (réunion de coopérative, parlement, assemblée générale, conseil…) doivent nous inciter à nous interroger sur le choix dominant actuel dans les écoles élémentaires pour un conseil de délégués de classe, dont j’ai constaté parfois la dérive vers des pratiques formelles de démocratie représentative.

B. La justice à l’école

Hier, comme aujourd’hui, le débat et les recherches de solutions concernant l’exercice des droits et libertés, les limites à poser, l’élaboration des règles de la vie collective, leur application et les procédures à mettre en œuvre lorsqu’elles ne sont pas respectées, ont été constants.
Korczak, ayant institué un parlement qui décide des lois de la collectivité, pose un principe fondamental : « Les enfants eux-mêmes promulguant les lois, c’est donc à eux-mêmes de veiller à leur respect, au moyen de leur propre Tribunal. » Le Tribunal des pairs, composé de cinq juges désignés par tirage au sort parmi les enfants âgés de 12 à 14 ans, peut assigner à comparaître enfants, éducateurs et Korczak lui-même.
Opposés au Tribunal des pairs que d’autres pédagogues ont aussi institué, Pistrak, Neil et Freinet ont fait le choix de porter les problèmes rencontrés (conflits, infractions aux règles, perturbations diverses…) devant l’Assemblée générale rassemblant les enfants et les adultes de l’école. Les adultes, tout comme les enfants, doivent répondre de leurs actes.
J’ai retenu de ces trois expériences, plusieurs enseignements :

– l’instance collective, qui décide des lois et des règles et traite des transgressions, réunit les enfants et les adultes : ils doivent pouvoir s’y exprimer librement et traiter d’égal à égal ;

– la loi, décidée en commun, s’applique à tous et doit être respectée ;
– des procédures précises doivent protéger contre l’illégalité et l’arbitraire, garantir que les problèmes de chacun seront considérés avec impartialité et sérieux, et que les décisions prises seront fondées sur des principes clairement établis ;

– la sanction doit permettre à chacun de réfléchir sur son comportement, d’assumer la responsabilité de ses actes, et lui donner la possibilité de réintégrer la collectivité ;

– les adultes sont les garants des principes qui fondent la collectivité. Ils doivent donc rester vigilants et ne pas accepter, au nom des droits de la collectivité, des règles ou des sanctions contraires à ces principes ;

– la justice enfantine exige une réflexion approfondie. Qu’il s’agisse d’une instance spécifique, de l’assemblée générale ou d’une réunion de coopérative, la participation des enfants est un facteur positif.

La Convention internationale des droits de l’enfant nous permet de rebondir

Sur ces questions de justice comme sur les autres aspects de la participation des enfants, la Convention internationale des droits de l’enfant de 1989 nous a placés dans une problématique nouvelle. Il ne s’agissait plus d’octroyer aux enfants des droits et des libertés qui ne dépendraient que de notre bon vouloir, mais de leur garantir l’exercice de leurs nouveaux droits et de les y former. Des interrogations nouvelles se posaient à nous :

1. La participation étant désormais un droit 2, comment faire pour que tous les enfants, en tenant compte de l’évolution de leurs capacités, puissent donner leur avis et participer, directement ou par l’intermédiaire de leurs représentants, aux débats et aux décisions sur les affaires qui les concernent et à leur mise en œuvre ?

2. Quelles compétences sont nécessaires pour que chacun puisse exercer son droit de participation au sein de la collectivité (prise de parole dans un groupe, argumentation, animation, négociation, prise de décision, exercice des responsabilités…) et quels apprentissages mettre en place pour que tous soient formés à y être des citoyens actifs et responsables ?

3. En s’appuyant sur la créativité institutionnelle de chaque enfant et du groupe, quelles institutions, structures, démarches, outils, règles de vie, doivent être mis en place, pour que cette participation puisse pleinement s’exercer ?

4. Dans quels domaines les enfants pourront-ils exercer un pouvoir de décision seuls et en assumer la responsabilité ? Dans quels domaines, participeront-ils à la décision avec les adultes ?
Dans quels domaines la décision appartiendra-t-elle aux adultes seuls et seront-ils consultés ou pas ?

5. Quelles libertés individuelles pourront s’exercer au sein des collectifs éducatifs et comment : modalités d’exercice, limites, obligations, traitements des transgressions… ?

6. Comment apporter des réponses aux conflits et aux infractions, en respectant la dignité des enfants et les principes fondamentaux du droit ?

7. Comment informer et former les adultes, parents, enseignants, éducateurs, animateurs, élus, afin qu’ils soient en mesure de créer un environnement favorable à l’expression de l’enfant et à sa participation responsable ?

Pour apporter des réponses à toutes ces questions, il est nécessaire de sortir du champ de l’école pour créer des réseaux entre tous ceux qui agissent pour l’émergence d’une démocratie participative. C’est par l’analyse de ces pratiques novatrices que nous dégagerions des stratégies, des procédures, des démarches, des outils… qui permettraient à d’autres équipes éducatrices de s’engager avec les enfants dans la création de collectivités démocratiques.

C’est pourquoi, en tant que chargé de mission aux droits de l’enfant de la Fédération Internationale des Mouvements d’École Moderne, j’ai décidé de lancer un appel international à coopération à des équipes d’animateurs, d’enseignants, d’éducateurs : il est indispensable d’échanger pour faire mûrir les acquis. En s’appuyant sur ces acquis et sur la Convention, il est possible d’avancer sur ce terrain essentiel de la participation démocratique des enfants à l’école. ■

Jean Le Gal,
Chargé de mission droits
de l’enfant, de la FIMEM (Fédération Internationale des Mouvements d’École Moderne)

Bibliographie succincte

■ Le Gal Jean, Les droits de l’enfant à l’école. Pour une éducation à la citoyenneté, éditions De Boeck, 2008, 2e édition
■ Le Gal Jean, Le maître qui apprenait aux enfants à grandir. Un parcours en pédagogie Freinet vers l’autogestion, coédition éditions libertaires, éditions ICEM, 2007, Grand prix Ni dieu Ni maître 2007.