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Darcos ou la pédagogie à coup de matraque

mardi 6 juillet 2010, par Greg

Par Grégory Chambat

Avec un plan media-training de 122 000 euros financé par le contribuable [1], on était en droit d’attendre
de notre ex-ministre une gestion de la communication renouvelée, originale et musclée. Faut dire qu’on partait
de loin : sur le blog de campagne présidentiel de Sarkozy, Darcos s’était spécialisé dans la blague Carambar
(« Comment arrêter un tracteur à quatre bayrous motrices ? »). Depuis, le style s’est affirmé, la stratégie
s’est déroulée, sans véritablement rencontrer d’opposition médiatiquement audible. Tentative de décryptage.

Importé des États-Unis par les conseillers de Sarkozy, avec le succès que l’on sait, le Storytelling [2] (une technique apparue dans les années 1980, sous la présidence de Ronald Reagan, lorsque les stories en vinrent à se substituer aux arguments raisonnés et aux statistiques dans les discours officiels) peut nous offrir une clé d’analyse de la stratégie de com’ du ministère.

Il était une fois...

L’histoire que nous a servie Darcos, c’est celle d’une école livrée aux bandes barbares, ces voyous qui transforment nos établissements scolaires en champ de bataille. Celle aussi de héros, qui, parvenant à obtenir le Bac malgré la sauvagerie généralisée, méritent des médailles de la République [3] (et accessoirement un crédit d’impôt pour les cours particuliers des officines privées). Sans oublier l’histoire des bac + 5 qui changent les couches, celle des profs qui gagnent 4 400 euros par mois...
Darcos nous promet d’écrire un conte de fée qui se passerait dans une classe où l’on se lève enfin pour saluer les adultes, où l’on fredonne La Marseillaise dans les couloirs... loin du cauchemar d’une école abritant de dangereux enseignants extrémistes [4], preneurs d’otages (tiens, une autre lecture possible de La Journée de la jupe ?) encourageant les enfants à se promener un couteau entre les dents..

Toujours en rajouter « une couche »

Derrière ces récits, un tour de passe-passe, ou plus exactement un tour « de force » : transformer l’éducation en terrain d’expérimentation de la répression. Policiers référents, portiques, caméras, brigades d’intervention spécialisées... voilà la solution pour sauver l’école de la crise sociale ou pour combler les vides laissés par le départ de plus de 30 000 de nos collègues en trois ans.

Les raisons d’une success story

Les objectifs sont nombreux. Le rideau de fumée, d’abord, quand les déclarations sur les fouilles et les portiques surviennent le jour même de l’annonce du budget 2010 (16 000 postes en moins) paralysant les réactions syndicales, sommées de se positionner en fonction des seuls délires ministériels.
L’union sacrée et la mobilisation générale derrière le ministère, pour libérer l’école de ses sauvageons et rassembler parents, grands-parents et personnels sous l’étendard de la lutte contre les violences.
La guerre « bacter-idéologique », enfin, pour renverser les valeurs (éducatif / répressif) en étendant le champ d’action et de manipulation du discours sécuritaire, déjà appliqué ailleurs avec tant de succès... et pour s’attirer la sympathie du camp « républicain » et réactionnaire.

Happy end ?

« Résistance », « désobéissance »... le mouvement social commence à imaginer les nouvelles formes de riposte qu’implique la stratégie « marketing » du pouvoir. Il lui manque l’appui des forces syndicales, engluées dans le jeu des petites phrases et surtout incapables d’opposer un discours offensif et inventif. Mais comme le « raconte » si bien Darcos lui-même, « Les enseignants méritent mieux que leurs syndicats ». [5]
Fin de l’histoire ou fin du premier acte ?


[1... et épinglé par la Cour des comptes, voir Canard Enchaîné n° 4511.

[2Storytelling, La machine à fabriquer des histoires et à formater les esprits, Christian Salmon, La Découverte, 236 p., 18 €.

[3Déclaration de X. Darcos
le 15 septembre 2008 sur France Info.

[4« De fait nous avons vu l’extrême gauche prendre des positions fortes dans le système éducatif, nous voyons des coordinations locales, souvent tenues par des militants qui souvent (sic) relèvent de cette politique-là. » X. Darcos, France Culture, 7 février 2009.

[5déclaration du 20 novembre 2008
sur RTL.