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Entretien avec Yves Giroud "invité-illustrateur" du n° 37

samedi 18 janvier 2014, par Greg

Chaque mois L’Éducateur, la revue du Syndicat des enseignants romands, propose à ses lecteurs
le « Clin d’œil de Giroud », une lecture en dessin de l’actualité éducative et pédagogique.
N’Autre école a profité d’un échange de mails avec Yves Giroud pour réaliser ce petit entretien afin de découvrir un dessinateur qui vous a accompagné tout au long de la lecture de ce numéro.

Tout d’abord, peux-tu nous présenter ton parcours et nous expliquer ce qui t’a conduit au dessin, et en particulier au dessin de presse « politique » ?

Yves Giroud – J’ai commencé par dessiner dans des revues de jeunes communistes au début des années soixante, dans le cadre de la lutte pour la paix au Vietnam et la lutte anti-franquiste. J’ai ainsi collaboré avec des journaux comme La Voix ouvrière, L’Avant-garde et, après m’être fait exclure du PC pour trotskisme, dans des revues telles que La Brèche et La Taupe Rouge, organes de la Ligue marxiste révolutionnaire en Suisse (dès 1969).

Tu participes à deux publications syndicales et professionnelles, l’une médicale – Le Courrier du médecin vaudois (Bulletin de la SVM), l’autre syndicalo-pédagogique, L’Éducateur (Bulletin du SER) ; comment expliquer ce choix ?

Y. G. – Après cette période quelque peu agitée, j’ai cessé de militer à la LCR et me suis investi dans la lutte syndicale, étant devenu entre-temps enseignant. C’est alors que le journal des Services publics, m’a demandé de collaborer, contre rémunération cette fois, ce que j’ai accepté. Il faut dire que je me refusais de travailler pour la presse « bourgeoise » ou la publicité et c’est la raison pour laquelle j’avais choisi l’enseignement. Je restai ainsi libre de choisir pour qui je voulais dessiner, n’étant pas dépendant des revenus du dessin. Aujourd’hui à la retraite côté enseignement, j’ai gardé mon activité dessin et les deux revues auxquelles je collabore régulièrement depuis une vingtaine d’années. Il se trouve que je me reconnais dans ces revues, même si leur ligne syndicale n’est pas toujours d’une combativité exemplaire ! Quand on est Suisse, on est Suisse…

En ce qui concerne L’Éducateur, où je publie des dessins sans aucune censure, je peux ainsi continuer à défendre certaines positions qui me sont chères en éducation.

Comment travailles-tu avec ces deux revues ? Comment se fait le choix des thèmes ?

Y. G. – Le comité de rédaction décide chaque mois d’un thème présenté sous forme de dossier qu’on me transmet et je réalise un dessin en page 3 dans une rubrique intitulée « Le clin d’œil de Giroud ». En ce qui concerne Le Courrier des médecins, on me transmet l’éditorial que j’interprète à ma façon. Je ne fais pas plusieurs propositions. Il arrive, rarement, qu’une demande de modification soit demandée que j’accepte, ou non.

Sur ton site on peut lire cette présentation de ton travail, signée Michel Eymann, journaliste « C’est rarement méchant… Plus souvent railleur, mais aussi parfois amicalement complice… Giroud continue à être le petit caillou dans la chaussure… tu ne nous fais pas trop mal, mais tu nous obliges à réfléchir… Et si on l’ôtait, ce caillou, si on agissait autrement ? Peut-être que la marche serait plus agréable… » Je trouve que c’est un bel hommage mais surtout une définition très juste de ton style, et toi, comment définirais-tu ton regard sur le monde ?

Y. G. – Il est vrai que mes dessins sont souvent un peu distanciés, à prendre au 2e degré. Je pense qu’on peut parler d’ironie un peu désabusée, mais empreinte (j’espère) d’humanité et de sympathie pour les laissés-pour-compte de notre société. C’est toujours pour moi une forme d’engagement que le dessin. Ce qui m’arrange bien car j’ai beaucoup de peine à me reconnaître dans les formations de la gauche actuelle, même (surtout ?) si je défends les mêmes valeurs qu’à 20 ans.

Tu as également publié un recueil de dessins, peux-tu nous le présenter ?

Y. G. – Un éditeur, actif dans le domaine pédagogique, m’a proposé de publier un album de dessins présentant mon travail de dessinateur de presse de ces 20 dernières années. On y trouve donc des dessins parus de 1983 à 2006 dans la presse syndicale et pédagogique ainsi que dans une revue satirique suisse qui fête actuellement ses cent trente ans d’existence.

Les dessins que j’ai réalisés avant cette date, je les ai malheureusement perdus, parce que je donnais mes originaux pour impression et que je ne les ai jamais récupérés ! On n’était pas très conservateurs en ces temps-là !

En quoi la réflexion et les pratiques de luttes syndicales et de pédagogie émancipatrices te tou­chent plus particulièrement ?

Y. G. – Elles me touchent parce que j’ai enseigné pendant trente-cinq ans et que pendant toutes ces années je n’ai cessé de défendre une école plus démocratique, plus équitable et plus ac­cueillante.

Nous connaissons en Suisse une école très sélective minée par l’évaluationite, rétive aux nouvelles pédagogies et qui chaque fois qu’elle fait deux pas en avant en fait trois en arrière. Elle fait l’objet actuellement d’attaques très dures de la part de la droite populiste qui représente près de 30 % de l’électorat et qui prône le retour à une école basée sur l’ordre et la discipline, discriminante pour les immigrés qui représentent chez nous environ 24 % de la population. Donc, si mes dessins peuvent faire rire et en même temps réfléchir, tant mieux, c’est ma façon de continuer le combat ! ■