Secrétariat international de la CNT

Maroc : interview de Mohamed JELLOUL, secrétaire de l’Espace Syndical Démocratique d’Al Hoceima

Publié le lundi 5 janvier 2009

L'Espace syndical démocratique (ESD) est un syndicat de lutte de classe
situé dans la région d'Al Hoceima (Nord du Maroc). Rencontre avec Mohamed
Jelloul, secrétaire de l'ESD, qui revient sur la réalité de cette région
qu'est le Rif et sur l'expérience atypique d'un syndicat de base aux
antipodes du syndicalisme bureaucratique dominant au Maroc.

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Quelle est l'histoire de l'ESD ?

l'ESD (espace syndical démocratique) a été fondé le 02 février 2003 à
Al Hoceima dans le nord du Maroc. La création de l'ESD est le fruit de longues discussions et débats sur un
double constat.

Tout d'abord la nécessité d'une nouvelle approche d'un syndicalisme basée
sur la prise en compte de la spécificité régionale du Rif. L'ESD est en
effet un syndicat situé exclusivement dans cette région. Cette région est
victime d'une série de transgressions et violations depuis des décennies.
Cela a débuté avec l'invasion espagnole qui a fait du Rif une colonie au
début du XXème siècle. Des massacres systématiques et une guerre sanglante
(années 20) ont jalonné l'histoire coloniale du Rif. Puis à l'indépendance
du Maroc en 1956, l'État marocain a poursuivi cette politique de
répression.

Les différents gouvernements comme les partis politiques
marocains se sont entendus pour piller les ressources naturelles du Rif.
Ils se sont surtout entendus pour maintenir le peuple rifain dans une
situation extrême d'exploitation et de misère. Aujourd'hui encore, le Rif
est sous développé par rapport au reste du Maroc avec une insuffisance
criante d'infrastructures (routes) et d'équipements (hôpitaux, écoles), un
taux de chômage très élevé comme d'ailleurs le nombre d'analphabètes.
Cette réalité explique pourquoi un nombre élevé de jeunes rifains
choisissent la seule alternative possible en terme de survie :
l'émigration.

Autre facteur qui explique la création de l'ESD, c'est notre choix
syndical. Nous voulions, en effet, rompre contre la tendance
bureaucratique du syndicalisme marocain. L'absence de la démocratie
interne, la corruption et le complot et la dominance des intérêts
personnelles au détriment de la classe ouvrière gangrènent le syndicalisme
national. En réaction à cette tendance autoritaire, l'ESD met en avant les
idées d'autonomie des syndicats et des assemblées d'adhérents, le contrôle
des mandatés élus en Congrès et la solidarité interprofessionnelle.

Dans quels secteurs l'ESD est il implanté ?

L'ESD, plus qu'une confédération, est une coordination de syndicats. Une
dizaine de secteurs compose l'ESD avec essentiellement des militants dans
la fonction publique (enseignants et administratifs communaux), la pêche
maritime, le transport public et des travailleurs de la plus grande la
coopérative laitière du Rif. L'organe de coordination de l'ESD est le
Conseil qui est composé des mandatés élus en Congrès mais aussi des
représentants de chacun des syndicats.


Quelles sont les dernières grandes luttes menées par l'ESD ?

J'évoquerai deux luttes. Tout d'abord celle contre la privatisation du
complexe touristique Kimado qui eut pour conséquence le licenciement sec
de tous les travailleurs y travaillant. L'ESD a lancé une longue compagne
de protestation qui a duré 24 mois avec deux mots d'ordre fondamentaux :
le refus de la privatisation du complexe et le maintien des travailleurs.
Cette campagne a abouti à un mouvement de masse avec une grève sur le tas
des travailleurs mais aussi une participation active de la société
civile. Une souscription financière pour alimenter la caisse de grève a
été créée à Al Hoceima. La presse s'est faite l'écho de la lutte. Après
deux années de résistance et de lutte toutes nos revendications ont été
satisfaites. Les travailleurs de Kimado ont été réintégrés et leurs
salaires revalorisés.

Autre grande lutte qui a touché notre région et où l'ESD s'est pleinement
investie : la grève des pêcheurs. Plus de 4000 travailleurs travaillent
dans ce secteur à Al Hoceima et sa zone. Les pêcheurs sont très pauvres,
les salaires sont misérables et ils n'ont que peu de droits. Les ouvriers
de ce secteur ne sont couverts par aucune protection sociale et les
conditions de sécurité ne sont que rarement satisfaisantes. En parallèle,
des groupes mafieux rendent le travail des pêcheurs difficile. Ils
s'adonnent à la contre bande et "mangent" une grande partie de l'espace
maritime exploitable et contrôlent les plages. L'ESD a déjà lancé de
nombreuses grèves afin d'améliorer la condition d'existence des pêcheurs.
Cette lutte est très difficile mais nous poursuivons le combat.


Vous étiez présents à Paris lors du contre sommet Euro-Méditerranée, co organisé par la CNT, en juillet dernier. Quelle est pour vous le sens de l'internationalisme ?

L'internationalisme fait partie des valeurs fortes de l'ESD. Nous sommes favorables à toutes expériences qui permettent une meilleure coordination internationale afin de résister aux offensives du capitalisme mondialisé. C'est pourquoi nous avons répondu à l'invitation de la CNT à participer au contre sommet de Paris en juillet 2008.

Nous sommes conscients qu'aujourd'hui même si les réalités diffèrent d'une région à l'autre du monde, ce sont les intérêts de la classe ouvrière qui sont partout attaqués.

Se coordonner au niveau syndical c'est s'armer afin de résister et renforcer nos luttes.

Propos recueillis par Jérémie BERTHUIN, SI de la CNT.

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