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Le travail enseignant, le visible et l’invisible

dimanche 20 février 2011, par Greg

L’Institut de recherche de la FSU poursuit depuis plusieurs années un intéressant travail d’analyse et de publication. Un nouvel ouvrage issu de l’activité de son chantier « Travail » vient de paraître aux éditions Syllepse.

Le livre est construit autour de deux moments : une réflexion sur la spécificité du travail enseignant et ses évolutions, justement défini comme un équilibre entre le visible et l’invisible (« Le travail enseignant et ses enjeux »), et, dans un deuxième temps, un questionnement sur le rôle du syndicalisme et de la recherche en sciences sociales dans les nécessaires transformations du travail enseignant (« Transformer le travail »).

De manière assez convenue, la première partie explore les enjeux du travail enseignant (mais pas seulement, ainsi l’exemple des cantinières, p. 109) à travers divers témoignages, souvent riches et originaux, permettant de « rendre visible l’invisible ». Elle éclaire la spécificité du travail enseignant plus qu’elle n’enrichit l’abondante réflexion sociologique sur les nouvelles réalités du travail, en particulier sur la souffrance au travail (Dejours). La question de l’équilibre entre satisfaction, épanouissement et souffrance est abordée en privilégiant le second aspect de la question, en particulier à travers un très stimulant chapitre « Les difficultés du travail enseignant : emprise, déprise, prise » qui questionne la capacité à agir des personnels de l’Éducation nationale. Ce chapitre résume de façon très convaincante la problématique générale et débouche sur la conclusion d’une crise du métier plus que sur un malaise enseignant. Réformes, évaluation, pénibilité, renforcement des tâches et des pressions de la hiérarchie sont analysées à la lumière de leur impact sur le quotidien des personnels. Ce premier moment de la réflexion permet donc de « comprendre le travail pour agir », en cohérence avec le titre de la collection (« Comprendre pour agir ») lancée conjointement par l’Institut et les éditions Syllepse. Mais, malheureusement, l’impression qui se dégage de cette lecture reste très « universitaire » et distante, les enseignants, dans cette amorce de réflexion, semblent confinés au statut d’objet d’étude et les témoignages recueillis peinent à sortir de la simple illustration pour construire une réelle démarche collective d’analyse et de « prise » sur le travail quotidien.

C’est justement ce défi que la seconde partie - « Transformer le travail » - se propose de relever. Beaucoup plus originale, elle suscite une série d’interrogations sur l’action syndicale et ses relations avec le monde de la recherche. En effet, il s’agit ici d’étudier et de rechercher des pistes d’interactions entre chercheurs et militants pour transformer ce travail.

Globalement, les chercheurs convoqués se placent le plus souvent dans une position d’experts ou de prescripteurs vis-à-vis d’un milieu syndical déboussolé. Dès lors, c’est souvent la logique de « service » qui domine, sans que l’on perçoive nettement les interactions possibles entre les deux univers, voire, et c’est peut-être le plus inquiétant les trois univers. Ainsi, la lecture de cette deuxième partie conforte cette interrogation de Cécile Briec, qui prépare actuellement une thèse sur « Le syndicalisme est-ce un travail ? » : « Les syndicalistes se seraient-ils tant éloignés de leurs collègues et de leur travail quotidien ? ». En effet, c’est bien cette question qui hante – le plus souvent en creux – les différentes contributions. Il ne s’agit hélas pas de nier ce triste constat, partagé par des « représentants » syndicaux d’autres secteurs : « Que connaît-on du travail réel des salariés ? Ne pourrait-on pas recréer du lien avec eux en s’intéressant précisément à leur travail ? » (Fabien Gache, délégué syndical CGT du groupe Renault, p. 143). Mais, les différents éclairages apportés, paraissent un peu tourner autour du cœur du problème. Si l’action syndicale est un travail à part entière (et l’on voit en quoi il s’en rapproche, décharges de service, spécialisation croissante liée à l’intervention dans les différentes commissions paritaires fort éloignée de l’activité d’enseignement....) pourquoi ne pas avoir interrogé de manière plus critique cette professionnalisation et y voir une des causes de l’écart grandissant avec les collègues ? Au contraire, cet écart semble posé comme une réalité de fait – résultat de la prédominance des discours universitaires ? - « Pour étudier le travail enseignant, il y a nécessité d’entrer dans l’activité, d’accéder au réel du travail » (p.51). De façon insidieuse, le livre ce partage entre témoignages « bruts » de militants et analyse de chercheurs, et renforce au final un partage des tâches que les contributeurs jugent eux-mêmes stérile. Des pistes existent pourtant, comme en témoigne l’encadré sur le partenariat Cnam-Snes (p. 134 et 135), et il est significatif que cet « encart » (ou « écart » ?) dans le livre émane de militants...

Bien d’autres éléments seraient à relever, ce qui démontre au moins que si l’on ne partage par les conclusions apportées, on peut se retrouver dans les interrogations soulevées. Ainsi la posture « experte » de plus en plus adoptée par les syndicalistes eux-mêmes : « de manière générale, quand les syndicalistes se déplacent sur le lieu de travail, c’est pour informer, alors qu’il s’agit ici de s’informer » ou, à l’inverse, cette militante du Snes qui revient déçue de son expérience de « permanencière » et de commissaire paritaire « c’est parfois trop de responsabilités pour lesquelles je n’estimais pas avoir la compétence suffisante » (p.148).

« L’expérience nous montre que vouloir transformer le travail en partant de sa réalité transforme aussi notre syndicalisme. Mais cela nous demande un grand effort. Comme c’est la dominante dans la société, nous avons tendance à expliquer plutôt qu’aller voir pour comprendre » (Fabien Gache), voilà une démarche qui vaudrait le coup d’être abordée de front, à condition de lever les obstacles « structurels » issus du syndicalisme lui-même, à commencer aussi par cette agaçante manie de l’autosatisfaction qui finit par faire perdre patience au lecteur. La célébration de la FSU toutes les deux pages (jusqu’à la caricature avec le texte sur le Snep – syndicat national d’éducation physique et sportive) crée parfois un malaise chez le lecteur qui s’interroge sur le statut du texte qu’il tient entre les mains : outil de réflexion ou instrument d’auto-promotion... Un léger défaut qui, espérons-le, ne devrait pas être trop difficile à corriger !

 Le travail enseignant, le visible et l’invisible, Yves Baunay, Marylène Cahouet, Gérard Grosse, Michelle Olivier, Daniel Rallet (Coord.), Institut de recherche de la FSU, éditions Syllepse, 2010, 177 p.

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