Le jeudi 14 avril dernier se déroulait la cérémonie de dévoilement de la plaque en hommage à Manuel Lozano [1] dans le XIXe au 34 rue des Bois, là où il vécut.

Cette cérémonie s’est déroulée en présence des camarades de la CNT espagnole en exil ainsi que de l’association 24 août 1944. Catherine Vieu-Charier, adjointe à la mémoire combattante, a prononcé une allocution suivie par celles des lycéens de Vitry.

La CNT a ensuite prononcé son discours (voir texte ci-dessous).

A las barricadas a retenti :

Discours d’inauguration – Plaque Manuel LOZANO

En 1944, 1945, les forces républicaines espagnoles en France se reconstituent.
Un gouvernement républicain en exil voit le jour, les partis, les syndicats CNT et UGT se réunissent de nouveau aux grands jours de la libération à Toulouse, à Paris mais aussi dans toutes villes et villages de France, revitalisant leurs organisations… pour le retour en Espagne…on sait ce qu’il en adviendra.

La presse libertaire espagnole voit le jour dès septembre 1944 et déjà… un article évoque l’entrée de la « Nueve » dans Paris.

Manuel Lozano rejoint son organisation syndicale à Paris. Car bien sûr le retour à Madrid, n’est pas possible. Les intérêts de la guerre froide laissent la république espagnole à son destin : l’exil dans l’abandon et la trahison comme en 1936.
Mais pour Manuel Lozano et ses camarades de la CéNéTé, qui portent non pas la république dans leur cœur, mais l’idéal libertaire, rien n’y fait pour changer leur trajectoire.
La CéNéTé est leur credo, elle est leur raison de vivre, elle est le lieu de leurs solidarités et de leurs combats, ensemble. Rien ne les arrête : ni d’avoir perdu leur guerre, ni d’avoir eu à souffrir les camps de concentration en France, ni d’avoir eu à souffrir ceux d’Allemagne, ni les combats dans les maquis ou dans la « Nueve » avec les pertes des camarades, ni le long exil qui pointe, ni l’entrée de l’Espagne de Franco à l’Unesco puis à l’ONU, non ! rien ne les arrête pour poursuivre le combat contre la dictature de Franco.

Organisation syndicale, la CNT ouvre des souscriptions de solidarité avec les prisonniers en Espagne ! Pour leurs anciens qui n’ont pas de moyens de subsistance en France ! Et aussi pour ceux qui passent la frontière pour y mener une lutte frontale contre le dictateur. Mais ils s’organisent aussi pour faire connaître leur combat. Des publications, hebdomadaires, mensuels, trimestriels littéraires, paraîtront pendant des dizaines d’années. Des galas et meetings seront organisés salle Wagram puis à la Mutualité. Du théâtre, des conférences et des sorties, las « jiras », seront réalisées : tout est bon pour maintenir l’élan commun et le plaisir d’être ensemble loin de la terre natale mais proche de cet idéal « le communisme libertaire » qui anime leur vie, la vie.

Mais pour permettre ce foisonnement d’activités et de réunions, il faut la maison commune, la maison où on débat, où on décide ensemble avec vigueur mais sans hiérarchie ! Il faut un Local !

Rue de la douane, puis pendant de nombreuses années le 24 rue Sainte-Marthe à Belleville dont Étienne Roda Gil et Daniel Prévost en diront des phrases magnifiques.

Et en 1970, quand le temps aura commencé à faire son œuvre et que les jambes ne pourront plus supporter de monter les marches du 24 rue Sainte-Marthe mais que Franco est toujours aux commandes de l’Espagne et que ni pour Manuel Lozano ni pour la CéNéTé, et beaucoup d’autres, il est question d’abdiquer : le 33 rue des Vignoles de plain pied permet de poursuivre le combat.

Battus par les armes, mais pas abattus si ce n’est par la maladie et la mort, une poignée d’entre eux continue de s’y réunir encore aujourd’hui à la disposition des nouvelles générations pour témoigner.

Et la mémoire de Manuel Lozano que nous célébrons aujourd’hui, qui est celle aussi de ces générations qui ont combattu contre vents et marées, contre tous les tripatouillages politiques et toutes les dictatures y compris celles de l’argent est indissociable de ce 33 rue des Vignoles car Manuel Lozano membre de la CéNété y passait régulièrement jusqu’à la fin de ses jours.

Aussi, pour les nouvelles générations de la CNT de France qui relèvent aujourd’hui le défi de la lutte contre le capitalisme et pour l’avènement d’une société libertaire, le 33 rue des Vignoles doit rester avec l’empreinte laissée par nos prédécesseurs : lieu de leur mémoire ! Pas une mémoire éteinte mais une mémoire vivante alimentée par les débats de la société d’aujourd’hui, de réunions et des combats toujours renouvelés contre l’injustice sociale et pour une société nouvelle, le 33 rue des Vignoles doit rester un lieu de liberté et un lieu de culture. En ce sens la responsabilité de la Ville de Paris et de Mme Hidalgo est engagée.

L’éducation et la culture ont été pour Manuel Lozano et la CéNéTé les armes avec lesquelles faire face à tous les autoritarismes. Écartés de la culture par une bourgeoisie arrogante, les libertaires dont fait partie Lozano dès son plus jeune âge, diffusent cette culture dans le monde ouvrier. Une culture politique qui fera d’eux des exilés hors normes. Capables malgré les difficultés de la langue de se frayer un chemin en exil comme Lozano et ses camarades de la Nueve pour retrouver les armées qui luttent contre le fascisme et en désertant les armées de Vichy.

Mais c’est certainement la culture qui portera la vie de Manuel Lozano. Amoureux de la poésie, il ne cessera au long de sa vie d’écrire lui qui dès 13 ans travaillait dans les champs.

Il développa ses talents en particulier, mais pas seulement, quand à la mort du dictateur il envoya de nombreuses contributions à la presse libertaire renaissante en Espagne.
Lozano, comme tant d’autres de cette génération qui ont conduit leur vie sans même la soumettre aux décisions majoritaires et en refusant tous les totalitarismes d’où qu’ils viennent, portaient en eux cette phrase d’un poète d’aujourd’hui :

« La poésie a toujours été une objection libertaire à l’organisation du monde et à la pensée du monde telle qu’elle est constituée dans l’imaginaire collectif par le pouvoir et les idéologies dominantes »

Manuel Lozano, ils et elles sont un exemple pour les hommes et les femmes d’aujourd’hui qui pensent ici et maintenant un autre futur.

Discours d’inauguration de Catherine Vieu-Charier – Plaque Manuel LOZANO 14 avril 2016 – 11h30

Mesdames et messieurs,
Chers élèves,
Chers amis,

Je tiens avant tout à excuser Mme la Maire de Paris, Anne HIDALGO, qui n’a pas pu être parmi nous aujourd’hui, pour rendre hommage à Manuel Pinto Queiroz Ruiz, dit Manuel Lozano, anarchiste espagnol et héros de la Libération de Paris.

Mais je sais que la Maire de Paris, elle-même franco-espagnole, est avec nous par le cœur ce matin pour honorer cet homme d’exception et de convictions.

Ce 14 avril 2016 est un jour très symbolique, puisqu’il correspond au centenaire de la naissance de Manuel LOZANO, mais aussi au 85e anniversaire de la proclamation de la Seconde République espagnole, le 14 avril 1931.

Cette Seconde République espagnole, si fragile, si divisée, a été une incroyable promesse faite à l’Espagne et au monde, au cœur d’une période troublée. La République s’est dressée par le peuple et pour le peuple, lassé d’une monarchie aux mains des généraux. Elle a étendu le suffrage universel, elle a mené un programme de réformes ambitieuses pour soulager les souffrances de deux millions de paysans sans terres.

Ce monde agricole, Manuel Lozano le connaissait bien, lui-même ouvrier agricole, qui allait, après de dures journées de travail, à la rencontre des paysans pour leur lire et commenter des textes d’écrivains libertaires.

Et c’est fidèle à son idéal de liberté et de solidarité, que Manuel Lozano a pris les armes dès l’été 1936, pour défendre la République espagnole menacée par le fascisme. Il avait alors à peine 20 ans, et fort de son engagement dès 16 ans au sein de la CNT, l’une des principales forces républicaines en 1936, il se battait déjà sur de nombreux fronts, je pense à ceux de Malaga ou à Grenade.

On connaît le sort tragique de la République espagnole. Elle a été lâchement abandonnée par la France et les autres démocraties européennes, affaiblies par les mouvements fascistes et les ligues, effrayées par la politique extérieure agressive de l’Allemagne nazie et de l’Italie mussolinienne.

Cet abandon est une tâche indélébile de notre histoire, un rendez-vous politique et moral, manqué dans la lutte contre la montée des totalitarismes en Europe et pour la sauvegarde de la République et de son peuple.

Les divisions internes des Républicains espagnols ont achevé de sceller le sort de la guerre : des moments terribles de rupture et de combat fratricide entre camarades anarcho-syndicalistes et communistes les ont affaiblis.

Je pense par exemple aux effroyables journées de mai 1937 à Barcelone.

Mais malgré la défaite en 1939 et l’internement dans les camps des Républicains espagnols fuyant le fascisme ; malgré la déception, les périls et les pertes, Manuel Lozano est resté fidèle à une même valeur, un même objectif : la liberté.

C’est au nom de la liberté que Manuel Lozano, quelques amis anarchistes et camarades de lutte contre le franquisme se sont retrouvés engagés, au sein de la Nueve, dans les combats pour la Libération de Paris. Et en août 1944, ils délivrèrent la capitale de l’occupation nazie et de la collaboration du gouvernement de Vichy, en même temps qu’ils libérèrent l’avenir.

Cette victoire de la liberté, fût aussi celle de la solidarité. Cette solidarité magnifique d’hommes venus de loin, si lointains parfois dans leurs convictions, et qui décidèrent pourtant, de lutter ensemble pour briser l’oppression dans une ville qui n’était pas la leur.

Accueillis en libérateurs, on devine cependant leur mélancolie : cette capitale en liesse, cette ville libérée, émue et reconnaissante, ce n’était pas Barcelone ; ce n’était pas Madrid.

Et nous le savons, le pays de Manuel Lozano ne fut pas libéré comme il l’espérait. Plus dramatique encore : ses actes héroïques, comme ceux de ses compagnons, ont injustement sombré dans l’oubli.

C’est précisément cet oubli que nous nous attachons à conjurer aujourd’hui, en rappelant d’abord la participation des anarchistes, tant à la libération de Paris qu’à la guerre d’Espagne. Car en dépit des efforts de la CNT pour faire connaître le rôle que ses partisans y ont joué – je pense notamment à l’ouvrage de José Peirats [2] – leur engagement historique et héroïque n’occupe malheureusement pas encore la place qu’il mérite dans notre mémoire collective.

Et puis, il faut rappeler aussi, de manière générale, la contribution du mouvement anarcho-syndicaliste au combat pour une société plus juste et plus humaine, qui s’inscrit dans une histoire riche et longue. Car si les chemins divergent entre camarades socialistes, communistes et anarcho-syndicalistes pour tendre vers plus de justice sociale, de liberté et d’égalité, des convergences existent et, si faibles soient elles, elles doivent être mises en avant.

La mémoire de Manuel Lozano, de son intransigeance sur les valeurs de liberté et de solidarité, et de sa conviction en un humanisme sans nuance sont des repères qui nous rassemblent pour affronter les défis de notre époque.

Souvenons-nous ainsi de Manuel Lozano et des réfugiés espagnols, empêchés pendant des semaines de débarquer au port d’Oran, lorsque nous voyons aujourd’hui s’échouer sur nos rivages les embarcations de réfugiés fuyant une nouvelle terreur, tout aussi sombre, tout aussi proche.

Souvenons-nous aussi que, dans sa lutte contre le franquisme, il a connu au même titre que ses compagnons espagnols, républicains, socialistes, communistes et anarchistes, une parenthèse trop vite refermée. Il a, comme l’a si bien écrit George Orwell, « pris contact avec quelque chose de singulier et de précieux, fait partie d’une communauté où l’espoir était plus normal que l’indifférence et le scepticisme. [Il a] respiré l’air de l’égalité.  »

Ce combat pour l’égalité et la dignité de chacun, contre ceux qui s’accaparent pouvoirs, richesses et privilèges nous rassemble tous et doit continuer de nous guider et de nous inspirer.
—  Alors en gravant son nom dans le paysage parisien aujourd’hui, nous affirmons que le souvenir de Manuel Lozano demeurera vivant, que sa démarche demeurera un exemple.

Nous affirmons, solennellement, que nous n’oublierons jamais.

La fraternité qui a sauvé Paris, nous nous emploierons sans relâche à l’incarner, à la faire vivre et grandir, pour que progresse partout l’idéal démocratique.

Les femmes et les hommes doivent partout être libres de s’exprimer et de porter les idées qui leurs sont chères. Ce mouvement de liberté et de participation ouverte constitue un objectif difficile à atteindre : nous en avons un exemple aujourd’hui avec les réactions que suscitent les « #NuitDebout ».

Il n’en demeure pas moins que tous ceux qui se dressent et ne craignent pas de faire vivre le débat public sont des héritiers de Manuel Lozano.

C’est aussi pour cela que je veux aujourd’hui m’incliner devant la mémoire de cet homme qui toute sa vie, avec héroïsme et dignité, aura porté haut les valeurs de paix, d’égalité et de liberté qui étaient les siennes, et qui resteront les nôtres.

Je vous remercie.

[2Voir l’ouvrage paru aux éditions CNT-RP / Libertalia : Une Révolution pour horizon http://www.cnt-f.org/editionscnt-rp/une-revolution-pour-horizon,139 paru en 2015.