Nous voulons ici donner quelques élé-ments de droit pratique pour l’action syndicale, mais il va sans dire que ce ne sont que des outils dans la construction du rapport de force entre les travailleurs d’uncôté, l’État et le patronat de l’autre, rap-port de force qui reste primordial pour l’obtention de victoires sociales.

Les critères de la jurisprudence

À défaut d’une définition légale, la jurisprudence caractérise la grève comme « la cessation complète, collective et concertée du travail en vue de faire aboutir des revendications d’ordre professionnel ». Cette définition permet aux tribunaux de distinguer :

- la grève licite (hypothèse dans laquelle les critères posés par la Cour de cassation sont remplis et où les salariés font un « exercice normal » de ce droit) ;

- la grève abusive (hypothèse dans laquelle les critères posés dans la définition sont remplis, mais où les salariés exercent « anormalement » ce droit) ;

- les mouvements collectifs illicites, auxquels ne s’appliquent pas les dispositions légales relatives au droit de grève et notamment celles qui assurent la protection de l’emploi des participants.

a) La cessation complète du travail

La grève se caractérise essentiellement par un arrêt total du travail. La forme et la durée de cet arrêt de travail importent peu. La jurisprudence qualifie ainsi d’exercice normal du droit de grève :

— les débrayages, même répétés et de très courte durée, dès lors qu’ils ne procèdent pas d’une volonté des salariés de désorganiser l’entreprise ou de nuire à sa situation économique (Cass. soc., 10 juillet 1991) ;

— les grèves tournantes, qui consistent en des arrêts de travail touchant successivement une catégorie de salariés ou différents services de l’en-treprise (Cass. soc. 14 janvier 1960) sauf si elles désorganisent totalement l’entreprise. (Cass. soc, 4 octobre 1979).

b) La cessation collective et concertée du travail

La licéité de la grève n’est pas subordonnée à l’ampleur (pourcentage ou nombre de salariés concernés) de la cessation collective du travail. Sont admises les grèves qui ne concernent qu’une minorité de salariés (catégorie professionnelle, atelier ou service d’une entreprise, etc.), voire un seul salarié, dès lors que celui-ci obéit à un mot d’ordre national ou qu’il est seul salarié de l’en-treprise. Mais attention, la poursuite de l’action par une minorité de salariés, après un vote de reprise du travail par la majorité (les grévistes ayant considéré leurs revendications comme satisfaites), constitue un mouvement de grève licite uniquement si cette minorité présente de nouvelles revendications.

c) Les revendications professionnelles

Cette notion est très large, puisque sont considé- rées comme des revendications professionnelles celles portant sur les rémunérations, les condi- tions de travail, la défense de l’emploi, les droits syndicaux, les projets de restructuration ou de licenciements économiques, etc. Par ailleurs, les revendications des salariés peuvent dépasser le simple cadre de l’entreprise (grèves générales nationales, pour les salaires ou les retraites, par exemple).

En ce qui concerne les grèves « politiques », il est admis que les grèves « mixtes » (sur des revendications qui revêtent à la fois un aspect politique et un aspect professionnel, par exemple une grève contre la politique économique et sociale du gouvernement) sont licites. En revanche, seront considérés comme des mouvements illicites ceux qui revêtent un caractère purement politique, sans rapport aucun avec des questions d’ordre professionnel.

Un autre cas spécifique est celui des grèves de solidarité. Celles-ci, qui ont pour but de défendre les intérêts d’autres salariés, par exemple pour protester contre des licenciements, ne seront lici- tes que si les grévistes peuvent se prévaloir d’un intérêt collectif, de revendications professionnelles les concernant eux-mêmes.

Les modalités de la grève

a) Le déclenchement

Dans les entreprises privées, la loi n’impose aucun préavis. De plus, selon les juges, une convention collective ne peut limiter ou réglementer, pour les salariés, l’exercice du droit de grève. Seule la loi peut créer un délai de préavis, une procédure préalable de conciliation ou d’attente, qui s’impose aux salariés. Les clauses des conventions collectives qui ont pour objet de réglementer ou de limiter le droit de grève ne leur sont donc pas opposables.

Mais pour que le mouvement collectif soit licite, il faut que l’employeur ait eu connaissance des revendications des salariés. Toutefois, ces derniers n’ont pas à attendre la décision du chef d’entreprise pour déclencher le mouvement, ce qui autorise les grèves « surprises ».

b) Le déroulement

Au cours d’un mouvement collectif licite, les grévistes peuvent org aniser des piquets de grève ou procéder à l’occupation des lieux de travail. La participation à un piquet de grève n’est pas automatiquement fautive, dès lors que les salariés ne se sont pas rendus coupables d’entraves à la liberté du travail ou de voies de fait. De même, l’occupation des lieux de travail, lorsqu’elle se prolonge ou qu’elle constitue une entrave à la liberté du travail ou une voie de fait, peut être considéré comme une faute lourde.

La grève, puisqu’elle est une arme, un outil mis à la disposition du producteur, ne peut aboutir que si ce producteur sait se servir de l’outil. Que vaut, en effet, une machine perfectionnée mise dans les mains d’un ignorant et d’un incapable ? Rien. Que peut la grève, outil excellent, si l’ ouvrier ne sait pas la manier ? Rien. Entre des mains habiles, la mac hine est puissante et produit ; utilisée par des producteurs conscients et forts des combats soutenus, la grève est efficace et réussit.”

Victor Griffuelhes, Le syndicalisme révolutionnaire– 1909