« C’est pas facile d’ouvrir sa gueule quand on est en bas de l’échelle »

Voici la suite d’un témoignage d’un jeune apprenti dans le Bâtiment qui a vécu un accident du travail sur un chantier en Gironde.

La première partie a été publiée en 2020, vous pouvez la lire en suivant ce lien.

> Interview de Sami – 20/05/2020- deuxième partie

Comment le CFA a-t-il réagi ?

Ce qui est incroyable, c’est que le matin-même de l’accident, ma mère a appelé le CFA, pour leur dire que je travaillais dans des conditions dangereuses ! Elle a eu au bout du fil le gars qui s’occupe des relations avec les apprentis. Ma mère m’a dit que le gars ne s’est pas trop inquiété, il a répondu que je pouvais utiliser mon droit de retrait de toute façon. Le lendemain j’ai prévenu le CFA de mon accident, et le gars a appris ça, donc il m’a appelé, paniqué ! En fait, le CFA est autant responsable que l’employeur. Et je pense que le gars savait qu’il pouvait être mis en cause. Donc j’ai été le voir pour qu’il me trouve une autre boîte dans laquelle travailler. Mais il n’a pas trouvé. Un an avant, un jeune du CFA, un charpentier, est décédé en tombant d’un toit, ce n’est pas rassurant.

En as-tu parlé avec la direction de ta boite ?

Juste après l’accident le conducteur de travaux a été informé, puis le soir, j’ai laissé un message vocal à mon patron en lui disant que je me rendrais chez médecin le lendemain. Il m’a rappelé, mais je n’ai pas répondu, je n’avais pas envie de m’entretenir avec lui, je ne voulais plus de contacts avec cette boîte. Ça m’a dégoutté, j’ai failli mourir à cause de lui ! Lui, il fait son fric, moi, j’ai failli mourir pour son intérêt ! Je n’avais vraiment aucune envie de retourner travailler dans cette boîte, encore moins si je risque ma vie. A ce moment-là, j’étais en colère, je leur en voulais !

Comment ça se passe dans ta nouvelle boîte ?

Ça n’a rien à voir, ça se passe bien. Je n’ai pas encore travaillé sur un chantier mais j’ai envie d’y retourner pour en connaître la réalité, aussi pour rencontrer les collègues qui y travaillent. Pour le moment, j’ai fais un mois dans les bureaux. Je leur ai dit que j’étais tombé il y a peu et que mon ancienne boîte ne me plaisait pas. Et ce que j’ai entendu, c’est que la sécurité est carrée avec eux. Il y a une personne, c’est son boulot de passer sur les chantiers pour vérifier si la sécurité est respectée. Ca devrait être une base partout… On sait que c’est pas facile d’ouvrir sa gueule quand on est en bas de l’échelle, quand on est salarié, ouvrier. Je trouve qu’il y a une cassure entre les gens des chantiers et ceux des bureaux, les deux se méprisent, ne communiquent jamais. C’est deux mondes différents et c’est compliqué qu’ils marchent bien ensemble. Alors je me suis dit que si je travaillais un peu dans les bureaux et un peu sur les chantiers, ça fonctionnera mieux.

On sait que c’est pas facile d’ouvrir sa gueule quand on est en bas de l’échelle…

As-tu déjà entendu parler de syndicalisme ?

Oui, ma mère est à fond là-dedans. Mais moi je n’aime pas me prendre la tête. Pour mon accident, j’aurais pu faire un procès mais je n’en ai pas envie. Je suis conscient que ça peut arriver demain à quelqu’un d’autre malheureusement et que je devrais le faire pour éviter ça. Mais finalement tout le monde devrait le faire. Moi je ne suis pas prêt à faire ça, à y consacrer de l’énergie, sans être sûr du résultat.



As-tu eu la possibilité de contacter un syndicat dans ta boîte ?

Moi je ne connaissais pas vraiment avant, c’est ma mère qui m’a expliqué qu’est-ce qu’était un syndicat. Pour moi quand on me parle de syndicat je vois la CGT. Mais sans savoir ce que c’était pour autant. Et puis je n’ai pas envie de me battre pour les Autres, mais je trouve que la démarche est bien sinon.

Qu’as-tu pensé des rapports entre hommes/femmes au travail ?

Je n’ai pas vu de femmes sur le chantier. Il n’y a qu’une seule fille au CFA dans ma classe, elle est en menuiserie.

L’ambiance entre les gars te plaît ?

C’est lourd, je préférerais qu’il y ait des filles. Au CFA c’est 95 % de gars. On se retrouve donc qu’entre mecs. Souvent on entend que c’est pas une branche faite pour les femmes car c’est physique mais elles aussi peuvent le faire, mais elles sont exclues. On associe et réduit le bâtiment à des « bourrins » mais c’est aussi un métier très précis. Dans la tête des gens c’est tellement un métier d’hommes que les femmes n’ont pas envie d’y venir travailler, et je peux comprendre que ça donne pas envie !
Finalement, je pense que les femmes ne veulent même pas s’approcher tellement c’est rempli de mecs !


Chantier dangereux à Bordeaux (sans garde-corps temporaire)

Brochure du syndicat

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