Les urnes ont rendu leur verdict. Cruel pour certains. Star’Ac démocratique, les vainqueurs, Sarkozy et Royal, ne constituent une surprise que pour les naïfs. C’est avant tout la victoire des idées lepénistes qui ont trouvé un nouveau héraut pour s’exprimer. La relative gifle que reçoit Le Pen est le résultat du transfert de voix de l’extrême droite à la droite… extrême. Et de la propagande incessante que le ministre candidat a déployée au cours des semaines et des mois écoulés.

Mais il ne fallait pas non plus s’attendre à ce que les candidats exotiques, ceux qui n’ont aucune chance, si ce n’est vendre leurs voix au plus offrant, espérant pour les plus fortunés un strapontin sous-ministériel pour bons et loyaux services, ou une circonscription gagnable, soient récompensés de leur zèle républicain. Que ce soient les trois variétés de trotskisme (un luxe certain chez les héritiers de Léon Davidovitch), le défenseur de la ruralité mode Bové ou mode chasseurs, la survivante de la place du Colonel-Fabien ou le vicomte irascible, leur électorat ne dépasse pas les quelques pour cent symboliques, qui ne leur permettent même pas, dans la plupart des cas, de franchir le seuil des 5 % qui les assure de bénéficier de la manne publique. Coup de pub pour rien, ou presque : des dettes et la diffusion de thématiques rabâchées en cours de campagne par tous les candidats, avec des variantes spécifiques comme la rupture avec le libéralisme ou la peur des étrangers

… Au premier tour, il fallait voter utile. Mais utile pour qui ? Pour eux ou pour nous ? Ce serait questionner quelle utilité on voit aux élections, quel espoir fou on peut encore nourrir de voir notre vie changer parce qu’une presque gauche très très pâle est en lice.

Tout ça pour ça ?

Non, ce qui est le plus marquant, c’est que bien avant le premier tour, la droite avait déjà gagné : droite dure lepéniste ou droite décomplexée des « néocons » de Sarkozy, contre droite « chrétienne-sociale » de Bayrou ou de Royal, la dominante de cette campagne a été l’absence totale de réflexion sur les enjeux réels de cette élection. Aucun débat d’idées, aucune prise de position sur ce qui nous touche très directement. Un catalogue de promesses qui ont pour caractéristique de ne jamais être tenues.

On peut relire les principaux axes de leurs programmes électoraux. Cela ressemble à du copier-coller. Que ce soit au niveau du travail, de la santé, de l’éducation, les recettes sont teintées de libéralisme. En gros, encore plus d’avantages pour les patrons, encore plus de sacrifices pour les travailleurs. Évidemment Ségolène n’oublie pas que dans le nom de son parti, il y a socialiste, alors la pilule sera moins amère, il y aura un petit quelque chose pour les plus faibles ; évidemment Nicolas préfère limiter l’intervention de l’État aux fonctions de répression ou d’aides, le libéralisme sachant très bien puiser dans les caisses publiques. Mais nulle part il n’est question de supprimer les primes indécentes des patrons licenciés, les profits honteux et les stock-options scandaleuses. Nulle part il n’est question ne serait-ce que de taxer les plus-values1, nulle part il n’est question que ceux qui produisent la richesse puissent en profiter, autrement que sous forme d’aumône. Nous pouvons juste, en lisant entre les lignes, savoir que se soigner coûtera encore plus cher, que travailler sera encore moins payé, plus précaire. Et que les candidats avancent fièrement l’étendard de la croissance brandi haut et fort, cette croissance supposée fournir toujours plus d’emplois.

Et les petits mots de campagne sont encore plus révélateurs de ce qui nous attend demain. Le retour aux valeurs patriotiques, les symboles de la République, la glorification de leur démocratie qui tous les cinq ans appelle au civisme du vote et qui range ensuite ses attributs jusqu’à la prochaine échéance, on l’a bien vu avec les derniers scrutins où le désaveu total de la politique menée n’a servi à rien. On risque même de voir une désoixante-huitardisation – Mai 68, ce cauchemar de Sarkozy prompt à dénoncer de suite l’esprit de laxisme, tel Paul Reynaud qui sautait de joie à l’idée de pouvoir enfin revenir sur les maigres conquêtes de 1936 à son accession au pouvoir.

La droite est comme toujours animée d’un esprit de revanche contre les feignants de travailleurs et les encore plus feignants de chômeurs. Presque le discours sur l’esprit de jouissance qui perd la France. Telle est la peur de cette mythique classe ouvrière que les pouvoirs successifs se sont toujours acharnés à détruire, en tant que classe, avec la participation populaire, la parcellisation, la mise en concurrence avec les travailleurs africains ou asiatiques, et même entre tous les travailleurs avec l’individualisation du contrat de travail. Telle est la peur des possédants face à ceux qui n’ont rien et qui sont tout.

Les marchandages vont pouvoir commencer. Verra-t-on bientôt un ministre du Front national dans un gouvernement Sarkozy ? Verra-t-on les centristes de Bayrou cohabiter aimablement avec les rescapés du PS ? Les alliances paraîtront contre nature, elles permettront surtout d’éclairer un peu plus les logiques d’appareil pour qui seule compte la conquête du pouvoir. Alors, le 6 mai, que faire ? Voter, ne pas voter ? Pour qui ? Pour celle qui, à première vue, paraît la moins dangereuse, choisissant, comme en 2002 entre la peste ou le choléra, et sachant que le moins pire est toujours préférable au plus extrême, même en abdiquant encore un peu plus notre dignité ? Ou pour le pire, en espérant le réveil d’une classe prolétarienne que l’on dit disparue mais qui arrive encore à se manifester de temps en temps ?

Ou bien en profiter pour une partie de campagne, l’occasion de fourbir les armes d’une lutte qui, quel que soit le nouveau président et ce que l’on peut imaginer de sa nouvelle majorité, sera plus que jamais nécessaire ? Parce que nous ne croyons pas au pouvoir des urnes pour changer nos vies, sauf en pire. Mais au pouvoir de la rue, si nous sommes capables de nous en emparer. Et c’est à cela qu’il faut s’atteler dès maintenant. Les thèmes de la baisse du temps de travail, de l’augmentation des salaires, d’une retraite décente, etc., ont été les grands absents de la campagne. Quoi de plus normal quand les candidats ne font que briguer une place au poste d’organisateur de la domination étatique ? C’est à nous de reprendre le pouvoir en reconstruisant à la base dans nos entreprises et nos quartiers les outils réels capables de créer le rapport de forces : le syndicalisme révolutionnaire.

Réapproprions-nous la parole à travers des pratiques anarcho-syndicalistes. Ya basta !

N.M STE 75

1. Thème développé par ATTAC et repris très largement par la gôche réformiste.