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Coronavirus. Témoignage d’un soignant

Debrief de l’Hôpital

dimanche 22 mars 2020, par cnt66

Debrief de l’Hôpital
Ni héros ! Ni soldats ! Ni guerriers !

Simplement personnel soignant ….

Vous pouvez bien taper sur vos casseroles, faire tout le bruit que vous voudrez tous les soirs, partager toutes vos belles publications de solidarité ou de reconnaissance, vous pourrez toujours relayer les appels à rester chez soi en signe de solidarité, chez les soignants, quand on passe le contrôle thermique, on est tous tous seuls !
Qu’est ce que je fais si elle me dit 38.5°C ? Où je vais ? Qui s’occupe de mes gosses ? Comment je leur dis ?

Aujourd’hui le monde a besoin du système de santé, on est des héros ! Aujourd’hui vous avez peur pour votre santé, celle de vos proches, on doit nous soutenir !
Mais hier ? Hier, le 5 décembre ? Hier le 5 décembre on était des réfractaires, des réactionnaires qui s’attachent à des privilèges injustes et indus ! Hier quand on manifestait pour s’opposer à une énième fermeture de structure de proximité, à des réductions d’effectifs, hier on était des gauchistes passéistes qui refusent de voir évoluer un hôpital qui ne sait générer que déficit, qui endette toujours plus une nation qui se rêve dans l’ultralibéralisme.

Aujourd’hui ma vie elle était bien loin de ça. J’ai fait ce que j ai pu quand on m’a demandé conseil pour aider une équipe de soignants à domicile à ne pas paniquer face à une situation qui les met en danger à chaque instant. Comment on rentre au domicile de tout un chacun, comment on essaie de se construire un sentiment de sécurité avec un masque et une fiole de gel hydroalcoolique ? Comment on fait pour se sentir en sécurité ? Putain j’en sais rien, la sécurité c’était avant, maintenant j’en sais rien. Je les rassure, sûrement que je leur mens. Qu’est ce que je peux faire d autre ? Je me mens à moi-même chaque jour pour pas partir en courant.

J ai fait ce que j ai pu quand j ai vu cette détresse dans les yeux de ma collègue qu’on passe en surveillance horaire parce qu’au contrôle elle est à 37.8°C. Elle me croit pas parce qu’elle voit bien que moi non plus je ne crois pas à ce que je raconte... Je lui parle de grippe, de probabilité, de défense immunitaire de statistiques, elle, elle ne m’entend plus depuis déjà 3 minutes. Une larme. Je fais comme si je n’avais pas vu.

J’ai fait ce que j ai pu pour expliquer à cette patiente démente qu il fallait qu’elle garde son masque sur le visage. J’ai fait ce que j ai pu pour aider ces deux ambulanciers désemparés de devoir la transférer dans les couloirs de l’hôpital, toussotant, son masque à la main.

J’ai fait ce que j’ai pu pour aider ces deux ASH d une société prestataire qui sont venues pour désinfecter la chambre. J’ai essayé de les rassurer alors que la seule chose à laquelle elles pensaient c’était de ne pas déchirer leurs gants. J’ai tenté de les rassurer pendant qu’elles essayaient gauchement de remettre en place leurs lunettes sans toucher leur visage, quand elles n’arrivaient plus à se persuader que ce papier qu’elles utilisent pour éponger la sueur qui coule de leur front n’avait pas été souillé.

Ma journée, elle n’a pas été facile. Mais je me plains pas, on est encore qu’au tout début des contagions chez nous. On ne nous a pas encore demandé d’aller annoncer et expliquer aux familles les décisions de régulation ; pourquoi on ne fera rien pour tel patient, parce qu’il n’est pas considéré comme prioritaire.

Ce soir je suis chez moi, suffisamment éprouvé pour écrire ces anecdotes, pas encore suffisamment épuisé pour laisser l’alcool et le sommeil les effacer. Ce soir une de mes filles a perdu une dent. Ce soir je vais passer une pièce au gel hydro pour me rassurer avant de la glisser sous son oreiller, sachant très bien que tôt ou tard elle aussi sera touchée par ce virus, qu’on ramènera à la maison, ma femme ou moi. Peut être qu’elles seront contaminées dans les écoles où on doit les faire garder pendant qu’on vous aide à pas crever.

Tapez dans vos casseroles, gueulez à vos fenêtres, on vous emmerde !

Pour nous prouver votre solidarité et votre soutien, pensez à nous quand on nous enterre, pas quand vous avez peur !