Secrétariat international de la CNT

En Allemagne, un autre syndicalisme est possible.

Publié le mardi 26 juin 2018

Il y a quelques mois, les adeptes de la réforme du capitalisme ont poussé des cris de joie : en Allemagne, c’est possible d’augmenter les salaires et de diminuer le temps de travail. Ouf, le capitalisme est sauvé de la Grande Peur. Mais qu’en est-il concrètement ? Et surtout, au pays du presque plein-emploi précaire, quelles perspectives pour le mouvement syndical ?

local/cache-vignettes/L300xH283/csjuin2018_allemagne_unterbau_icono-6652d.jpg?1526482302En Allemagne, dans le domaine des rapports de productions, c’est le règne du corporatisme et de la cogestion. C’est souvent ainsi qu’est présenté le « modèle allemand » : des syndicats de branche puissants, aux millions d’adhérent.e.s, dont les directions négocient d’égal à égal avec les organisations patronales des conventions collectives avantageuses pour les travailleur.se.s.
Tout le monde est heureux dans ces conditions : les conflits sociaux sont rares, le patronat à l’écoute, le travail bien rémunéré. On recourt à la grève de façon ponctuelle et chirurgicale, ultra suivie et donc archi efficace. Par exemple, en février dernier le syndicat de la métallurgie IG Metall a obtenu au terme de quelques mois de négociation et d’une grève de 24h une augmentation des salaires pour ses adhérents de 4,3 % s’étalant sur les 27 prochains mois et la mise en place de contrats réduisant le temps de travail à 28h.

Pourtant, dans ce paradis social-démocrate, à y regarder de plus près, les fruits sont amers. Repartons de l’exemple d’IG Metall : Superbe démonstration de cogestion, où les 28h obtenues de haute lutte sont 28h travaillées et payées comme 28h. Légalisation d’un nouveau contrat à temps partiel en somme. L’augmentation salariale se fera principalement sous la forme de primes, une de 100€ puis de 400€. Rien de fixe donc. La flexibilité n’est pas combattue, elle est maintenant gérée individuellement par l’employé.e qui « choisit » de travailler 28h, 35h, voire plus.

Et ces « avancées » ne sont pas pour tout le monde : dans une entreprise du secteur de la métallurgie, il n’y a pas que des ouvrier.e.s métallos. Il y aussi du personnel administratif, des employé.e.s de commerce, des agent.e.s d’entretien...Toutes et tous sont syndiqué.e.s dans d’autres organisations. Qui, elles, ne sont pas concernées par les acquis d’IG Metall. Il faut également ôter du champ d’application de cette convention collective les travailleur.se.s intérimaires et précaires, qui constituent aujourd’hui près d’un.e salarié.e sur deux en Allemagne, notamment grâce à l’existence de Werkverträge, « contrats d’ouvrage » où les employé.e.s sont payé.e.s à la tâche comme auto-entrepreneur.se.s. En ce sens, l’Allemagne avec l’aide de ces syndicats, est à la pointe en matière de dérégulation du travail. Et de l’appauvrissement qui en découle.

Alors, d’après les déclarations des dirigeants des principaux syndicats réunis dans le Deutscher Gewerschaftsbund (la Confédération des syndicats allemands, sorte d’intersyndicale permanente et instituée), les travailleur.se.s en Allemagne veulent bénéficier de l’embellie économique. Et les syndicats sont prêts à mener des mouvements « durs ». Mais visiblement pas reconductibles au-delà de 24h. Cette progression par à-coup n’a pas empêché la régression générale des conditions de travail outre-Rhin depuis les réformes Hartz de 2004 et l’acceptation, au nom de la compétitivité, d’une période glaciaire au niveau salarial pendant les années 2000. Si modèle il y a, c’est plutôt dans l’incroyable force d’oppression des travailleur.se.s qu’il faut le trouver. Tout est mis en œuvre par le patronat, les grands syndicats et l’État pour paver « la route de la servitude » des meilleures intentions. Une belle autobahn bien décorée.

Face à ce marasme durable, des organisations émergent hors du champ miné de la cogestion. On connaît déjà la Freie ArbeiterInnen Union (Union des Travailleur.se.s Libres, FAU), qui se constitue dans les années 70 et, malgré des tentatives d‘interdiction de son nom même (à Berlin en 2010), se maintient comme organisation anarchosyndicaliste : syndicalisme de base et autogestion sont ses pratiques. Des syndicats membres de la FAU sont présents sur l'ensemble du territoire allemand et dans de nombreuses branches comme l’enseignement, les médias, les technologie de l’information, la culture, la restauration ou encore la santé. La FAU tient son congrès à Hanovre des 18 au 21 Mai prochains et la CNT-F y est invitée.

Indépendamment de la FAU, à l’université Goethe de Francfort, le syndicat unter_bau est constitué en 2016. Son objectif : améliorer massivement les conditions de vie et de travail à l’université. Sa méthode : syndiquer ensemble toutes celles et ceux qui travaillent à l’université, quelle que soit leur activité (salariée, étudiante-salariée, étudiante) et démontrer la possibilité d’un fonctionnement commun qui ne soit pas soumis aux pesanteurs et prédations hiérarchiques.
Pour cela, tout le monde est « herzlich willkommen » (chaleureusement bienvenu) à participer aux assemblées du syndicat et à s’y impliquer activement. Les décisions sont prises par la base des syndiqué.e.s réuni.e.s en assemblée.

Aujourd’hui fort de 200 adhérent.e.s, unter_bau grandit. Les revendications du syndicat tendent à apporter plus de libertés aux travailleur.es.s et étudiant.e.s de l’université via la sanctuarisation des contrats de travail, et l’orientation des fonds universitaires vers l’action sociale.

Mais unter_bau reste dans le paysage syndical allemand une aberration. En quête de légitimité, car leur mode de syndicalisation n’est pas reconnu, le syndicat a décidé de participer aux élections de l’université, ce qui lui permettrait d’accéder comme collectif organisé au parlement des étudiants, institution des université allemandes qui dispose d’un budget de fonctionnement conséquent, de l’ordre du million d’euros. Quel usage faire de cette somme ? Jusqu’où intégrer les travailleur.se.s de l’université, et notamment les personnels de sécurité dont les missions pourraient relever de la répression ? Ces questions leur furent posées par des camarades de la CNT qui les ont rencontré à l’occasion de leur visite française au mois d’avril. Favorablement surpris par le mouvement d’occupation des universités face au massacre à la macronneuse actuellement à l’œuvre chez nous, les camarades allemands construisent patiemment la résistance dans un pays où les réformes que nous subissons présentement sont actées et, outre-Rhin, ont produit une accentuation terrible de la pauvreté, des inégalités et des dominations.

En tout cas, c’est tout plein d’idées solidaires et internationalistes que nous nous sommes quittés. Avis aux camarades libertaires : si vous êtes de passage à Francfort, vous serez bien reçu.e.s !

Le GT Europe

Article publié dans Le Combat Syndicaliste n°436 (Juin 2018)

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