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L’opération « triangle jaune » pour les SDF.

vendredi 5 décembre 2014, par Emile

L’opération « triangle jaune » pour les SDF. Éléments d’une analyse

Jean-Pierre Cavalié, Délégué national de la Cimade en sud-est

Pour rappel : La Ville de Marseille a mis en circulation les triangles jaunes : la carte de secours pour les SDF de Marseille : un triangle jaune à porter sur soi ou sur son sac, de façon visible, pour indiquer ses pathologies, allergies, etc... (Mode d’emploi). 150 cartes ont déjà été distribuées. La présentation en a été faite publiquement, devant les médias locaux dont les TV, par l’élu en charge du dossier, en présence du conseil municipal et du maire, Mr. Gaudin qui a également pris la parole.

2 vidéos à regarder absolument - elles sont courtes - :
Présentation de la carte de secours par le responsable du 115 :

http://france3-regions.francetvinfo.fr/provence-alpes/2014/10/23/marseille-le-samu-lance-une-carte-de-secours-pour-les-sdf-577064.html
Interview de l’élu en charge de la question M. Méry :
http://www.marseilletv.fr/sitevideo/jsp/site/Portal.jsp?document_id=2179&page=viewdocument&viewdocumenttype_id=2

Il est important de diffuser des informations sur certains faits qui méritent notre attention. Il est tout aussi fondamental d’échanger sur la compréhension que nous en avons, car les faits ne parlent pas d’eux-mêmes. Le propos de ces quelques lignes est uniquement de partager des éléments d’analyse. Nous ne voulons pas en rajouter, mais en même temps nous nous refusons à banaliser cet événement qui nous semble tout à la fois grave et emblématique de la situation idéologique actuelle, face à la pauvreté et l’exclusion sociale.

1- Le triangle symbole du danger :

Beaucoup ont tout d’abord cru à un canular digne du 1° avril, tellement cela paraît énorme, car évidemment tout le monde fait automatiquement le lien entre le triangle jaune et l’étoile jaune dont les Nazis ont affublé les Juifs lors de la seconde guerre mondiale. Plusieurs films ou séries par mois sur le sujet ; il est difficile de passer à côté. Mais nous pouvons faire le crédit que celles et ceux qui l’ont imaginé n’ont pas fait le lien dans leur tête avec l’étoile jaune.

Certes, le triangle pourrait être la moitié d’une étoile, mais je crois surtout qu’il est d’abord, dans nos sociétés très codifiées, associé à la couleur rouge, l’emblème d’un danger. C’est ce que le code de la route nous apprend à repérer et respecter, dès lors que l’on circule. Ces panneaux, il y en a partout, alors certains penseront que du coup on ne les voit plus. Peut-être, mais on les perçoit et on les reçoit, même lorsque le message ne passe plus par la conscience.
Alors, l’opération n’est pas à caractère raciste, c’est certain, mais elle a les ingrédients de la stigmatisation des nouvelles "classes dangereuses" qui, historiquement ont aussi abouti à des horreurs. La pauvreté est déjà visible, nous le savons, mais, en posant comme règle d’avoir à porter le triangle jaune extérieurement et à la vue de tous, son « mode d’emploi » en fait une sorte de surligneur fluo indécent, bien loin du respect de la dignité.

S’il s’agit-il simplement d’une maladresse de techniciens du social ? Sans avoir tous les dessous de l’histoire, il me semble que si elle n’avait été qu’une démarche technique, elle serait restée dans l’ombre. Au lieu de cela, les vidéos montrent clairement une mise en avant, pilotée et médiatisée par le maire et le conseil municipal de Marseille. Il s’agit donc bien d’une opération de communication politique. Est-elle également politicienne dans un contexte où le FN a déjà un maire de quartier à Marseille, et plusieurs autres dans la région ? S’agit-il de faire la course dans ce sens-là, de prendre des mesures que cette opposition serait censée prendre, dans le but de lui barrer la route ? Nous ne pouvons l’affirmer, mais la question mérite d’être posée.

2- La banalisation en route :

J’ai envie de faire le lien entre cette opération et une autre opération test, à valeur nationale (cf : Le Monde Diplomatique nov. 2014), qui est menée actuellement à Marseille dans les bureaux de la CAF. Ils ont été fermés au public et remplacés par des machines extérieures auxquelles les personnes affiliées, dont beaucoup se trouvent en difficulté, sont obligés de faire la queue, dehors, sur des dizaines de mètres, quel que soit le temps et l’état de santé des personnes... Ils ne sont plus « que des nombres » disait une fameuse chanson évoquant le brouillard.

Alors, il me vient en mémoire la lumineuse analyse d’Hannah Arendt sur la « banalité du mal », la banalité apparente de certaines mesures, la banalité des personnes qui les prennent et les exécutent. C’est cette banalité qui est le terreau du fascisme. Le mot fait peur, oui, je sais, à tel point que certain-e-s se refusent à l’employer. En disant cela, je ne traite pas de fascistes les personnes qui ont pensé et mise en œuvre cette opération, je dis que celle-ci est une pierre supplémentaire dans un processus de banalisation grandissante de la déshumanisation de personnes placées dans des catégories sociales stigmatisées. Or, de grands analystes nous ont avertis : dès que l’on cesse de considérer l’autre, quel qu’il soit, comme un semblable en humanité, on peut aller jusqu’à lui faire subir les pires horreurs.

Dans la continuité avec cette remarque, je dois dire que j’ai été étonné de la réaction de personnes que l’on sait très humaines, voire engagés, et qui ont d’abord eu tendance à n’y voir qu’une "maladresse". Il n’y a pas de critique personnelle dans mes propos, mais j’y vois un signe de cette banalisation qui guette chacun-e d’entre nous.

3- Le syndrome de la catastrophe :

Nous sommes toujours tentés par le "syndrome de la catastrophe" qui a été évoqué au sujet de la crise climatique : Pendant la période où s’amoncellent les signes d’une grave crise, on a tendance à la nier, à relativiser tout ce qui nous permettrait de les lire comme avant-coureurs d’un grand danger. Et quand il n’est plus possible de nier cette crise, on dit : Oui, tout cela est vrai, mais on ne peut plus rien y faire. Ce syndrome nous guette aussi face aux dérives politiques.

4- La mobilisation des personnes concernées

Un autre fait marquant de cette affaire, est la mobilisation des personnes concernées, à travers leur collectif nommé « jugement dernier ». Sans doute évoque-t-il le fait que certaines personnes s’arrogent le droit de promettre le « paradis sur terre » à ceux qu’ils jugent « bons » ; et de condamner ceux qu’ils jugent « mauvais » à « l’enfer sur terre ». Nous nous sentons solidaires d’eux pour dénoncer et rejeter toutes les formes de stigmatisation et d’exclusion. Et si l’on tient vraiment au triangle jaune et rouge, c’est sur certains projets politiques qu’il faudrait éventuellement le mettre. Les dits SDF ne sont pas un danger, ils sont en danger. La seule parade est une société qui exclut la misère, pas les pauvres ; et ce n’est sûrement pas par la charité que l’on y arrivera, mais par le partage et la justice ; ça n’est pas si compliqué quand on le décide.

Marseille le 2 déc. 2014 - Jean-Pierre Cavalié
Délégué national de la Cimade en sud-est

http://www.millebabords.org/IMG/pdf/analyse_op._triangle_jaune.pdf

http://www.millebabords.org/spip.php?article27123

Voir aussi : http://www.millebabords.org/spip.php?article27130


Le collectif « le jugement dernier », créé pour dénoncer cette action de la mairie, appelle à mobilisation le mercredi 3 décembre à 11h devant la mairie.

Faisons-nous un appel à mobilisation, pour soutenir ce mouvement ?

Communiqué du collectif : LE JUGEMENT DERNIER

L’élu précarité de la Mairie de Marseille, le SAMU social et la compagnie d’assurance privée AG2R la mondiale veulent faire porter aux personnes sdf de la ville des badges.

Sur ce badge qui doit être attaché à l’extérieur et être visible sera écrit le nom, le prénom et le prénom de la personne et le numéro de sécurité sociale.
Il y a aura aussi les maladies chronique que la personne a comme le diabète, l’insuffisance cardiaque, mais aussi le VIH et la Schizophrénie.

QUELLE EST VOTRE EXCUSE ?

Quand arrêtera-ton de les stigmatiser ?

Quelle est la logique de ce dispositif ? Qui donc pilote cette expérience, quel est le texte de loi qui l’encadre ? Et de de quel constat naît cette expérience ?

Nous ne pouvons accepter cette discrimination et nous appelons à un rassemblement pour que ce dispositif soit supprimé.
mercredi 3 décembre 2014 à 11h
devant la mairie de Marseille sur le vieux port
contact : Arnaud 06 46 35 74 17

Qui sommes-nous ?

Le collectif « le jugement dernier » a été créé par des personnes sans abri pour dénoncer ce dispositif qui nous rappelle les heures les plus sombres de notre histoire… !!!