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Dispositif CLAIR : l’ambition des uns fait-elle la réussite des autres ?

mercredi 27 octobre 2010, par Greg

« Annoncé par le ministre à l’issue des États généraux de la sécurité à l’École, le programme Clair (collèges et lycées pour l’ambition, l’innovation et la réussite) est expérimenté dès la rentrée 2010.
Il concerne les établissements concentrant le plus de difficultés en matière de climat scolaire
et de violence. Le programme Clair sera étendu à la rentrée 2011, dans le cadre d’un examen
de la cohérence des géographies prioritaires existantes, en liaison avec la politique de la ville. »
Ainsi commence la circulaire n° 2010-096 du 7-7-2010 paru au BO, n° 29 du 22 juillet 2010.

Par Nicole Chosson et Maryvonne Ménez

Cette circulaire s’approprie un vocabulaire et des mesures élaborées depuis des décennies au fil des initiatives prises pour faire face à la massification de l’enseignement, pour « mener à la réussite un ensemble d’élèves qui ne sont pas socialement dotés des propriétés qui laissent attendre une réussite à l’école » pour reprendre une formulation de Françoise Lorcerie [1]. Beaucoup des dispositions préconisées aujourd’hui dans le projet de Chatel existent dans les ZEP qui sont en cours de suppression, mais à la logique de l’éducation prioritaire est substituée une logique répressive. Les termes « ambition, réussite, et innovation », hérités des réflexions menées sous Allègre et Lang ne sont que des leurres. Dans le programme Clair, qui n’est qu’un dispositif contre le conflit et l’absentéisme, nulle ambition au sens de « désir ardent », pas plus désir des adultes que désir des élèves.
Seule transparaît l’ambition des enseignants qui veulent devenir calife à la place du calife.

Clair et Zep

Le programme Clair préconise des « innovations » dans les champs de la pédagogie, de la vie scolaire et des ressources humaines.
Pour la pédagogie, il n’y a… rien en dehors du rappel de la loi d’orientation et de programme pour l’avenir de l’école de 2005. Notons que les innovations jusqu’à présent émanaient des praticiens qui les proposaient au ministère ; aujourd’hui c’est le ministère qui sollicite les innovations… pour les réduire (au sens culinaire) dans son moule. Rien qu’un quotidien de base dont la teinte est obscurcie par le volet « action en faveur de la sécurité des établissements ».
En effet le principal partenaire extérieur mentionné dans la circulaire est la police.

Le recours aux forces de l’ordre qui a longtemps été vécu comme impensable par les enseignants et est encore pour beaucoup considéré comme un terrible échec, est maintenant banalisé, encouragé.
L’enseignement « prioritaire » est désormais « prioritaire pour l’intervention des Équipes Mobiles de Sécurité ».

Pour la vie scolaire, entre autres points, les innovations « s’inspirent d’expériences relatives à des temps d’accueil collectifs ou individualisés des élèves, la gestion et l’aménagement des espaces scolai­res, etc. ». Cette prescription faite aux équipes se réfère indéniablement aux pratiques des Zep et plus anciennement à celles des établissements expérimentaux soigneusement marginalisés pour les rares qui existent, consciencieusement démontés pour le grand nombre qui a fonctionné dans les années 1980.

L’innovation la plus remarquable date des collèges de Jésuites : c’est la réanimation du « préfet des études ». Inutile de s’étendre sur la connotation archaïque et répressive du terme. Quant à la fonction, les CPE, les professeurs principaux, les adjoints de direction seront ravis de voir leur rôle supervisé par ce nouveau personnel (un préfet par niveau) et tous les enseignants se réjouiront de savoir ce qu’ils doivent faire grâce aux directives de ces nouveaux membres de l’équipe de direction qui « pourront bénéficier de la nouvelle indemnité pour fonction d’intérêt collectif… » ; la division et la confusion des tâches entre différentes personnes est, dans les stratégies d’entreprise une manière de renforcer les contrôles, de stimuler la productivité, d’épuiser les salariés mis en concurrence. Par ailleurs, une telle fonction ne semble possible que dans des établissements à effectif réduit (que fera un préfet pour 12 sixièmes ?)

Clair et RES

Une autre innovation de la vie scolaire s’intéresse à la relation avec les familles et témoigne d’une évolution du partage des tâches éducatives et pédagogiques, des rôles de la famille et de l’État, de la frontière public/privé. Ni l’école républicaine ni le lycée expérimental de St-Nazaire n’impliquent les parents dans l’organisation des études, dans les activités de l’établissement. En revanche, tous les projets pédagogiques et surtout ceux concernant les élèves « en difficulté » préconisent un dialogue entre l’école et les familles voire sollicitent une participation de leur part (par exemple création d’ateliers conduits par les parents) ; la relation parents/école est alors respectueuse des prérogatives des parents.

Dans le programme Clair, un « référent parents d’élèves » est installé dans chaque académie, lié à l’utilisation de la « mallette des parents ». Cette mallette a été expérimentée à Créteil dans les années 2008-2009 par le signataire de la circulaire sur le programme Clair, alors recteur de Créteil.

On retrouve cette même mallette dans la circulaire n° 2010-090 du 29 juin 2010 parue au BO du 15 juillet concernant les Établissements de réinsertion scolaire où l’on voit bien que les parents sont plutôt considérés comme défaillants et ayant besoin d’aide. On se passera au besoin de leur avis pour placer leurs enfants perturbateurs dans un ERS…

Pour les ressources humaines « La réussite de ce projet repose pour l’essentiel sur l’investissement et la stabilité des équipes éducatives ».
Il y aurait beaucoup à dire sur le travail en équipe, parfois conseillé par l’inspection mais très rarement facilité par l’administration. C’est en effet l’impossibilité de constituer et de conserver des équipes qui a entravé la réussite de certains des établissements dont il est question ci-dessus.
L’investissement demandé aux enseignants ressemble furieusement à celui que réalisent nombre de nos camarades dans les tâches maintenant imparties au « préfet des études » mais ceux-ci le font sans en retirer de bénéfice de carrière et sans exercer de pouvoir sur les collègues.

L’investissement des équipes est maintenant explicitement stimulé par de misérables récompenses financières (en effet « ils bénéficieront de dispositifs de rémunération complémentaires ») et des promesses de promotion. Engagez-vous, c’est pour cinq ans, renouvelables.
Un des éléments du programme qui fait le plus réagir les syndicats est le profilage des postes, point sur lequel il y a eu des dissensions avec les partisans d’établissements expérimentaux.

Le recrutement dans le programme Clair est fait par le chef d’établissement sur des postes à profil, ceci n’a rien à voir avec ce que voulaient et veulent encore les militants d’éducation populaire qui envisagent la direction comme collégiale et posent le principe de cooptation comme adhésion à certaines postures philosophiques et au projet de l’établissement – projet qui a d’autres ambitions, que le simple respect du socle commun, en matière de culture et de vie scolaire notamment. Les instances et l’organisation des établissements expérimentaux ne sont pas des instruments de contrôle, au contraire du cadre répressif du programme Clair.

Ce dernier institue ce profilage « pour l’ensemble des disciplines et des fonctions » mais le personnel d’entretien ne semble pas concerné par ce profilage : pourtant, qui niera l’importance d’une gardienne attentive, avisée, bienveillante, tolérante, intégrée au quartier, le rôle d’un Atoss capable d’encadrer un élève par la discussion et par l’exemple pratique dans les mesures de réparation imposées aux auteurs de graffitis et autres dégradations ? Dans les projets expérimentaux, le personnel d’entretien est concerné par le profilage.

Conclusion

Nous pourrions ainsi commenter le programme Clair point par point pour démontrer que le programme Clair est un ignoble sabordage par le ministère de nombreuses innovations et investissements de militants et d’enseignants convaincus que la réussite des élèves tient à la confiance qu’ils leur font, laquelle entraîne la confiance en soi, que les stratégies généreuses sont plus fécondes que l’intéressement, que l’exigence n’a rien à voir avec la « tolérance zéro » dont l’inefficacité à été mise en lumière par Russell J. Skiba, dans le cadre même des états généraux de la sécurité à l’école les 7 et 8 avril en Sorbonne à Paris. Comprend qui peut.

Ce qui est clair, c’est que ce programme fait partie d’une politique générale qui ne veut pas du bien au peuple et en premier lieu menace les ZEP. ■

► Ce programme Clair a déjà fait l’objet de réactions diverses, notamment celle de la FTE http://www.association-ozp.net/spip.php?article8758.
Le tract diffusé en juin est lisible dans le dossier CLAIR du site de la CNT éducation


[1Françoise Lorcerie, in Actes de la journée OZP 2010 éducation prioritaire : des réussites confrontées, association-OZP.net/spip.php ?article 8852)