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Le système scolaire en Espagne. Quelques données.

samedi 21 mai 2011, par Greg

CONTRIBUTION AU STAGE ANTI-HIÉRARCHIE PARIS 1 er AVRIL 2011

L’Education en Espagne est souvent assez mal connue. Comme notre débat concerne la lutte contre la hiérarchie, il semble pertinent de revenir sur certaines données historiques. Il peut être intéressant, en particulier, de revenir sur les expériences tout à fait novatrices des XIXe et XXe siècles (« La Institución Libre de Enseñanza » sous l’impulsion de Giner de los Ríos, « La Escuela Moderna » de Ferrer y Guardiá, les « Ateneos » anarchistes, les expériences pédagogiques pendant la Guerre civile. Ce combat pour s’émanciper de la tutelle des traditions, de l’Eglise, de l’obscurantisme et de l’Etat, s’est mené de manière originale parfois ou par tâtonnements tout en essayant d’échanger et de tirer profit des expériences pédagogiques (mais aussi des échecs) d’autres pays (France, Italie, Allemagne, Mexique, Argentine).

Notre propos abordera 4 points :

1- Quelques repères concernant l’histoire de l’Education en Espagne,

2- La deuxième République et la Guerre civile,

3 - Le franquisme,

4- La situation actuelle.

1-Repères historiques

Après la Guerre d’Indépendance (Guerre contre Napoléon, 1804-1814), le roi Ferdinand VII revient. La Monarchie absolue est rétablie en 1823. Un corps expéditionnaire (sorte d’ OTAN avant la lettre), « Les Cent Mille fils de Saint Louis », est chargé par la « Sainte-Alliance » européenne de « rétablir l’Ordre » en Espagne. Paradoxalement une place de Paris porte le nom de la bataille qui signifia l’écrasement sous la mitraille des libertés espagnoles : « Trocadero ». Le général libéral Rafael del Riego, qui s’était soulevé pour imposer la Constitution de Cadix de 1812, est exécuté. L’Espagne va subir 10 ans de tyrannie, la « Década ominosa ». C’est une dictature féroce et le roi restaure même l’Inquisition jusqu’à sa mort, en1833. Sous Isabelle II, se produit enfin une Révolution industrielle tardive. Les capitaux étrangers (français, anglais, allemands), et en partie catalans et basques, affluent et permettent cet essor. L’Education est évidemment le cadet des soucis de ce régime. Par contre l’État se modernise et concrètement cela se matérialise par la création d’un corps de répression « à la hauteur », la Guardia civil, en 1844. Ce développement tardif de l’industrie et de l’éducation tout autant que l’arriération des structures traditionnelles (caste militaire et cléricale, injustice dans la distribution de la propriété agraire) pèseront de tout leur poids dans l’histoire ultérieure de l’Espagne.

Retour sur un « abus d’autorité » aux conséquences considérables : la genèse du « krausime » [1] et la fondation de la ILE. Refuser la servitude et l’arbitraire au nom de la dignité et de la raison. Le cas nous intéresse particulièrement, car il éclaire notre débat sur la hiérarchie [2. L’affaire, rappelle par bien des aspects, la destitution de sa chaire d’hébreu d’Ernest Renan au Collège de France, en 1863, sous prétexte de la publication de « La vie de Jésus » Cette destitution eut des répercussions considérables dans l’Europe entière. ]

En 1843, Julián Sanz del Río (juriste et universitaire) part en Belgique et en Allemagne et découvre la philosophie d’un idéologue franc-maçon allemand Friedrich Krause (1781-1832) Sorte d’idéaliste positiviste et humaniste qui s’inspire à la fois de Fichte, de Hegel et d’Auguste Comte (…) Le « krausisme » va influencer la pensée « progressiste » espagnole pendant toute la fin du XIX ème et le premier tiers du XXe siècle. En 1868, trois universitaires adeptes du « krausisme », professeurs de philosophie et de droit (Francisco Giner de los Ríos, Fernando de Castro et Nicolás Salmerón) sont destitués de leur chaire par le Ministro de Fomento (« Ministre du développement et de l’industrie », il n’y a pas encore de « Ministère de l’Instruction ») Manuel de Orovio, parce qu’ils refusent de signer un texte d’allégeance à l’Eglise et à la Monarchie. Ils le considèrent attentatoire à la liberté de l’enseignement.

En septembre 1868, quand éclate la Révolution (« La Septembrina », chute d’Isabelle II ), ils sont considérés comme des héros. En 1873, Première République. 1875 après un coup d’Etat. Restauration de la Monarchie, préparée près de Londres (Sandhurst). Alphonse XII entre à Madrid. Une Monarchie « constitutionnelle » truquée, est instaurée, soutenue déjà par l’Armée, l’Eglise et les grands propriétaires terriens (« caciques »). L’Education est toujours aussi déplorable. Mais en 1876, le ministre Orovio de retour, poursuit à nouveau ces mêmes intellectuels. Ils décident alors de créer la ILE (« Institucion Libre de Enseñanza »-« Institution Libre d’Enseignement »-) Une Université (et une Ecole) privée certes, mais « libre », c’est-à-dire, mixte, sans religion, laïque et ouverte sur la science, l’Europe, le Monde et la recherche pédagogique. Dans le même élan se constituent également une Association pour la Défense de l’enseignement des femmes et une Société pour l’abolition de l’esclavage à Cuba. Bientôt naîtra à partir de la ILE, la JAE (« Junta de Ampliación de Estudios »-« Conseil pour la Diffusion des Etudes et de la Recherche »-) ancêtre de l’actuel CSIC (Consejo Superior de Investigación Científicas, équivalent espagnol du CNRS ).

Parallèlement le mouvement ouvrier anarcho-syndicaliste (qui se fédère au début du XXe siècle dans la CNT (Confédération Nationale du Travail) crée des Ateneos Libertarios [2]. Le PSOE (Parti Socialiste Ouvrier Espagnol) et son syndicat, l’UGT (Union Générale des Travailleurs) constitue des Casas del Pueblo. Dans les Asturies à Oviedo autour de l’écrivain Leopoldo Alas -« Clarín » - (auteur d’un des plus remarquables romans espagnols, « La Régente »), des intellectuels, créent des Universités populaires, s’inspirant du modèle anglais. Des liens se créent entre ces universitaires et le mouvement ouvrier. En 1882 nombre de Congrégation doivent quitter la France et se retrouvent en Espagne (en particulier les Jésuites) Cela provoque un anticléricalisme très virulent. En 1897, des anarchistes sont torturés sauvagement et fusillés à Barcelone à la suite d’attentats (des provocations policières, semble-t-il). Peu de réactions en Espagne. Par contre l’écho international est considérable, en particulier en France. Alphonse XII meurt prématurément et sa femme exerce la Régence. C’est donc sous ce régime qu’en 1898, l’Espagne perd ses dernières colonies (Cuba et les Philippines) lors d’une guerre-éclair contre les Etats-Unis [4. Malgré les craintes gouvernementales - « le syndrome de Sedan » - d’une contagion d’une nouvelle Commune de Paris… à Madrid, ce « Désastre » ne provoque de crise que parmi les élites intellectuelles. Le peuple accueille la défaite de cette aventure coloniale dans une quasi indifférence. D’autant que ne sont appelés à la guerre que les pauvres. Les riches peuvent racheter leur place ! On comprend les réactions populaires de fureur lors des désastres des guerres du Maroc en 1909 (Barranco del lobo) et en 1921 (Annual) ] Dans un autre domaine, l’écrivain Benito Pérez Galdós (Tristana) qui vient souvent à Paris, est impressionné par l’Affaire Dreyfus. Il espère faire aussi bien que Zola. En 1901 la représentation de sa pièce « Electra » déclenche dans toute l’Espagne un mouvement très virulent contre l’Eglise et la Monarchie. Mais l’affaire fera long feu.

En 1909, à l’issue de la « Semana Trágica » (sorte de « Commune » de Barcelone) qui éclate spontanément contre la Guerre du Maroc, le pédagogue anarchiste Francisco Ferrer y Guardiá est fusillé après un procés inique et sans la moindre preuve. Des liens se créent entre le mouvement ouvrier (PSOE, UGT et CNT) et des universitaires « progressistes » qui recherchent une école pour le peuple. Une personnalité importante est le penseur Joaquín Costa qui dénonce l’arriération de l’Espagne et propose un plan d’alphabétisation, de modernisation et de scolarisation sur le modèle des pays industrialisés d’Europe (France, Grande-Bretagne, Allemagne) Des relations se nouent entre ces universitaires espagnols et ceux du reste de l’Europe. La ILE et la JAE offrent des bourses à de jeunes
artistes ou scientifiques. José Echegaray, Blás Cabrera ou Santiago Ramón y Cajal, tissent des liens avec les chercheurs étrangers en physique, mathématiques ou médecine (Conférences Solvay, près de Bruxelles) Einstein se rend en visite officielle à Madrid en 1923. Sur le plan artistique des membres de « Dada » avaient déjà trouvé refuge à Barcelone lors de la Première Guerre Mondiale. Le philosophe José Ortega y Gasset ouvre sa revue « Revista de Occidente » à tous les courants d’avant-garde internationaux (russes, italiens, allemands, français, scandinaves, nord-américains, japonais, mexicains etc…)

2- La Deuxième République et la Guerre civile

Quand est proclamée la II ème République le 14 avril 1931, nombre de penseurs de la ILE marquent de leur influence le premier gouvernement. Leur programme : Ecole, culture, laïcité, promotion de la recherche scientifique et artistique (Manuel Azaña, Julián Besteiro, Cipriano de Rivas Cherif) La Residencia Universitaria de Madrid est un centre intellectuel remarquable. On y retrouvera Federico García Lorca, Luis Buñuel et Salvador Dalí. C’est la consécration du projet de la ILE et la JAE. L’Eglise, les propriétaires de latifundia, les fascistes de « la Falange », la réaction, ne cachent pas leur haine contre le « complot judéo-maçonnique », la ILE, les communistes, anarchistes, socialistes et républicains…sans oublier les « séparatistes » (basques, catalans, galiciens) et les instituteurs…

Le théâtre de « La Barraca » ( García Lorca, Margarita Xirgú) inaugure une sorte de TNP avant la lettre à travers toute l’Espagne. En peu de temps, 27 000 écoles sont mises en chantier. Un plan de modernisation pédagogique des Ecoles normales est lancé par le ministre socialiste Rodolfo Llopis.

Les mouvements Futuristes et Surréalistes font leur jonction avec l’Espagne. En 1937, le pavillon espagnol de l’Exposition Universelle de Paris est certainement le pavillon le plus en pointe (cf. Pierre Daix) dans les avant-gardes (Picasso, Calder, Miró)
Les 17 et 18 juillet 1936, les militaires se soulèvent au Maroc et dans une partie de la péninsule. Loin d’empêcher la révolution, le pronunciamiento la déclenche. Ouvriers et paysans prennent les armes, s’organisent en milices et collectivisent spontanément la production. L’Etat républicain vole en éclats. Dans la zone contrôlée par les franquistes, retour à l’Ordre moral et au cléricalisme. Dans la zone « républicaine », de remarquables expériences pédagogiques vont se multiplier. Les instituteurs en armes alphabétisent les soldats et les paysans sur le front. (cf. l’affiche de la Guerre civile « N’empoisonnez pas l’enfance ! » émanant de la Fédération des Jeunesses Libertaires (FFJJLL) et de la FAI, dénonçant l’endoctrinement politique des enfants par toutes les organisations… y compris les anarchistes !) L’association « Mujeres Libres »(« Femmes Libres »), combat pour l’émancipation des femmes. Son militantisme féministe s’adresse à toutes les femmes sans distinction et même aux prostituées. La victoire franquites et la répression de 1939 anéantiront toutes ces expériences.

3 - L’Ecole franquiste. La longue nuit de la dictature

Epuration, exécutions, camps de concentration, viols, prisons, tortures. Les instituteurs, « moins compromis » sont déportés dans d’autres régions ou dans le protectorat marocain (ainsi le père d’Ignacio Ramonet, rédacteur du « Monde Diplomatique » ) D’autres seront entassés dans les fosses communes ou partiront vers l’exil. María Domínguez, institutrice, première femme à être élue maire, est fusillée en septempbre 1936 près de Saragosse. Federico García Lorca est tué avec un instituteur et deux maçons dans un ravin proche de Grenade. Les militants ouvriers, les instituteurs et maîtresses d’écoles sont particulièrement visés par cette répression. Il s’agit d’opérer une sorte de « nettoyage ethnique », « d’extermination » de tout ce qui est la cause de la « dégénérescence » de « l’Espagne éternelle » (sic) Un dogme, le « national- catholicisme » et la « régénération… faire aimer la patrie… » (cf. Jean-Louis Guereña ; « Histoire de l’enseignement en Espagne, du XVI è au XX è siècle » ) Ce « laïus » n’est pas sans rappeler celui de Sarkozy et autres tenants de « l’identité nationale »… Mais après 1945, le régime se retrouve isolé. A partir des années 1950, il est au bord de la faillite. Franco change alors son fusil d’épaule. En 1953, c’est la signature d’accords avec le Saint Siège (les relations avaient toujours été excellentes, par ailleurs. Pie XII n’avait-il pas béni la « Glorieuse Croisade » ? ), mais surtout avec les Etats-Unis. Eisenhower, dans le cadre de la Guerre froide, se rend à Madrid en visite officielle. La location de bases militaires nord-américaines permet, en catastrophe, de sauver économiquement le régime. La politique économique d’autarcie de la Phalange est abandonnée. Quant à l’enseignement, il continue d’être aussi mal loti et sous la coupe de la propagande franquiste et de l’Eglise.

A Partir de 1962 la Banque Mondiale rappelle à l’ordre l’Espagne quant à la nécessité de développer le système éducatif. En 1964 se tient le Congrès national de pédagogie à Salamanque. Effort d’alphabétisation. L’émigration va être aussi un élément de culture « sur le tas »

Parallèlement la résistance commence à s’organiser chez les étudiants, en Euskadi (Pays basque), en Catalogne et dans le mouvement ouvrier. L’Eglise elle-même commence à lâcher prudemment le régime. Un facteur de déséquilibre sera certainement aussi Vatican II (messe en latin ou langue vernaculaire ?) Certes, l’arrivée des technocrates de l’Opus-Dei voit se dresser contre eux un front disparate allant des Jésuites aux nostalgiques de José Antonio Primo de Rivera. Mais l’Opus tient à développer une économie capitaliste moderne et une formation universitaire de haut niveau « à l’américaine » Malgré un moralisme effréné (cours de gym avec des bas de laines pour les filles, contrôle de la « décence » des maillots de bain des garçons dans les piscines, proscription de l’enseignement mixte), les jeunes se détournent de plus en plus du régime (« charters-cinéma » pour Perpignan et Bayonne). Même le catéchisme devient difficile à imposer à la fin du franquisme.

En 1970 la LGE (Ley General de Educación) de Villar Palasí constitue le premier élément de modernisation du système éducatif.

4 - La situation actuelle des établissements secondaires.

Il faut tout d’abord préciser que le système scolaire espagnol, a subi d’innombrables réformes - LOGSE (1990), LOU et LOCE (2004), LOE (2006) etc- depuis la fin du franquisme ( mort du dictateur en 1975, Constitution monarchique octroyée de 1978, gouvernements UCD, PSOE, PP et actuellement PSOE) Ces « réformes » se soumettent de plus en plus aux directives de l’OCDE. Soulignons que l’Espagne n’est pas un Etat laïque mais « aconfesional » : l’Etat est lié par un Traité avec le Vatican depuis 1979. Ce traité garantit (voire accroît) les privilèges de l’Eglise hérités du franquisme. Elle reçoit une place de choix et un budget conséquent qui n’est même pas débattu au Parlement. Le catéchisme est intégré aux cours (comme en Alsace et en Moselle) Les professeurs de religion sont nommés (et révoqués) par les évêques, mais payés par l’Etat. Enfin la reconnaissance d’une large autonomie des régions ou des nationalités historiques (Catalogne, Pays basque, Galice) fait que les fonctionnaires ( tout en étant d’Etat), dépendent des gouvernements autonomiques régionaux aux pouvoirs très étendus. Ainsi la Culture, l’Enseignement, la Police, la Langue officielle relèvent de la compétence des « Autonomías » Cette situation fait que la gestion des établissements secondaires, a hérité de certains aspects du franquisme mais comporte aussi, paradoxalement des éléments démocratiques.

Pour les concours (« oposiciones »), des collègues titulaires sont désignés comme membres des jurys. La « Delegación » (Rectorat) a surtout un rôle administratif, politique, financier et n’intervient pratiquement pas dans le contrôle pédagogique des enseignants. Par contre, c’est la « Delegación » qui contrôle la composition des membres du Jury. Le président est nommé directement, avec des consignes très strictes et les autres membres sont (soi-disant), tirés au sort... (mais est-ce toujours le cas ?...) Nombre de collègues espagnols soupçonnent les présidents d’avoir des listes de candidats qui doivent être reçus à tout prix... Et de s’interroger sur les règles « démocratiques » « d’impartialité » et « d’anonymat »..de..ces..genres…de…procédés ?............

Il n’y a pas d’inspection (pédagogique) ni dans le primaire ni dans le secondaire. Une seule inspection (la première, celle de titularisation) sert d’évaluation. Mais il existe des Inspections (administratives) des établissements secondaires et primaires qui contrôlent toute l’organisation et imposent leurs critères horaires (y compris le fait de devoir rester en permanence, par exemple, tout un après-midi au lycée pour assurer des tâches administratives ou recevoir les parents d’élèves... A part cela, les professeurs « en práctica » sont notés par le proviseur, le chef du département correspondant (petit chef intermédiaire) L’inspecteur entérine. Il est vrai qu’il faut faire de grosses bêtises pour être sanctionné. Mais apparemment, toute une série de projets sont déjà « dans les cartons » afin d’instituer un contrôle « au mérite ». A suivre…

Les programmes sont définis par les régions dans le cadre d’une harmonisation de l’Etat. Dans les établissements (« los centros ») les assemblées de professeurs (« claustros », « cloîtres ») décidaient auparavant des choix pédagogiques et répartissaient les budgets. Mais comme disent des amis en plaisantant, c’était vraiment le bon temps. (on peut dire que « contre Franco on vivait mieux… ») C’est fini, les « claustros » ne servent plus à rien. Et cela se passe avec la complicité des chefs d’établissements qui ont de plus en plus tendance à se comporter, non comme des collègues, mais comme de braves gestionnaires, auxiliaires de l’administration. De plus en plus, volontairement ou sous la pression de la « delegación », ils « se vendent » au pouvoir et à l’inspection administrative qui les contrôle. Le « claustro » ne sert plus qu’à communiquer et n’a plus de pouvoir de décision. Ce pouvoir s’exerce dans le « Consejo escolar » (chef d’établissement, secrétaire, représentants des parents, représentant de la municipalité, représentants des élèves, et quatre ou six représentants des professeurs, qui dans nombre d’établissements, presque toujours, font partie à présent, du cercle rapproché du chef d’établissement) Impossible de modifier ou de proposer quoi que ce soit , « es la práctica del rodillo » (« c’est la pratique des copinages », de « la camarilla ») Finie la démocratie..... Exemple, d’un lycée d’une grande ville d’Andalousie : depuis deux ans, les collègues se battent pour prendre les classes d’autres professeurs et les récupèrer à leur profit. Un collègue qui avait des classes spécifiques depuis 20 ans, se les ai fait enlever cette année par des collègues de langue ou d’histoire ! Apparemment cette « foire d’empoigne » est en train de se généraliser.

Pas de CPE ni de surveillants. Ces tâches incombent aux professeurs. Il y a des heures de surveillance (assez souples) et de tutorat (cela tient du professeur principal, du « psy », du tuteur et du conseiller d’orientation) Les cours ont lieu tous les jours, le matin. En général, il n’y a pas de restauration. Si ce n’est une cafeteria avec un personnel rattaché à l’établissement (boissons, sandwiches) Les professeurs ont dix-huit heures de cours par semaine jusqu’à un maximum de 21 heures (pour « nécessités de service »), mais ces heures en plus, ne sont pas rémunérés : certains collègues peuvent aussi bien avoir 17 et d’autres 19 heures de cours.. Certains professeurs titulaires ont 15 heures jusqu’à un maximum de 18 heures. Pas de rémunération spécifique pour ces « heures sup ».

En outre, il faut compléter l’emploi du temps avec 3 heures de surveillances obligatoires, qui ne sont pas modulables, mais imposées. Il est vrai que si l’on a 19 heures de cours on n’assure que 2 surveillances. En outre, on doit compléter l’horaire (jusqu’à 25 heures) avec des heures de permanence administrative qui sont obligatoires et fixes sur l’emploi du temps. Être à la disposition de l’administration, des parents d’éĺèves et de la direction un après-midi : le mardi ( en principe, 2 heures. Tous les trimestres un conseil de classe de classe -« junta de evaluación »- (« preevaluación » et « evaluación » = pré-conseil et conseil de classe), en plus, au premier trimestre une « junta de evaluación inicial » ( = conseil de classe préparatoire de niveau) Ceci doit être assuré en plus de tous les cours. Exemple d’un collègue (mais ce n’est pas général) : 9 groupes différents, ce qui fait qu’au premier trimestre « il doit se taper » 27 conseils, et pour le deuxième et troisième trimestre, 18 conseils. Sans rémunération évidemment.... sans compter les copies, permanences etc…

Les salaires : salaire « net » en Espagne, signifie sans cotisations retraites et Sécu et…sans les impôts (prélevés à la source) 14 mois payés. Les augmentations ne sont pas liées aux « notes » (note d’inspection et administrative, comme en France) mais à l’ancienneté, tous les 3 (trienio) ou 6 ans (sexenio) Pas de « mérite » Mais on envisage de modifier ces critères… Par rapport à la France, si l’on tient compte de TOUS ces paramètres, les salaires annuels étaient encore récemment de 20 à 25 % supérieurs à ceux de l’hexagone. Il est à noter qu’après la faillite du « miracle espagnol » qui a explosé… grâce à la spéculation délirante immobilère et bancaire, la « crise » doit être payée, non par les banques, mais… par les fonctionnaires et autres salariés ! Jusqu’à 8 % de baisse sur la « nómina » (feuille de paie) ! La retraite est à 65 ans mais avec possibilité de cessation progressive d’activité. Mais là encore on envisage de repousser jusqu’à 67 ans ! Nombre d’années cotisées pour percevoir la retraite à taux plein : 35 années [5. Et l’on n’a cessé de nous seriner que les conditions de départ en retraite étaient scandaleusement « privilégiées » en France, par rapport aux autres pays européens !] [85 % - mais sous toutes réserves, à vérifier-]

Le directeur, le sous-directeur ou l’intendant n’ont pas de statut distinct des professeurs. Il y a peu de temps encore, le chef d’établissement, son adjoint et l’intendant étaient élus pour 2 ans parmi les professeurs (avec décharges compensatoires) À présent, un directeur se présente avec une équipe et « un projet » qu’il soumet à « la inspección » (rectorat) , l’inspection le note et s’il est accepté, le « claustro » le vote parmi ceux qu’a admis le rectorat. « Nouveauté » : à présent, on peut se présenter à partir de n’importe quel lycée de la région (par exemple l’Andalousie ou Murcie) dans un autre établissement (avant c’était impossible) Ce qui fait que l’on ne connaît souvent même plus les gens qui postulent sur un établissement. Et actuellement, les personnels de direction, dans certains lycées, ne font plus du tout de cours. Les adjoints ont peut-être deux heures de cours par semaine. Les conditions ont donc tendance à aller dans le sens le plus négatif. Le Ministère semble privilégier de plus en plus un statut distinct des chefs d’établissements, comme en France ou en Grande-Bretagne…

 Le « Consejo escolar » - Conseil de direction - (très différent de nos CA) est majoritairement exercé par les professeurs, même s’il y a des élus parents, élèves et agents de services.

Inconvénients : des « camarillas » ou des groupes peuvent s’emparer de l’établissement (et ne s’en privent pas) et organiser les services par « copinage » Sans doute aussi est-ce une des causes qui pourrait expliquer que le syndicalisme dans l’Enseignement soit resté aussi squelettique en Espagne. Cette structure, en effet, a développé des réflexes de défense individuelle au détriment de l’action collective syndicale. Mais ce n’est qu’une hypothèse [6. Cette hypothèse particulière à l’Education est inséparable du fait que, dans la péninsule (comme ailleurs en Europe), le sentiment dominant est le suivant : depuis des décennies, les « actions » (voire la collusion sans complexe) des syndicats majoritaires (UGT et CCOO) n’ont semé que désillusion et désaffection. Alors qu’en France les syndicats majoritaires ont fait mine de s’opposer aux contre-réformes du gouvernement (tout en les accompagnant sans complexe), en Espagne, l’Union Générale des Travailleurs (« socialiste » -sic-) et les Commissions Ouvrières (« communiste » -resic-) ont signé directement un accord avec le gouvernement de Rodríguez Zapatero et le patronat pour baisser les salaires ! Dans le degré de « trahison », cela a au moins l’avantage de la « naïveté », de la « sincérité » … ou du cynisme le plus obscène ! ] On soutient quelqu’un en échange de « services rendus » ou de meilleurs emplois du temps et « de petits arrangements personnels » (quant il s’agit de contrôler les permanences, par exemple).

Avantages : le système semble démocratique. Mais comme le dénoncent des collègues, c’est la voie ouverte au « copinage » La hiérarchie de l’Etat est inexistante. Les directeurs, sous-directeurs et intendants étaient obligés (il y a quelques années) de « faire bloc » avec les autres collègues face au rectorat (« la delegación »). A présent, ils acceptent de plus en plus tout ce que leur dit de faire l’administration et se sentent de moins en moins proches de leurs collègues professeurs. Ils refusent évidemment…de..lâcher..leurs..privilèges….« sic..transit..gloria..mundi »

On voit bien que l’Etat central à Madrid (relayé par les « Comunidades autónomas » - les régions-) fait évoluer depuis des années ce système, remettant en cause, dans le primaire comme dans le secondaire la liberté des enseignants. La tendance étant, comme en Grande-Bretagne (et visiblement sous les directives de Bruxelles) de soumettre de plus en plus les professeurs à de petits « managers » ou à de petits satrapes locaux « décentralisés » et/ou « autonomes » et jouant sur la concurrence (et les égoïsmes) entre des enseignants qui leur sont de plus en plus subordonnés et soumis.
A l’Université, comme en France, « le processus de Bologne », est le modèle imposé par la Commission européenne (traduire « Lois Darcos-Pécresse LRU Mastérisation »). Les mobilisations réelles sont néanmoins restées très limitées, si on les compare à celles de la France. 

Composition du Conseil scolaire = Conseil d’Administration
directeur de l’Etablissement qui assume la Présidence (Proviseur ou Principal)
censeur (Proviseur-Adjoint ou Principal-Adjoint)
un Conseiller municipal ou un représentant de la municipalité.
délégués des Professeurs. Leur nombre ne peut être inférieur à 1/3 du Conseil.
délégués des parents et des élèves. Leur nombre ne peut être inférieur à 1/3 du Conseil. Parmi les délégués-parents, l’un d’entre eux doit être désigné par l’association de parents la plus représentative de l’établissement. Les élèves peuvent être élus au Conseil à partir de la 2 nde.
Un représentant du personnel administratif et d’entretien de l’établissement.
Le secrétaire de l’établissement ( droit d’expression, sans droit de vote )


Composición del Consejo escolar

el director del centro, que ejercerá de Presidente.

el jefe de estudios del centro.

un concejal o representante del ayuntamiento.

un número de profesores que no podrá ser inferior a un tercio de los componentes del Consejo.

un número de padres y alumnos que no podrá ser inferior a un tercio del Consejo. Entre los padres del Consejo, uno de ellos debe ser designado por la asociación de padres más representativa del centro, y los alumnos pueden ser elegidos para el Consejo a partir de 1º de ESO.

un representante del personal de administración y servicios del centro.

el secretario del centro, que tendrá voz pero no voto.


Quelques conclusions partielles, qui sont loin d’être définitives.
Le système scolaire espagnol est en continuité avec son héritage franquiste. Pourtant, certains de ses aspects, il y a peu de temps encore, étaient paradoxalement plutôt démocratiques ! Les changements sous les ordres de l’OCDE et de Bruxelles ne semblent pas aller vers davantage de liberté. Bien au contraire. Ainsi la loi LRU sur les Universités, copié-collé de Pécresse ou de Berlusconi est directement le produit du processus de Bologne. La revendication traditionnelle « d’autonomie » qui était de mise en Espagne, au Portugal et dans les pays latino-américains a été « recyclée » par la « globalisation-mondialisation » et totalement pervertie. Elle est devenue une arme dont le seul but est d’asservir l’enseignement au Capital financier (aux « marchés », comme on dit…) Aucune réaction en Espagne. Les étudiants et les professeurs commencent à peine à se rendre compte de sa nocivité !

Le licenciement récent (ce n’est pas un cas isolé) d’une professeur de catéchisme par un évêque, au prétexte quelle avait osé se marier civilement avec un divorcé (l’Eglise a finalement été désavouée par la Justice et devra lui payer des indemnités pour licenciement abusif), démontre à l’évidence que la question de la Laïcité est loin d’être acquise en Espagne. L’Eglise catholique apostolique et romaine demeure encore une redoutable puissance politique, « morale » et économique, qui a toujours un statut privilégié, même si elle est concurrencée à présent par d’autres confessions, en particulier les diverses modalités des églises protestantes. Signalons au passage qu’elle possède de puissants intérêts bancaires et industriels, un réseau d’écoles, lycées et collèges « sous contrat » financés par les deniers publics (« concertados »-comme en France grâce à la loi Debré) et des Universités prestigieuses aux mains de l’ Opus Dei, des Jésuites ou des Salésiens (Université de Navarre, ESADE, Deusto etc..)
Quant au statut particulier des langues nationales (ou « régionales » d’après les critères français), il soulève bien des problèmes et des tensions. Contre le franquisme, il semblait évident de revendiquer des statuts particuliers pour la Catalogne, l’Euskadi et la Galice, mais cette revendication même risque de s’avérer problématique. Mais il s’agit déjà d’un autre débat…

Il est évident qu’il n’est pas question « d’idéaliser » le système scolaire de tel pays par rapport à tel autre. L’intérêt de ces comparaisons est de voir avec clairvoyance que le contrôle des salariés de l’enseignement a eu des réponses très diverses suivant les Etats.

Alors que d’aucuns continuent de répéter, sous des formes diverses qu’il faudrait « tout de même » inspecter, contrôler, des enseignants que l’on voudrait serviles, ce n’est nullement une évidence partagée universellement. On ne peut que s’en féliciter. Un enseignement émancipateur pour les enfants ne peut être fait que par des femmes et des hommes libres.


Bibliographie succincte

Gérald Brenan, « Le labyrinthe espagnol » et « Al sur de Granada »

Alejandro Mayordomo, « Société et politique éducative dans l’Espagne franquiste »

Jean-Louis Guereña , « Histoire de l’enseignement en Espagne, du XVIe au XXe siècle »


F. Pallarés Aran, Sud éducation 91, St Michel s Orge, 6 mai 2011


[11. un mouvement culturel authentiquement ouvrier se développe à travers des brochures comme « La Revista Blanca ». Bientôt des romans « prolétariens » à visée pédagogique et de lutte de classes - même si leur valeur esthétique est parfois contestée - ont un écho considérable. Ils sont souvent écrits par des autodidactes comme Féderico Urales (père de la célèbre dirigeante anarchiste, Federica Montseny). On doit à ces auteurs l’usage de prénoms « libertaires » en vogue dans les années 20 comme « Germinal », « Libertad », « Fraternidad » etc. Parallèlement, faisant jonction avec des militants d’Allemagne ou d’Italie, se développe un puissant courant naturiste, végétarien et de phalanstères qui trouve aussi ses échos au Brésil, en Argentine ou en France.

[23 un mouvement culturel authentiquement ouvrier se développe à travers des brochures comme « La Revista Blanca ». Bientôt des romans « prolétariens » à visée pédagogique et de lutte de classes - même si leur valeur esthétique est parfois contestée - ont un écho considérable. Ils sont souvent écrits par des autodidactes comme Féderico Urales (père de la célèbre dirigeante anarchiste, Federica Montseny). On doit à ces auteurs l’usage de prénoms « libertaires » en vogue dans les années 20 comme « Germinal », « Libertad », « Fraternidad » etc. Parallèlement, faisant jonction avec des militants d’Allemagne ou d’Italie, se développe un puissant courant naturiste, végétarien et de phalanstères qui trouve aussi ses échos au Brésil, en Argentine ou en France.