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L’heure de vie de classe en collège une instance démocratique ?

jeudi 27 mai 2010, par Greg

Apparue en 1999 dans l’enseignement secondaire, l’heure de vie de classe a été une nouveauté. Beaucoup d’entre nous l’ont vécue comme une brèche possible dans le mur des rapports frontaux existant entre profs et élèves. La dynamique a faibli quand elle n’a plus été rémunérée, puis quand elle s’est diluée dans l’ordinaire du fonctionnement « normal » des collèges : moment de communication d’informations pratiques (inscription au brevet, formalités d’orientation) pour les uns, petits briefings précédant les conseils de classe ou permettant des échanges dans des moments difficiles pour d’autres 1.

Il est vrai qu’elle partait sur des bases ambiguës [1]. Le but de l’heure de vie en classe oscille entre l’apprentissage du débat, l’évocation des problèmes d’orientation, le règlement des conflits (prévention, médiation), et fournir des éclaircissements sur le fonctionnement du collège [2] [3]
Donc, dès le départ, on ressent le besoin de modifier quelque chose, mais on ne sait pas trop ce que c’est. Seul l’aspect « s’exercer au débat » pourrait se rapprocher d’une préoccupation démocratique.

L’heure de vie de classe : un fourre-tout

Premier ingrédient : médiation, prévention. L’idée est qu’il est préférable de parler plutôt que d’agresser, et créer progressivement une atmosphère d’échanges. Cela correspond certes à un besoin (en collège, la vie quotidienne de nombre d’établissements est pourrie par une suite ininterrompue d’insultes, de vols, de bagarres) mais si l’intention est là, les remèdes ne sont pas indiqués. Ce n’est pas seulement « en parlant », mais en laissant émerger et en construisant à la fois la parole des uns et des autres qu’on peut avancer dans cette voie. Peu d’enseignants y sont préparés : cela signifie ne pas se précipiter pour imposer son point de vue, guider mais pas trop, laisser des élèves prendre en charge le suivi de la discussion… tout un travail, impliquant en profondeur l’enseignant, auxquels ceux qui ont une idée de la pédagogie Freinet ou de la pédagogie institutionnelle qui lui est liée peuvent plus facilement accéder que ceux qui sont juste entraînés à faire cours et gérer les questions-réponses issues du sujet. Cela signifie aussi pouvoir répercuter des « nœuds », des situations de blocage dans l’échange, et pour cela disposer d’une « chambre d’écho », d’une écoute de pairs tirant le bénéfice d’une implication moins directe et simplement d’un regard autre pour aider l’animateur.
Il s’agit en effet d’animation, de psychologie de groupe… bref de mots et de concepts qui font fuir la plupart des enseignants, par manque d’habitude, par manque d’envie ou de formation (« on n’est pas là pour ça », « on n’est pas des assistantes sociales »). Cela traduit une forme de refus d’une fonction éducative plus large que le contenu disciplinaire traditionnel. Qu’on ne voit pas là un jugement négatif vis-à-vis de nos collègues, mais le résultat d’un aveuglement particulièrement fort en France sur les aspects relationnels, communicationnels et psychologiques de nos métiers, que traduit l’absence non seulement de formation mais même d’information dans ce domaine.
De là, deux situations possibles :
– Soit, dans l’immense majorité des cas, il n’y aura pas ce champ de parole collectif permettant aux élèves d’évoluer, mais seulement un peu de débriefing à la suite d’un incident, quelques échanges francs entre enseignants et élèves, notamment avant ou après un conseil de classe trimestriel : c’est toujours mieux que le silence, mais c’est insuffisant ;

– soit quelques enseignants s’attachent à établir des moments réguliers où cette heure est animée par les élèves eux-mêmes (président de séance, donneurs de paroles, autres fonctions) avec un suivi (propositions, « mandat » donné à des élèves ou au professeur principal). Mais nous sommes là dans le domaine psychosocial, celui de l’élaboration des choix, pas dans la prise de décisions pouvant se transformer en action sur le réel, pas dans le « politique » au sens noble du terme.

Et la démocratie là-dedans ?

L’aspect démocratique, on peut le voir :
– dans les procédures annoncées et compréhensibles, et qui sont discutables dans leurs modalités ;

– dans la liberté de parole (« la démocratie, c’est la liberté de parole… ») et le fait de rendre compte du suivi de ce qui a été décidé (« …et la reddition de compte », fin de la citation de Périclès) – Est-ce que le prof principal, le délégué, l’élève lambda est allé voir tel prof, tel chef d’établissement, tel autre élève, pour lui porter le message de la classe-assemblée ? ;

– dans le débat : refus de l’insulte, prise de parole individuelle, écoute, patience pour attendre son tour, recherche d’arguments (attention au risque, dénoncé depuis vingt-cinq siècles, d’une démocratie des beaux parleurs).

Il y a donc des éléments de démocratie… mais il en manque la moitié ! κράτός signifie pouvoir, et une classe de collège « peut peu » ! Amoindrir des conflits entre élèves, oui (et ce n’est pas rien), donner son avis, faire passer une information, mais sinon que peut la classe-assemblée ? Mettre en place un projet ?
Mais les limites sont vite là :
– ni les élèves ni les profs ne sont maîtres de l’emploi du temps, des déplacements à l’extérieur (autorisation du chef d’établissement, des parents), de la nature des interlocuteurs extérieurs (correspondance, venue d’intervenants) ;

– des propositions touchant les apprentissages eux-mêmes (à distinguer des critiques vis-à-vis des méthodes de tel ou tel prof, fréquentes et sur lesquelles il est difficile d’avancer) sont de l’ordre de l’impensable ;

– dans la réalité, il existe une certaine liberté, mais à cause des contraintes matérielles, dont les élèves n’ont pas souvent conscience (coût des projets notamment), le pouvoir de la classe-assemblée (tel qu’il a été institutionnalisé avec l’heure de vie de classe) est limité : un peu comme dans notre démocratie, où l’on peut parler, mais pas décider (la décision est réservée à d’autres : responsables étatiques, chefs d’entreprise).

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La tenue de ces assemblées représente un réel effort de la part de l’enseignant, car malgré tout, la classe « bouge » et il lui faut répercuter auprès de ses collègues et y réfléchir. Faut-il y renoncer au motif que la démocratie n’est là que comme projet – et encore, comme l’un des projets de ce travail ? Faut-il s’y cramponner coûte que coûte, malgré cet obstacle majeur qui fait que tout le reste fonctionne à l’accoutumée, aucun enseignant autre que l’animateur ne se sentant tenu ni même souvent concerné par son existence ? Ne faudrait-il pas essayer de transférer l’idée à d’autres sphères de l’activité professionnelle : si les enseignants se réunissaient par classe, par niveau, par… ce qu’ils voudraient bien choisir comme regroupement, pour organiser leur parole, débattre des soucis petits et grands, ne serait-ce pas utile ? Démocratique ? ■


[11. Il faut dire d’emblée qu’on ne sait pas, ni quantitativement ni qualitativement, ce qui se fait, tant au niveau français qu’européen (« L’école, une communauté d’apprentissage de la démocratie », réalisé par le Conseil de l’Europe et téléchargeable à partir de son site, est un témoignage de cette ignorance).

[33. www.sceren.fr/actualites/ question/ citoyennete ; on y ajoutera avec profit (le bon, celui de nos neurones !) le numéro téléchargeable des Cahiers Pédagogiques « Des heures de vie de classe, pour quoi faire ? » et l’ouvrage d’Arnaud Dubois et de Muriel Wehrung, Professeur principal - Animer les heures de vie de classe, CRDP Amiens et CRAP, 2004..