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Les ordonnances Villepin décryptées

lundi 15 août 2005

Les ordonnances Villepin point par point.



Ce gouvernement sert décidément un patronat de combat. Certes, le terrain a été balisé depuis plus de 20 ans par les gouvernements de droite et de gauche.


Mais l’accélération récente est sans précédant :
 protection sociale : sécu (retraite, maladie), indemnisation chômage, substitution à la solidarité (cotisations sociales alimentant les caisses par répartition) de la charité (RMI et autres « minimums » sociaux) (voir l’historique) ;
 services publics : les derniers bastions tombent, livrés aux intérêts privés (EDF, SNCF, France Télécom, GDF, Air France, autoroutes, Poste) ;
 Code du travail :
la première attaque frontale remonte à la loi sur le dialogue social de 2004 (remise en cause du « principe de faveur », un accord d’entreprise pouvant déroger aux accords de branche et au Code du travail).


La seconde, qui va encore beaucoup plus loin : les ordonnances Villepin.


SOMMAIRE DE L’ARTICLE :

1) Le contrat de nouvelle embauche (CNE)

2) Le chèque emploi entreprise

3) Aménagement des règles de décompte des effectifs

4) Les exonérations de cotisations patronales

5) Le crédit d’impôt

6) Insertion sociale au sein des institutions de la défense


Sauf mention contraire, tous les articles cités relèvent du Code du travail.


1) Le Contrat nouvelle embauche


(ordonnance n° 2005-893 du 2 août 2005)

Application à partir du 4 août 2005.

« Evaluation » le 31/12/2008.

Droits concernés : l’ensemble des protections du Code du travail.
Dépôt d’un recours devant le Conseil d’Etat par la CGT : l’ordonnance "viole la Convention n°158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) et l’article 24 de la Charte sociale européenne, textes ratifiés par la France et posant l’obligation de justifier d’un motif de licenciement"


L’ordonnance :

 Pour les entreprises de 20 salariés au plus (soit 96% des entreprises et 37% des salariés du privé)
 Ne s’applique pas aux saisonniers et CDD d’usage (L122-1-1 §3) (dont la situation est déjà très en deçà des CDI comme des CDD).
 Ne s’applique pas aux salariés protégés (sauf conseillers du salarié) : représentants du personnel (élus DP et CE) et délégués syndicaux. Mais pour être élu, il faut avoir un an d’ancienneté, et la loi PME fixe désormais la fréquence des élections à 4 ans au lieu de 2...
 Période d’essai étendue à deux ans (appelée « période de consolidation de l’emploi ») : le licenciement n’a pas besoin d’être justifié (suppression de L122-13).
 Modalités de licenciement (si le licenciement intervient après le premier mois de présence dans l’entreprise) : préavis (15 jours en dessous de 6 mois de travail, excepté durant la période d’essai « normale » ; 1 mois au-dessus de 6 mois) ; indemnité de licenciement de 8% (non soumise à cotisations sociales) + 2% aux Assedic.
 Après avoir rompu un CNE, l’employeur ne peut réembaucher le même salarié en CNE avant un délai de 3 mois (mais il peut en embaucher un autre !).
 Pour les licenciements entre 4 et 6 mois de travail, indemnité de chômage versée par l’Etat (financée par le fonds de solidarité créé par la loi du 4/11/1982) de 16,4 euros /jour pendant un mois maximum (en dessous de 4 mois : rien ; au-dessus de 6 mois : indemnisation normale par les Assedic)


Les conséquences :

 L’article L122-4 prévoit la suspension de la protection contre le licenciement pendant la période d’essai. Le « Contrat nouvelle embauche » n’est en fait rien d’autre que l’application de cet article à une période de deux ans. Cette variation de durée change en fait fondamentalement la nature de cette « période d’essai » : justifiable pour une durée courte qui permet de vérifier que le salarié peut accomplir la tâche qui lui est demandée, elle devient une arme fatale aux mains des patrons pour une durée de 2 ans.
 Institue de fait dans les entreprises de 20 salariés au plus la possibilité de licencier sans motif, c’est-à-dire pour n’importe quel motif, même illégal (femme enceinte, salarié malade, refus d’heures sup non payées, résistance à un harcèlement sexuel, engueulade avec un petit chef, grève...) ;
 Suppression directe de divers droits : le délai-congé en cas de licenciement (qui permet de retrouver du travail avant de se retrouver à la rue - L122-5, L-122-6, L122-7, L122-8), le respect de la procédure de licenciement (L122-14, L122-14-1, L122-14-2, L122-14-3, L122-14-4), le calcul de l’ancienneté dans l’entreprise, les droits en cas de licenciement économique - reclassement, délais, indemnités... -, en cas de licenciement abusif (L122-14-5), indemnité de départ en retraite (L122-14-12 et L122-14-13), possibilité d’être conseiller du salarié (L122-14-14)...
 L’échéance du 31/12/2008 est déjà présentée par des politiciens et des patrons comme l’élargissement du CNE à tous les salarié.
 l’indemnité de licenciement est inférieure à celle des CDD, et contrairement à cette dernière (L122-3-4) ne donne pas lieu à cotisations patronales (donc ne comptent pas pour le calcul de l’allocation chômage, retraite et maladie du salarié, L242-1 du Code de la sécurité sociale). Le patron paye donc 8+2% au lieu de 17% (approximativement).
 Légalité française : remet en cause la loi du 13 juillet 1973 (cause réelle et sérieuse d’un licenciement), supprime le droit à la défense des salariés, prive le salarié d’indemnité en cas de licenciement abusif, principes découlant de la déclaration des droits de l’homme et réaffirmés maintes fois par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat.
 Légalité internationale : remise en cause de la convention de l’Organisation internationale du travail (OIT) du 23 novembre 1985, ratifiée par la France, qui impose à l’employeur de justifier un licenciement pour un motif valable.


Pour résumer, deux conséquences essentielles pour les salariés :
 impossibilité de faire valoir leurs droits puisqu’ils peuvent être licenciés sans motif ;
 ils seront dans de nombreux cas licenciés automatiquement au bout de deux ans et remplacés par un autre CNE.



2) Le chèque emploi entreprise


(Ordonnance n° 2005-903 du 2 août 2005)

Application à partir du 01/09/2005

Droits concernés : la protection du salarié


L’ordonnance :
 Le chèque emploi se substitue aux obligations patronales en terme de déclaration auprès des organismes de protection sociale (L320), de contrat de travail (L121-1 et L212-4-3) et de certificat de travail (L122-16).
 Il concerne toutes les entreprises de 5 salariés au maximum, hormis les entrepreneurs de spectacle vivant (L620-9).
 Il supprime la présomption de CDI en l’absence de contrat écrit (L122-3-1).


Les conséquences :
 Le salarié ne bénéficie plus d’aucune des protections du contrat de travail (durée d’emploi, horaires, salaire...).
 Le patron est encouragé à payer les salariés le minimum légal (smic ou minimum conventionnel).
 Le salarié est employé à la tâche, virable sans préavis.
 C’est la suppression pour les précaires de toutes les protections contenues dans le CDD (// au CNE pour les CDI).
 C’est l’élargissement d’un dispositif qui avait d’abord été testé dans le secteur des services (chèque emploi services) puis élargi au secteur associatif (chèque emploi associations). Sous prétexte de simplification des démarches pour l’employeur, le contrat de travail est supprimé et les salariés perdent toutes les protections qu’il leur assurait.


Lien :
Voir le dossier sur les chèques emplois services de l’union locale CNT de Poitiers.



3) Aménagement des règles de décompte des effectifs


(ordonnance n° 2005-892 du 2 août 2005)

Applicable du 22 juin 2005 (rétroactive) jusqu’au 31/12/2007.

« Evaluation » au 31/12/2007.

Dépôt d’un recours devant le Conseil d’Etat par la CGT : « disposition extrêmement générale [...] ce qui va bien au-delà des mesures autorisées par la loi d’habilitation » ; « contradiction avec les directives européennes portant sur la représentation des salariés et sur les licenciements économiques ».


L’ordonnance :
 Les salariés de moins de 26 ans embauchés à partir du 22 juin 2005 ne sont pas pris en compte dans l’effectif de l’entreprise (L620-10).


Les conséquences :
 Certains seuils d’effectifs permettent aux salariés d’accéder à des droits (particulièrement à partir de 11 et 50 salariés). Cette mesure permet de grignoter ces droits en ne prenant pas en compte dans les effectifs une certaine catégorie du personnel.
 Suppression de divers avantages des salariés : financement patronal de l’aide au logement, de la construction, des transports en commun, aide au transport (art. L834-1 du Code de la sécurité sociale, L2333-64 et L2531-2 du Code général des collectivités territoriales, L313-1 du Code de la construction et de l’habitation)...
 Suppression de droits liés à la défense des travailleurs lorsque les seuils légaux sont dépassés : mise en place des institutions représentatives du personnel (DP, CE, CHSCT) et délégués syndicaux. Mais les représentations déjà en place ne peuvent cependant être supprimées.
 2,3 millions d’entreprise de moins de 20 salariés (96% des entreprises) sont concernés, plus celles qui ont moins de 50 salariés et qui pourront ainsi ne pas mettre en place de comité d’entreprise (CE) et refuser les délégués syndicaux.


Voir les dossiers du SIPM sur les représentants du personnel et les délégués syndicaux (prochainement un dossier très complet sur la section syndicale d’entreprise et le délégué syndical)


4) Les exonérations de cotisations patronales


(ordonnance n° 2005-895 du 2 août 2005)

Application rétroactive depuis le 1er janvier 2005.

Droits concernés : aide au logement, droit à la formation professionnelle


L’ordonnance : Pour les entreprises dépassant le seuil de 10 salariés, suppression ou diminution des contributions (art. L951-1) à :
 fonds national d’aide au logement : seuil relevé de 10 à 20 salariés ;
 participation à l’effort de construction : seuil relevé de 10 à 20 salariés ;
 contribution à la formation professionnelle : pour les employeurs entre 10 et 19 salariés, cotisation de 1,05% de la masse salariale (au lieu de 1,6).


Les conséquences :
 Ces nouvelles exonérations se rajoutent aux 20 milliards d’euros déjà octroyés, qui n’ont jamais eu aucune incidence sur le chômage, mais contribuent activement à fragiliser les régimes sociaux (retraites, Sécu, chômage...). Elles sont estimées à 5 milliards. Elles étaient de 0,8 milliards (euros) en 1991, elles dépasseront les 25 milliards en 2005 (20 milliards en 2004). (voir graphique ci-dessous).
 Les accords très critiqués sur la formation professionnelle de 2003 ont été justifiés par les syndicats signataires (CGT, CFDT, FO, CFTC, CGC) par l’objectif d’uniformisation des cotisations à 1,6 pour toutes les entreprises, pour permettre à tous les salariés d’en bénéficier. La loi sur la formation professionnelle et le dialogue social de 2004 avait déjà montré l’erreur commise. Cette nouvelle exonération est un camouflet supplémentaire aux grandes confédérations.



5) Le crédit d’impôt


(ordonnance n° 2005-895 du 2 août 2005)

Applicable entre le 1er juillet 2005 et le 31/12/2007

Mesure provisoire.



L’ordonnance :
 Pour les salariés de moins de 26 ans.
 Il faut avoir travaillé au moins 6 mois consécutifs entre le 1/07/2005 et le 31/12/2007.
 Revenu donnant lieu au crédit d’impôt compris entre 2 970 et 12 060 euros pour les 6 mois pris en compte.
 Montant du crédit d’impôt : 1 000 euros, dégressif si les revenus sont compris entre 10 060 et 12 060 euros.
 activité exercée dans un métier « connaissant des difficultés de recrutement » (à fixer par décret, restauration, bâtiment...).
 Le crédit est attribuable une seule fois sur la période du 1/07/2005 au 31/12/2007.


Les conséquences :
 Cette mesure (la seule favorable a priori aux salariés) a un champ d’application très restreint puisqu’elle est valable pour des secteurs où il est rare d’accomplir 6 mois consécutifs, spécialement pour des jeunes (travail saisonnier dans la restauration, intérim dans le bâtiment...).
 Les salariés de ces secteurs sont souvent non imposables en raison de leurs faibles revenus.
 L’Etat fait payer le contribuable (c’est-à-dire essentiellement des salariés) au lieu de pousser le patronat de secteurs très rentables à améliorer les salaires misérables et les conditions de travail rétrogrades.


Voir aussi l’autre offensive dans le cadre de la loi PME contre la représentation syndicale : élections tous les 4 ans au lieu de tous les 2 ans (particulièrement inadapté dans un contexte de changement d’emploi de plus en plus fréquent et de précarisation, encore moins démocratique, favorise un syndicalisme cogestionnaire complice du patron au lieu d’un syndicalisme proche de sa base et notamment des plus fragiles - communiqué syndical prochainement sur la loi PME).



6) Insertion sociale au sein des institutions de la défense


(Ordonnance n° 2005-883 du 2 août 2005)


L’ordonnance :
 Formation professionnelle pour une durée de 6 mois à 24 mois.
 S’adresse aux « jeunes sans diplômes ou sans titres professionnels ou en voie de marginalisation sociale ».
 L’organisme de formation est un établissement public dépendant du ministère de la Défense.
 Formation dans des institutions et avec un encadrement s’« inspirant du modèle militaire ».
 L’établissement peut coopérer avec des entreprises privées pour le financement des formations et pour des stages.
 L’établissement ne paye pas d’impôts, ni de taxes.


Les conséquences :
 Pas d’ouverture de droits à la retraite ni au chômage.
 Militarisation de la formation professionnelle pour les jeunes des classes pauvres.
 Mise à disposition d’entreprises privées de jeunes travailleurs encadrés militairement.