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LOI SUR LA REPRÉSENTATIVITÉ SYNDICALE DANS LE SECTEUR PRIVÉ

vendredi 23 janvier 2009

Synthèse et analyse pour la compréhension des militants

Signification des abréviations : DS = délégué syndical OS = organisation syndicale DP = délégué du personnel CE = comité d’entreprise DUP = délégation unique du personnel RSS = représentant de la section syndicale

PRÉAMBULE : LE CONTEXTE POLITIQUE DE CETTE REFORME ET LE POSITIONNEMENT DE LA CNT.

Dès 2006, le gouvernement dominé par Villepin et Chirac décide de se mettre à la mode du « dialogue social » en mettant en place un agenda de négociation tripartite (État-syndicats-patronat) sur des thèmes choisis par le gouvernement. L’un d’eux est celui de la réforme de la représentativité des syndicats. Ceux-ci viennent de montrer lors de ce qu’on a appelé de façon réductrice « le mouvement anti-CPE », qu’en suivant mollement la jeunesse mobilisée, ils peuvent contribuer à une mobilisation de masse. Pourtant les protagonistes de l’UMP remplacés ensuite par le duo Sarko-Fillon les juge « trop faibles » et donc « trop nerveux ». En somme, malgré le faible nombre de syndiqués en France, une partie des syndicalistes sont encore trop militants et pas assez institutionnalisés au goût du gouvernement.

Des négociations se sont alors engagées, marquées par une foire d’empoigne entre les syndicats qui veulent chacun mettre en avant une élection où il pense pouvoir gagner : pour Solidaires (SUD) c’est les élections prud’homales et Fonction publique, pour FO c’est la Sécu, pour la CFTC c’est l’activité à la base (!) Mais finalement la CGT, la CFDT vont coiffer tout ce petit monde sur le poteau en adoptant une « position commune » courant 2008, signée avec le Medef et la CGPME, et qui va servir de base à la loi votée fin juillet. Après le scandale de l’UIMM (patronat de la métallurgie), qui a révélé les pratiques de corruption des associations patronales, et la collusion avec certaines organisations de salariées, cette réforme, y compris dans son volet comptabilité ne concerne pourtant que la représentativité des syndicats de salariés.

Le résultat est que les 5 « grands » (CFDT, CGT, FO, CGC, CFTC) vont maintenant devoir prouver leur représentativité comme les autres, et ne le seront plus automatiquement à tout moment et en tout lieu. En droit, nous sommes donc sur un pied d’égalité, même si dans les faits, il sera certainement toujours plus dur pour une section CNT de s’imposer. Pour les grosses ou les vieilles machine syndicales, l’heure est à l’inquiétude et pour certaines au regroupement : Unsa avec CGC ? FO avec CFTC ? (pour la CGC, la réforme prévoit des dispositions spéciales pour que sa représentativité soit évaluée seulement à partir des collèges de cadres, comme le SNJ pour les journalistes).

Face à cette tentative d’institutionnaliser d’avantage les syndicats en conditionnant leurs droits à leur résultats électoraux afin qu’ils se comportent d’avantage en représentants « responsables » qu’en militants actifs dans le but de creuser d’avantage le fossé existant parfois entre eux et les autres travailleurs, la CNT, organisation anarcho-syndicaliste et syndicaliste révolutionnaire, était obligée de faire des choix difficiles : au congrès de Lille en septembre 2008, tenant compte des lourdes difficultés actuelles du syndicalisme d’entreprise à s’implanter dans des entreprises de plus en plus morcelées par les montages financiers, et où la répression rend bien souvent nécessaire l’utilisation d’outils juridiques pour protéger les militants, les syndicats de la CNT ont décidé de s’accorder la possibilité dans le secteur privé de participer aux élections professionnelles dans le cas où la survie de leurs sections syndicales serait menacée. Ils soulignent cependant les dangers de l’électoralisme syndical et de la cogestion, et décident d’effectuer un suivi et un bilan régulier des expériences syndicales après cette réforme d’août 2008.

Afin d’adopter une stratégie efficace pour le développement de sections anarcho-syndicalistes dans le privé, il est nécessaire de s’approprier ce nouveau cadre institutionnel, puisqu’il s’agit d’un bouleversement majeur du droit syndical :

I. LE DROIT AVANT LA RÉFORME

En préambule, il peut être utile de rappeler qu’être « représentatif », pour une section syndicale CNT ne signifie pas quémander le respect du patron, ou autre pratique de cogestion servile. C’est avant tout la possibilité de nommer un ou plusieurs délégués syndicaux qu’on ne puisse licencier sans autorisation de l’inspection du travail, et ce qui permet d’avoir des droits syndicaux de base (affichage, heures de délégation, etc.) et de pouvoir négocier et signer des accords et donc d’obtenir des progrès sociaux, à condition d’établir un rapport de force réel, et de ne pas négocier dans le dos des salariés.

Avant la réforme, c’était plus simple. 5 syndicats (CGT, CFDT, CFTC, FO, CGC) bénéficiaient d’une « présomption irréfragable de représentativité », c’est-à-dire qu’il pouvait nommer partout et à tout moment un délégué syndical, quand bien même celui-ci était tout seul, sans qu’on puisse contester sa représentativité. Les autres syndicats pouvaient également déclarer en lettre recommandé avec A/R une section syndicale dans une entreprise en désignant un délégué syndical mais avec le risque que cette désignation soit contestée devant le tribunal d’instance dans les quinze jours par les autres syndicats s’il y en avait et plus souvent par l’employeur. Pour ces syndicats devant faire leur preuve, comme la CNT, il leur fallait remplir les critères suivants, qui généralement se renforçaient les uns les autres, mais qui n’étaient pas cumulatifs (article L. 2121-1 du Code du Travail qui va être modifié par la réforme) :

- les effectifs ;
- l’indépendance
- les cotisations ;
- l’expérience et l’ancienneté du syndicat ;
- l’attitude patriotique pendant l’occupation.

Un autre critère non inscrit dans la loi, était de plus en plus pris en compte par les juges. C’est celui de l’audience, mesurée par les résultats aux élections professionnelles : comité d’entreprise (CE) et délégués du personnel (DP) (ou délégation unique du personnel (DUP) quand les deux sont fusionnés).

Ces élections sont obligatoirement organisées par l’entreprise (à partir de 11 salariés pour les DP, et à partir de 50 salariés pour les CE) et visent à élire des représentants du personnel qui, depuis 2005, sont élus et non révocables pour une durée généralement de 4 ans (sauf accord d’entreprise).

Le critère de l’audience, sur le mode de la démocratie politique représentative, on va le voir, devient dans la réforme le critère déterminant pour l’obtention de la représentativité.

II. LA RÉFORME

1. Les critères de la représentativité après la réforme (article L. 2121-1)

Certains critères ont été modifiés, et d’autres ajoutés. Nous les développons dans la suite du texte, mais en voici la liste :
- le respect des valeurs républicaines ;
- l’indépendance ;
- la transparence financière ;
- le syndicat d’où est issue la section doit avoir deux années d’ancienneté dans le champ professionnel et géographique couvrant l’entreprise (ou la branche, ou l’interpro) ;
- l’audience ;
- l’influence, prioritairement caractérisée par l’activité et l’expérience
- effectifs et cotisations.

2. Le critère du respect des valeurs républicaines

Lors des négociations sur ce projet de loi, notamment à la demande de la CFTC et du patronat, devait être inscrit dans les « valeurs républicaines », le « rejet de toute action violente » ce qui nous aurait probablement posé des problèmes. Mais ça a été abandonné. Dans le projet de loi, le Sénat en première lecture avait prévu de détailler par « le respect de la liberté d’opinion, politique, philosophique ou religieuse ainsi que le refus de toute discrimination, de tout intégrisme et de toute intolérance » (le but étant selon les sénateurs, d’empêcher la création de syndicats type FN Police ou FN pénitentiaire), mais cela a été abandonné aussi comme étant « trop limitatif ». Il ne reste plus que le terme générique, et ce sont les juges qui vont l’expliciter dans leur jurisprudence.

3 Le critère déterminant : celui de l’audience, fondé sur les résultats aux élections professionnelles (DP, CE, DUP)

a. Dans l’entreprise ou l’établissement

L. 2121-1. Est reconnu représentative l’OS (organisation syndicale) qui remplit les critères précédents et qui obtient 10 % des suffrages exprimés au premier tour des élections des membres titulaires du CE ou de la DUP, et, à défaut, des élections de DP. À noter : au niveau de tout ou partie du groupe est reconnue représentative l’OS, qui obtient 10 % de l’addition de l’ensemble des suffrages obtenus dans les entreprises ou établissements concernés.

b. Dans la branche

• L. 2122-5. Est reconnue représentative l’OS qui :
- répond aux critères du L. 2121-1 ;
- a une « implantation territoriale équilibrée » ;
- totalise en moyenne 8 % des élections par addition des résultats des élections dans les entreprises de la branche (la mesure est faite tous les 4 ans).
• L. 2122-6. Cas particulier : dans les branches où plus de la moitié des salariés sont dans des entreprises trop petites pour avoir CE ou DP, une négociation pour des mesures spéciales doit aboutir à une loi avant le 30 juin 2009. D’ici là sont représentatifs ceux représentatifs au ni-veau national, et ceux satisfaisant aux critères sauf celui de l’audience.

c. Au niveau national et interprofessionnel

L. 2122-9. Est reconnue représentative l’OS qui :
- répond aux critères du L. 2121-1 ;
- est représentatif dans des branches des secteurs de l’industrie, de la construction, du commerce et des services ;
- totalise 8 % en moyenne des résultats aux élections dans les entreprises sur tout le pays.
La mesure de l’audience dans les branches où la moitié des salariés n’ont pas d’élections, qui va faire l’objet d’une négo jusqu’en 2009, sera également prise en compte.
Pour représentativité niveau interpro et pour la branche, décision sur arrêté du ministère du Travail après avis du Haut conseil du dialogue social qui sera créé par décret (donc décision politique).

4. Les élections (DP, CE, DUP) (au niveau de l’établissement ou de l’entreprise)

a. Avant les élections (L. 2314-3 et L. 2324-4)

Information par voie d’affichage (comme avant). Le patron doit adresser par courrier l’invitation à négocier le protocole d’accord préélectoral et à établir des listes syndicales pour le premier tour aux OS :
- représentatives au niveau interprofessionnel ;
- dont le champ professionnel et géographique couvre l’entreprise concernée, légalement constituée depuis au moins deux ans, et qui satisfont les critères d’indépendance et de respect des valeurs républicaines* ;

_ * IMPORTANT : nous devrons faire attention de créer (2 ans avant d’en avoir besoin) un peu partout des syndicats dont le nom et/ou les statuts soient explicites et couvrent un champ professionnel suffisamment large pour pallier à l’absence de syndicat couvrant tel ou tel secteur (par exemple sur le modèle des ETPIC ou ETPRECI et surtout pas des Interco).

Pour tous les syndicats, il faudra encore plus qu’avant être vigilent sur le fait que les statuts sont bien déposés en mairie et que les bureaux sont bien renouvelées, et redéposés quand les statuts le prévoient (tous les ans, tous les deux ans, etc..).

- représentatives dans l’entreprise ;
- celles ayant constitué une section syndicale (avec un représentant de la section syndicale (voir plus loin)).

b. Les deux tours (L. 2314-24 (DP) et L. 2324-22 (CE))

• Le 1er tour réservé aux organisations syndicales listées au a. : • Si nombre de votants inférieur à moitié de celui des inscrits, il y a dans un délai de quinze jours un deuxième tour où peuvent être présentées seulement les listes non syndicales.

5. La désignation du délégué syndical (DS)

• L. 2143-3 : L’OS reconnue représentative dans l’entreprise ou l’établissement désigne un délégué syndical parmi les candidats de son syndicat au premier tour des élections de CE, DUP ou à défaut DP, ayant obtenu 10 % des voix tous collèges confondus (il peut y avoir plus de DS dans les limites et les conditions de l’article L. 2143-12). S’il n’y a plus dans l’entreprise de candidats ayant fait 10 %, l’OS peut désigner un autre candidat ou à défaut un autre adhérent. • L. 2143-5 : Le DS central (entreprise de + de 2000 salariés avec au moins 2 établissements de + de 50 salariés) doit maintenant être désigné parmi candidats ayant fait 10 % en compilant les résultats dans différents établissements.

6. Le représentant de la section syndicale (RSS)

À ne pas confondre avec le représentant syndical au CE, chose complètement différente. D’ailleurs le représentant syndical au CE continue à exister mais ne peut plus être désigné que par une OS ayant des élus au CE (L. 2324-2).

Avec le critère de l’audience, le RSS (représentant de la section syndicale) est l’innovation majeure de cette réforme : à partir de la publication de la loi au Journal officiel, vraisemblablement fin août, les OS vont pouvoir, en désignant un RSS créer une section syndicale légale sans avoir à prouver leur représentativité, que la section pourra obtenir ensuite par les élections (L. 2142-1).

a. Désignation

• Pour désigner un RSS, il faut :
- soit que l’OS soit représentative au niveau interpro ;
- soit que la section syndicale ait plusieurs adhérents (donc à partir de deux ? ou plus ?), et que le syndicat auquel est rattachée la section syndicale satisfasse aux critères d’indépendance, et de respect des valeurs républicaines, et qu’il soit légalement constitué depuis au moins deux ans et qu’il couvre le champ professionnel et géographique de l’entreprise. • Le RSS peut être désigné dans une entreprise ou un établissement de plus de 50 salariés. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, seul le DP peut être désigné RSS, ce qui met un gros frein pour les entreprises de moins de 50 puisqu’avant de déclarer une section en désignant un RSS, il faut déjà avoir un élu DP. Il est désigné et contestable dans les mêmes formes que le DS. Néanmoins, a priori, même sans avoir désigné un RSS et donc déclaré de section syndicale, on peut aller au premier tour si on a un syndicat légalement constitué depuis deux ans et qui couvre le champ professionnel et géographique de l’entreprise ou de l’établissement. Dans ce cas, il faut faire 10 % et après on désigne un DS. Donc le RSS est moins utilisable dans les boîtes de moins de 50, sauf quand on crée une section avec une personne qui était déjà DP, ou si le premier tour foire et qu’on a un camarade élu au 2 e tour (donc pas sur liste syndicale).

b. Comme le DS, le RSS est protégé (il faut autorisation de l’inspection du travail pour le licencier pendant son mandat et 12 mois après).

Mais si sa section perd la représentativité à l’élection qui suit, il ne peut être redésigné RSS jusqu’à six mois avant les élections suivantes. La section peut, a priori, même si ce n’est pas explicite dans la loi, alors désigner un autre adhérent comme RSS. Comme le DS, il a des heures de délégation mais moins (4 heures minimum par mois). Pour les entreprises de moins de 50, il faut que ce soit écrit dans la convention collective de la branche. Les heures de DP peuvent être également utilisées pour l’activité de RSS. Il bénéficie des mêmes prérogatives que le délégué syndical, à l’exception du pouvoir de négocier des accords collectif.

7. Les nouvelles règles de négociations (plus simples que le reste)

Validité d’un accord d’entreprise : L. 2232-12 L’accord doit être signé par des OS représentatives ayant recueilli au total minimum 30 % des voix au premier tour des élections des titulaires au CE, DUP, ou à défaut DP et ne pas faire l’objet d’une opposition d’OS représentatives ayant recueilli plus de 50 % des voix. Le délai d’opposition est de 8 jours (court !). Il y a là une volonté claire du patronat de maintenir des accords minoritaires avec des syndicats peu puissants mais collaborateurs. CFDT et CGT voulaient le principe de l’accord majoritaire. Au niveau de la branche et au niveau interprofessionnel, c’est la même chose, avec un délai d’opposition de 15 jours.

8. La « transparence financière »

L. 2135-1 et suivants : Les syndicats assurent une publicité des comptes annuels dans des conditions fixées par décret. Cette publication devra inclure la ou les personnes morales que le syndicat contrôle et qui n’ont pas de liens de filiation ou d’adhésion directs (cela semble plutôt concerner les entreprises appartenant à des syndicats, les instituts de formations, etc…)

9. Dispositions transitoires

D’ici 5 ans, une mesure de la représentativité aura été faite à tous les niveaux. D’ici là :
- dans les entreprises, les acteurs restent les mêmes jusqu’aux prochaines élections CE, DUP ou DP. Ici et là cependant pourront se créer des sections syndicales avec des RSS ;
- dans les branches et au niveau national interprofessionnel, une liste d’OS représentatives sera établie d’ici 5 ans (et puis une nouvelle liste 4 ans après…). D’ici là, les acteurs restent les mêmes.