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Privatisation des transports ferroviaires en Suède : ce qui nous attend

dimanche 22 juin 2014, par Emile

Les Médias n’en parlent pas, mais pendant que les cheminots Français sont en grève, en Suède les cheminots entament leur deuxième semaine de grève ... contre l’opérateur français Véolia !

Face au désastre de la privatisation sauvage du rail en Grande-Bretagne, la Suède est montrée en modèle au sein de l’Union européenne d’une « libéralisation contrôlée ». La grève actuelle montre bien qu’on a affaire à un mythe, éclairant en ces temps de « réforme ferroviaire » en France.

On va avoir droit dans la presse aux poncifs sur la « culture du conflit » en France, idéologique et particulariste, face aux mythifiés pays nordiques où règne une « culture du compromis », empreinte de pragmatisme et d’intérêt général.

Manque de chance, au moment où le mouvement se construit en France contre la réforme ferroviaire, la Suède connaît une grève dans le secteur du rail qui paralyse déjà depuis deux semaines toute la partie méridionale du réseau et menace désormais de s’étendre à tout le pays.

De la casse des Chemins de fer suédois, à l’ouverture à la concurrence puis la privatisation : un avertissement

Le système ferroviaire suédois est semi-privatisé.

Tout a commencé en 1988 par la séparation de l’infrastructure confiée à BV (Rail national suédois) et maintenu dans le giron public, et un opérateur SJ (Chemins de fer suédois) public, fragmenté en 2001 en sept entreprises, une partie d’entre elles privatisées depuis.

Il a fallu néanmoins attendre 2010 pour que le gouvernement décide de mettre fin au monopole public de SJ sur le transfert de passagers intérieur.

Depuis 2010 : une série d’opérateurs privés ont fait leur apparition, comme la Deutsche Bahn allemande dans les lignes du nord ou le luxembourgeois CFL pour le fret à partir du Goteborg.

Toutefois, le principal investisseur reste le français Veolia qui s’est emparé en quelques années de plusieurs lignes de trains inter-régionaux (ex : Stockholm-Goteborg), des lignes trans-frontalières avec la Norvège ainsi que la majeure partie du réseau méridional suédois.

Véolia, enfer des cheminots suédois : le règne du contrat « zéro heure »

Quelle conséquence de cette introduction de la concurrence pour les salariés ?

La réponse vient du mouvement de grève lancé ce lundi 2 juin sur la « ligne sud » (Södra Stambanan) reliant Malmo à Linkoping, la 4ème plus importante en taille du pays, paralysant le trafic pour 75 000 passagers.

La mobilisation est partie de 250 travailleurs, allant des contrôleurs aux conducteurs de train : ce qu’ils reprochaient à Veolia, d’avoir résilié leur contrat à temps plein, avec droits garantis pour les ré-embaucher par la suite en contrat « zéro heure ».

Des contrats « zéro heure » qui, rappelons-le, permet à l’employeur de confier des tâches à la mission à un salarié, payé à la tâche … et bien sûr non-payé entre-temps, soumis à la volonté despotique de son patron. La précarité ultime.

Le syndicat réputé combatif SEKO (Syndicat des services et communications) dénonce cette situation et pose deux revendications :

• limiter le nombre de travailleurs temporaires autorisés à être utilisés dans l’année (maximum de 40 000 h),

• qu’une année d’emploi temporaire conduise à un recrutement en contrat stable.

Vers un élargissement de la mobilisation

Ces revendications, pourtant modestes, ont pour l’instant reçu une fin de non-recevoir de la part de la confédération patronale ALMEGA et de l’entreprise française Veolia.

Le mouvement va entrer désormais dans sa deuxième semaine de grève, il devrait s’étendre : « Nos négociateurs n’ont pas avancé, donc nous devons étendre l’action et faire monter la mobilisation » a confié le dirigeant syndical Erik Sandberg au journal suédois The Local.

Des trains ont déjà cessé de circuler sur la ligne Malmo-Stockholm, le syndicat a annoncé son intention de lancer un mouvement de grève à Stockholm à partir du 20 juin, s’il n’obtenait pas satisfaction, en pleine période de vacances estivales.

Le mouvement de grève qui impliquait à l’origine 250 salariés en touche à présent plus de 1 260.

70 % des Suédois favorables au retour au monopole public !

Certes, le patronat, la presse locale essaient de monter les usagers contre les cheminots utilisant l’argument économique (« 2 millions de pertes par jour »)… et celui éculé de l’écologie (la pollution causée par la hausse du trafic sur le port d’Oresund, si !).

Toutefois, cette campagne médiatique que nous connaissons si bien en France ne semble pas marcher en Suède. Car, bien que l’expérience soit courte, la dégradation du service est déjà sensible depuis l’ouverture à la concurrence.

Le système ferroviaire suédois, réputé pour être un des plus efficaces, fiables, égalitaires d’Europe, semble se déliter dangereusement : retards de plus en plus fréquents, hausse des tarifs, sous-investissement, inégalités entre régions.
Ainsi, les comptes-rendus mettent en avant le soutien apporté par les usagers de Malmo, principale ville du sud du pays frappée par la grève, aux travailleurs en lutte.

Un sondage récent dans le quotidien suédois Dagens Nyheter montre même le haut niveau de conscience de la population suédoise, dépassant les mots d’ordre du syndicat des transports.

En effet, 70 % des Suédois se déclarent favorables à la réintroduction du monopole public sur les chemins de fer. Un camouflet pour les partisans zélés de la privatisation du rail !

Serait-ce tabou de dire que les « réformes ferroviaires » de libéralisation-privatisation ont conduit à des échecs, qu’elles unissent cheminots et usagers dans la volonté de retour au monopole public ?